Billet apolitique : à quel degré d’hypocrisie, une élite se désagrège-t-elle ?

Lundi 21 février 2022

Ce week-end, nous avons assisté à l’engagement de la phase militaire active dans le Donbass, faisant des victimes des deux côtés, mais civiles uniquement dans le Donbass et, parallèlement à cette montée en puissance des combats, l’hypocrisie de nos élites politiques a dépassé toutes les limites de l’acceptable — quoi que fasse l’armée ukrainienne, la Russie est l’ennemi. Cette constatation n’est pas nouvelle, elle a toujours accompagné les relations entre l’Occident et la Russie, à quelques exceptions tactiques près. Mais n’y a-t-il pas un degré d’hypocrisie qui, une fois atteint, conduit ces élites à disparaître ? Nous pouvons, manifestement, en douter.

Sans entrer dans le détail des combats de ce week-end (que vous pouvez suivre en français sur notre canal Telegram ici et sur notre compte Twitter ici), rappelons simplement qu’à deux reprises déjà l’armée ukrainienne a touché le territoire de la Fédération de Russie avec des obus ; qu’une évacuation générale des femmes, des enfants et des personnes âgées est organisée dans le Donbass vers la Russie, même si beaucoup de civils veulent rester pour défendre leur terre ; que l’armée ukrainienne utilise l’artillerie lourde sur la ligne de front ; que des groupes de sabotage sont envoyés à Donetsk miner des infrastructures et jeter la peur dans la population ; que les infrastructures civiles vitales d’approvisionnement en eau, électricité et gaz sont systématiquement ciblés par l’armée ukrainienne ; qu’il y a des victimes civiles dans le Donbass et des combattants des deux côtés. 

Volodine, le président de la Douma, a déclaré que la question de l’aggravation de la situation dans le Donbass sera discutée ce lundi par les députés. Certains députés de Russie Unie commencent à trouver qu’il n’est pas possible de se contenter de déclarations. Peskov, le porte-parole du Kremlin, a également affirmé que, désormais, Poutine a toutes les raisons de ne pas considérer Zelensky comme étant prêt à exécuter les Accords de Minsk.

Pendant ce temps-là, les politiques et les médias occidentaux continuent à accuser la Russie d’agresser l’Ukraine, de provoquer l’armée ukrainienne. Menace de sanction contre la Russie d’un côté et livraison d’armes à l’Ukraine de l’autre, nos gouvernants font le grand-écart. 

Lors de son intervention à la Conférence de Munich, Charles Michel, le président du Conseil européen, déclare :

«Les Occidentaux ne peuvent continuer à tendre indéfiniment «un rameau d’olivier» alors que la Russie fait monter la tension le long de la frontière ukrainienne»

Liz Truss, la ministre britannique des Affaires étrangères de déclarer :

«The United Kingdom and the international community must unite to face down Moscow’s aggression and stand up to Putin.»

Quant à Biden, il n’en démord pas :

» Biden said, «I’m convinced» Putin has decided to further invade Ukraine. He cited the «significant intelligence capability» of the US government. «We have reason to believe that,» he added.»

De son côté, Borrell a parfaitement pointé le problème fondamental : nous sommes face à une confrontation idéologique, qui a pour enjeu la souveraineté des Etats. Ensuite, évidemment, pour lui, dans ce monde global, la souveraineté est anti-démocratique. En effet, comment un Etat pourrait-il rester souverain dans un monde global ? Le conflit est bien idéologique et en ce sens insurmontable : tout compromis est une reddition.

Dans ce contexte, la proposition formulée par Macron, immédiatement acceptée par les Etats-Unis (sauf «invasion de l’Ukraine») et pour l’instant considérée comme prématurée par le Kremlin, d’organiser un sommet en Europe avec Biden et Poutine sonne étrangement et pourrait être traduite de cette manière : si l’opération américaine en cours en Ukraine ne réussit pas, les Etats-Unis sont prêts à discuter avec la Russie, pour que celle-ci leur permette de gagner politiquement ce qu’ils perdront militairement.

Et sur ce fond, l’ambassade américaine à Moscou annonce une possible vague d’attentats à Moscou à Saint-Pétersbourg et dans les régions frontalières avec l’Ukraine :

Selon des informations de presse, il y a des menaces d’attentats dans des centres commerciaux, des gares et stations de métro, et d’autres lieux de publics dans les principales zones urbaines », a indiqué l’ambassade, dans un communiqué qui ne cite pas d’articles de presse en particulier.

Sans «citer d’articles de presse en particulier«, ce n’est plus de l’information de ses citoyens, c’est une menace directe contre le pays. 

Ainsi, pendant que les habitants du Donbass reprennent les armes dans le cadre de la mobilisation générale à nouveau déclarée, que les enfants sont évacués et privés … d’enfance, qu’un mineur est tué par les tirs de l’armée ukrainienne alors qu’il attendait le bus pour aller travailler, que deux personnes âgées décèdent dans leur sommeil et dans leur maison lorsque celle-ci est explosée par l’armée ukrainienne, l’on entend que des menaces contre la Russie, aucune parole demandant à l’Ukraine de cesser le feu.

Si la politique, et la géopolitique, exigent toujours une certaine dose d’hypocrisie et d’amoralité, n’y a-t-il pas une limite ? Une élite politique ne disparaît-elle pas en tant qu’élite à un certain niveau de d’hypocrisie et d’amoralité ?

Les lois de la physique semblent pessimistes sur la question de la désagrégation des corps solides, en tout cas si l’on en croit la Septième leçon du cours de physique de l’Ecole polytechnique de G. Lamé (p.80-81) : 

«Il résulte de ces circonstances deux propriétés distinctes des corps solides ; l’une est l’élasticité, c’est la propriété dont jouit un corps solide de revenir rigoureusement à ses dimensions primitives lorsque, comprimé ou dilaté par des forces extérieures, ces forces cessent de lui être appliquées (…). L’autre propriété, celle que possède un corps solide de changer de densité et de forme sans se désagréger, sous l’effet de forces qui surpassent les limites de son élasticité, porte des noms différents suivant le mode extérieur employé pour la mettre en jeu.»

Mon Dieu, on ne va jamais s’en débarrasser ! L’élasticité de nos élites politiques dépasse de loin tout ce que la nature avait prévu, mais si en plus elles ne se désagrègent pas sous l’effet de forces qui surpassent leur capacité à reprendre, l’air de rien, le cours des choses, si elles ne font que changer de forme et de densité, on ne va jamais s’en sortir ! D’un autre côté, elles sont à ce point coulantes et fuyantes que, peut-être, elles ne suivent pas les lois physiques des corps solides … 

Il nous faudrait peut-être, finalement, des élites un peu plus … solides.