Le dilemme de Poutine 

Trump veut faire la paix et semble pressé. Que cela cache-t-il ? Pour Jean-François Geneste, compte tenu de la situation sur le champ de bataille, ce pourrait être une façon de sauver la face avant que le château de cartes de l’OTAN ne vole en éclats, ayant montré son incapacité à lutter contre une puissance qui n’avait que le PIB de l’Espagne ! Au-delà d’une raclée militaire, c’en est une, de surcroît, contre tous les économistes « traditionnels » qui ne mesurent la force qu’à l’aune de cette grandeur manifestement frelatée. 

Certains pensent que c’est parce que Trump veut changer son fusil d’épaule et s’occuper sans délai de la Chine, qui serait le seul concurrent des États-Unis. Clairement, s’il souhaite s’en soucier martialement, c’est déjà bien trop tard ! La raison ? Elle est très simple ! Le conflit ukrainien a montré l’importance des drones. Or, la Chine est l’atelier du monde. Sa capacité à les fabriquer est sans égal, surtout dans un différend où les États-Unis seraient cantonnés à rester dans leurs porte-avions, même si l’un d’entre eux peut s’appeler Taïwan. Ils ne feront pas le poids et nous en avons eu un avant-goût lorsqu’ils ont quitté la zone du détroit de Bab El-Mandeb sous la pression d’Ansar Allah récemment. Ajoutons une aide discrète de la Russie, peut-être même pas nécessaire, pour accéder à l’hypersonique, et s’en est fini. 

Peut-être Trump voudrait-il simplement annexer à la fois les terres rares ukrainiennes qui n’existent pas et celles du Groenland et du Canada. Mais à ce moment-là, pourquoi ces dernières, qui sont bien réelles, n’ont-elles pas été exploitées à ce jour ? Et cela vaut-il une absorption ? Il y a là une logique que nous avons du mal à déceler. 

La seule option qu’il nous reste est celle d’une volonté de se doter des moyens de régler la guerre civile qui couve chez lui et qu’une opération extérieure ne saurait distraire. C’est peut-être là le nœud de la question, puisqu’une certaine colère est en train de naître, celle de ceux qui ont perdu leurs prébendes. Et comme l’on a largement parlé d’État profond, il serait fort étonnant que ce dernier ne donnât pas quelques coups de pied de l’âne au minimum. 

Toujours sur l’État profond, on ne sait pas non plus dans quelle mesure il ne pourrait pas se mettre en sommeil, s’exilant, le cas échéant, en Europe, tout en préparant la revanche d’ici à peine quatre ans. L’avenir nous dira ce qu’il en est. 

Passons à Poutine, qui a, face à lui, un système pressé, qui vient de complètement renverser la table chez lui, mais qui promet du durable, voire de l’irréversible, ce que l’on a bien du mal à croire. En effet, qui peut assurer que l’on ne reviendra pas sur les engagements d’aujourd’hui lors de la prochaine législature ? Dans un tel cas, comment négocier et, même, quoi négocier ? 

Rappelons les propos de Poutine de 2021, qui souhaitait un retour de l’OTAN dans ses frontières de 1997. Est-ce possible ? Sous Trump, sans aucun doute ! Une raison en est très simple. La boucle « voir, décider, agir » (OODA en anglais) a une constante de temps de 6 minutes pour les USA quand elle est de 24 heures au mieux pour un unique pays « allié ». Quid de l’OTAN qui comporte 31 nations avec la coordination nécessaire ? Les autres sont ainsi un boulet pour les États-Unis et cela montre aussi qu’une défense européenne sera un désastre. N’en déplaise aux europhiles. 

Si Trump sort de l’OTAN ou la démantèle, la reformer prendra peut-être un peu de temps, sauf si, comme expliqué plus haut, l’État profond prépare son contrecoup. Il ne reste dans ces conditions, à notre avis, qu’une seule solution qui permettrait d’entraver cela, qui consisterait à exiger que cette sortie de l’OTAN soit constitutionnelle. Trump a-t-il les moyens de faire cela ? Pas sûr ! Il va donc être difficile d’obtenir gain de cause sur ce sujet pour Poutine. 

Maintenant, même si les Européens finissent par se coucher devant l’Oncle Sam, ce qui est attendu par tous les bookmakers, Ils seront prêts à recommencer à la première ouverture et, en plus, auront eu le temps de se préparer. Cela ne changera rien à leurs chances de mettre la Russie en échec, mais le combat sera de plus haute intensité encore avec un risque de dégénérescence mondiale. Une façon d’éviter cela est de rendre l’Ukraine, en tant que pays, non viable économiquement et trop faible démographiquement. Pour cela, il suffit de lui prendre assez de terrain, cela incluant bien plus que les quatre oblasts actuels, mais bien Kiev, Nikolaïev et Odessa. La Russie, pour l’instant, en est assez loin. 

Néanmoins, si l’on veut prévenir des morts, le mieux serait d’exiger des référendums dans ces villes et les oblasts qu’elles occupent. Il y a, a priori, peu de doutes, sauf peut-être pour Kiev. 

Mais Poutine ne pourra pas faire confiance à l’Occident qui l’a trahi au moins par deux fois lors des accords de Minsk, sans parler du Maïdan au minimum. Dès lors, mettre le territoire restant de l’Ukraine sous le statut de protectorat russe serait une garantie que ce pays ne sera jamais réarmé. Pourquoi le serait-il d’ailleurs puisqu’il n’a pas d’ennemis à l’ouest et n’en aurait plus à l’est ? 

Il y a aussi d’autres « sucreries » que pourrait souhaiter la Russie, notamment la tranquillité sur sa frontière sud. Là, le problème n’est pas tant les États-Unis que la Turquie. Cet État, très armé, a fait des progrès considérables quant à son industrie militaire ces dernières années et est prêt à jouer dans la cour des grands à moyen terme. Il vaudrait mieux l’arrêter tant qu’il en est encore temps et pour un coût modique. Il est probable, sur cette affaire, qu’il y ait convergence avec les États-Unis. On verra, mais leur sortie de l’OTAN leur permettrait de se dégager de leur retenue. 

Pour le reste, il subsiste la question iranienne. Elle est à la fois simple et complexe. Israël, qui a la bombe de manière illégale, accuse l’Iran de la préparer, alors que ce dernier clame qu’il ne la veut pas. Sans doute que ce n’est pas vrai, mais peu nous importe, car c’est bien l’hôpital qui se fiche de la charité. Or, dans le cadre de sa mise à l’écart par l’Occident, la Russie s’est rapprochée de l’Iran et ne tolérera pas que ce pays soit illégitimement attaqué. Il va donc falloir que Trump accepte de négocier localement, ce qu’il n’a pas l’air très enclin de faire. 

Le cas syrien devra être réglé puisqu’il semble avancer vers la partition en plusieurs états avec des appétits importants : turques, kurdes, israéliens, etc., et sans compter les problèmes religieux qui viennent se surajouter. 

Enfin, si l’on peut dire, on devra regarder avec intérêt et circonspection la lutte qui existe déjà sur le continent africain, qui reste la ressource majeure de la planète et l’objet de toutes les convoitises. Le prochain champ de bataille, si l’on arrive à la paix ailleurs, sera là avec, hélas, ses massacres bien prévisibles. 

Pourrait-on éviter cela sur ce continent ? Probablement que oui. Encore faudrait-il que ce fût la préoccupation principale des dirigeants, ce qui n’est clairement pas le cas. 

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.