Tirs en profondeur : le Parlement européen appelle à entrer en conflit direct contre la Russie
La composition de la nouvelle Commission européenne s’accompagne d’une radicalisation virant au fanatisme de son discours, poussant les pays européens à tirer en profondeur en Russie ou encore leur demandant de «nommer» l’opposant au Président Maduro (qui a perdu les élections) au poste de Président du Venezuela. Est-ce réellement un signe de renforcement de l’UE ? Ou bien n’est-ce qu’un paravent communicationnel ? Mais alors dans quel but ?
L’évolution de la composition de la Commission européenne soulève beaucoup de questions, principalement en raison de la faiblesse politique évidente des nouveaux arrivants. Von der Leyen reste le cheval de tête, qui doit tirer toute l’écurie. Une grande partie des nouveaux commissaires vient de l’Europe de l’Est ou des nouveaux atlantistes et ce à des postes devant être importants. Le fanatisme idéologique de cette région doit donc compenser le manque de profondeur de culture politique. Ainsi, les Affaires étrangères et la politique de sécurité étrangère sont confiées à une Estionienne — Kaja Kallas. Une Finlandaise — Henna Virkunnen, se voit confier le melting pot souveraineté technologique, sécurité et démocratie. Un nouveau commissariat est créé, très symboliquement, pour la guerre et l’Ukraine, dénommé commissariat à la Défense et à l’Espace et confié au Lituanien Andrius Kubilius. La France a réussi à recycler le jeune amant, Séjourné pourra continuer sa carrière à la stratégie industrielle, qui de toute manière n’existe pas en Europe.
Bref l’UE, qui entend diriger les pays européens, est désormais prise en main par des personnalités politiques faibles, issues principalement de pays ouvertement dominions américains, qui y porteront la sainte parole de leur maître atlantiste.
Ce qui est ici le plus significatif du virage agressif européen est le débarquement d’un Commissaire à la Défense, pour une structure qui n’a pas d’armée et où le domaine de la Défense ressort de la compétence propre des pays membres. Même le NYT s’interroge sur la dimension politique réelle de ce portefeuille:
«Mais avant même que le commissaire, l’ancien premier ministre lituanien Andrius Kubilius, ne puisse prendre ses fonctions, des analystes et d’autres intervenants ont tiré la sonnette d’alarme : le portefeuille est mal défini et largement sous-financé. Selon eux, cette nomination ressemble plus à un présage qu’à un poste de fond, ce qui remet en question le sérieux avec lequel l’Europe entend assumer sa propre responsabilité en matière de défense.»
Son rôle serait plus de pousser les Etats européens à fournir le front ukrainien, qu’à s’occuper d’une véritable défense européenne, surtout quand, comme le note le NYT, l’Europe achète plus de 60% de son équipement militaire aux Etats-Unis et que 23 des 27 membres de l’UE sont également membres de l’OTAN. Au mieux, son rôle sera celui de la relance du marché européen pour les achats … aux Etats-Unis.
Nous sommes donc bien dans la symbolique et la communication, plus que dans la gouvernance réelle et le politique. Et c’est bien de cette manière que peut être interprétée la décision, qui vient d’être prise par le Parlement européen de pousser les pays membres à formellement autoriser à utiliser leurs armes en profondeur en Russie. Rappelons que cette résolution n’a aucune force juridique, c’est du soft power.
Pour sa rentrée, l’UE a voulu signifier un virage et une radicalisation de sa ligne atlantiste. Hier, le Parlement européen a donc adopté une résolution, qui doit marquer toute l’importance du nouveau commissaire à la Défense, avec l’injonction d’augmentation du financement du conflit en Ukraine, qui passe par l’utilisation du produit des avoirs russes autant que par l’augmentation de la part du PIB national octroyée à ces fins, sans oublier l’intensification de l’approvisionnement en munition du front. L’UE se rêve en sorte de quartier général régional de la guerre atlantiste conduite contre la Russie.
Parallèlement, la résolution insiste sur l’implication politique directe des pays européens contre la Russie. Je cite :
«Les députés souhaitent que les pays de l’UE lèvent les restrictions qui empêchent l’Ukraine d’utiliser des systèmes d’armes occidentaux contre des cibles militaires légitimes en Russie.
La résolution, adoptée le jeudi 19 septembre par 425 voix pour, 131 voix contre et 63 abstentions, indique que, sans lever les restrictions actuelles, l’Ukraine ne peut pas exercer pleinement son droit de légitime défense et reste exposée à des attaques contre sa population et ses infrastructures.»
Immédiatement, vous saisissez à quel point il était important que vous alliez voter pour les élections européennes, que tout allait changer suite à votre vote. Le résultat est probant, vous avez légitimé cette résolution. Après, si les gens ont à ce point envie de se faire berner, il n’y a aucune raison pour que ces élites s’en privent.
La décision que les pays européens sont appelés à prendre est purement symbolique. Ces armes sont déjà utilisées sur le territoire russe et l’armée atlantico-ukrainienne ne fonctionne pas sans les autorisations des pays de l’OTAN. Sur le plan militaire, par ailleurs, cela ne changera rien, comme le reconnaît le Pentagone :
«Les Etats-Unis ne croient pas que la levée de l’interdiction faite aux forces armées ukrainiennes de lancer des missiles occidentaux à longue portée en profondeur en Russie aura un effet décisif sur le conflit ukrainien, a déclaré le Pentagone.»
L’impact doit être politique — et ce des deux côtés. Du côté européen, pour obliger ces pays à entrer officiellement dans une logique de confrontation directe contre la Russie, il faut préparer les élites autant que les populations. Du côté russe, pour obliger le Kremlin à s’habituer à l’idée de tirs en profondeur, en le conduisant à annoncer de nouvelles lignes rouges qui seront aussitôt oubliées que prononcées. L’effet politique collatéral attendu pour la Russie est l’exaspération de la population et la fracture entre les élites gouvernantes et le peuple.
Le conflit continue ainsi à monter en puissance, l’industrie militaire américaine se renforce, l’Europe s’affaiblit et la Russie va devoir faire un choix, celui de la grenouille ou de l’ours. Puisque comme l’avait à juste titre souligné le vice-ministre des Affaires étrangères russes Ryabkov il y a encore quelques jours de cela :
«Les signaux verbaux de la Fédération de Russie à l’Occident concernant le danger d’escalade n’ont aucun effet, ce qui signifie qu’il est nécessaire de « changer la nature de l’alarme »»
A un moment donné, il va bien falloir sortir de la communication pour revenir vers le politique. Plus tôt cette courageuse décision sera prise, plus rapidement le spectre d’une guerre conventionnelle de haute intensité s’éloignera.
Par Karine Bechet-Golovko