Billet d’humeur : et si l’on ouvrait réellement le front de l’enseignement en Russie ?

Alors que le pays est depuis deux années engagé frontalement dans une guerre de civilisation, des propositions d’un autre temps ne cessent d’émerger en Russie. Ainsi en est-il de l’éternelle rengaine de la diminution des devoirs à la maison et des contrôles de connaissances à l’école. Enfermer les enfants dans un culte ludique les affaiblissant, psychologiquement et intellectuellement, n’est pas le meilleur moyen de renforcer la société et de la préparer à sortir du carcan globaliste. Bien au contraire, c’est faire de l’intérieur, ce qu’il n’est pas possible de faire de l’extérieur.

Lors de son discours devant le Parlement, le Président Poutine avait glissé cette idée. Il aurait été souhaitable qu’elle tombe au fond du tiroir des mauvaises idées oubliées. Mais, non. Son décalage idéologique avec les besoins de la Russie aujourd’hui est tel, que manifestement certaines forces ont sauté sur l’occasion pour ne surtout pas la laisser dépérir. Il faut, paraît-il vivre avec son temps. Il serait pourtant mieux de le déterminer «ce temps», au lieu de vivre selon des règles civilisationnelles déterminées par d’autres.

Et pour cause. Alors que la Russie veut relancer son industrie, et donc a besoin d’ingénieurs. Alors que la Russie prétend à la souveraineté, notamment intellectuelle, elle a donc besoin d’une population éduquée, capable de faire front à la propagande globaliste. 

Afin de réaliser ces buts, Vladimir Poutine demande de réduire (encore) les devoirs scolaires, alors qu’il n’y en a déjà presque plus et les contrôles des connaissances, qui sont, eux-mêmes aussi, déjà réduits à peau de chagrin. Ne fatiguons pas trop les petits choux … 

En 2014, alors que la France s’était déjà fourvoyée depuis longtemps dans cette voie avec les résultats que l’on connaît, elle regardait avec admiration vers la Russie et la Chine, où les élèves travaillaient encore. Les études prouvant que les élèves, qui travaillaient à la maison, avaient évidemment de meilleurs résultats à l’école. Quelle surprise … 

En revanche, la critique était portée sur les inégalités sociales : tout le monde n’a pas le même environnement familial et social pour grandir. Cela aussi est une surprise … Donc, il faut niveler vers le bas, pour que tous les enfants soient égaux dans la bêtise. Ne donner une chance à personne. A part quelques écoles, mais cela ne concerne pas le bon peuple.

Quels que soient les discours patriotiques en Russie, rien n’y fait. L’école est toujours la cible privilégiée des globalistes russes, qui se sont entre temps évidemment rebaptisés patriotes, mais qui ne l’est pas aujourd’hui ? Seulement, tous n’ont manifestement pas la même patrie …

Et la Russie s’aligne sur le mouvement globaliste du laissons les pôv petits tranquilles avec tout ce travail. La Chine adopte une loi pour réduire les dévoirs scolaires. La Suisse espère pouvoir mettre à bas l’école grâce à la destructuration covidienne, en surfant sur la lutte contre les inégalités scolaires. Produisons tous des idiots, ils seront heureux, semble être la ligne générale. D’ailleurs au Québec, on lutte contre les devoirs scolaires … pour permettre de réduire les tensions familliales. What else ?

Tous ces pays ont baissé pavillon devant la globalisation, où ils se sont dilués. Mais que vient faire la Russie dans cette danse macabre après deux années de guerre civilisationnelle ouverte ? Introduire le drapeau et l’hymne dans toutes les écoles du pays ne sera pas suffisant pour produire des patriotes, c’est-à-dire qui personnes qui aiment et respectent leur pays en toute conscience et connaissance, cela produira simplement des idiots qui chanteront l’hymne national. 

Cette année, les quatre cinquièmes des étudiants de première année à la faculté de droit de l’Université d’Etat de Moscou ont été incapables de valider leurs matières du premier coup. Il y a une dizaine d’année, la proportion était d’un tiers … Ces résultats donnent l’alerte, parce qu’à la différence d’autres établissements supérieurs, celui-ci ne s’est pas «adapté» : il n’y a pas revue à la baisse des exigences, ni transfiguration des examens en «projets personnels». En sortant de l’école russe aujourd’hui, la majorité des jeunes sont inadaptés à l’Université, que ce soit au niveau de leur culture générale, de la méthodologie ou du rapport hiérarchique.

A ce rythme-là, quelle sera la société de la prochaine génération ? Tout ne peut toujours être ludique, facile, sans effort. Si l’on ne réintroduit pas la culture de l’effort dans l’enseignement, si l’on ne restaure pas la systématicité des connaissances fondamentales à l’école, aucune bataille sur le front ne permettra de sauver le pays. Il aura déjà disparu, ne sera plus qu’une parodie de lui-même.

Par Karine Bechet-Golovko