Billet du jour : le conflit des «patriotismes» en Russie

Le patriotisme des uns, n’est manifestement pas celui des autres. Et il ne peut en être autrement, quand les différentes élites d’un pays ont des «patries» différentes. En temps de paix, il est possible de détourner pudiquement le regard de cette fracture, en espérant qu’avec un coup de baguette magique, elle se résorbera d’elle-même. En temps de guerre, la situation est autrement dangereuse. Quelques exemples de ces poussées anti-russes au quotidien. A moins de reconnaître, grâce à une fausse tolérance, que chacun ait sa Russie, donc qu’il n’y ait pas de Russie … Ce qui est d’ailleurs la position des globalistes.

Un article intéressant est sorti dans l’hebdomadaire Zavtra, dont Prokhanov est le rédacteur en chef, sous le titre de «Sabotage sans fioritures«. 

Ainsi, Prokhanov a sorti un recueil de poèmes, dédiés à la guerre en Ukraine. Entre autres, ce recueil était en vente sur les plateformes numériques, notamment celle de Sber (de notre fameux German Gref, héros national de la globalisation). Or, il y fut interdit. Purement et simplement. Lorsque les éditeurs se sont renseignés pour en connaître le fondement, la réponse fut simple et claire :

«Le produit est interdit de diffusion sur la plateforme «Megamarket». En raison de la situation politique instable, les produits qui peuvent provoquer un conflit intérieur sont interdits à la vente sur la plateforme.«

Ainsi, un recueil de poèmes sur la guerre en Ukraine peut déstabiliser la situation politique en Russie, au point d’envisager un conflit intérieur ? Approche intéressante … Il faut rester «neutre». Mais cette neutralité a un sens très précis — ne pas soutenir la position de la Russie, ni sa culture, ni sa civilisation.

Cet exemple me rappelle un autre incident. En mai 2022, des caissières du supermarché à côté de chez moi viennent me parler, choquées : la direction de la chaîne de magasins Perekrestok leur a interdit, alors qu’elles le voulaient, de porter le ruban de Saint-Georges pour le 9 mai. Il fallait, paraît-il, rester neutre … Neutre par rapport à quoi ? A l’histoire ? A la patrie ? A la Russie ?

Le journal Zavtra appelle cela par son nom — du sabotage. Pur et simple.

Autre exemple dans l’article, cette fois-ci avec la plateforme Ozon. Un ouvrage sur le nazisme ukrainien d’un docteur en sciences historiques, Vardan Bagdassarian, s’est vu retiré par les modérateurs de cette plateforme. Alors que la vingtaine de commentaires publiés par des lecteurs étaient tous positifs, lorsque l’édition s’est renseignée sur les motifs, on lui a répondu qu’Ozon avait reçu un grand nombre de plaintes concernant «la qualité du produit» et qu’il faut vérifier chaque plainte individuellement. La plateforme refuse de préciser le délai de remise en ligne … Manifestement le retrait est sine die. D’autant plus, qu’il est objectivement impossible de vérifier quelles sont ces plaintes, si elles existent vraiment, ni qui les a envoyées.

Donc, un ouvrage est un produit, dont il faut vérifier la qualité. Passons. Un peu comme un frigo, qui aurait un défaut de fabrication et qu’il faudrait retirer de la vente pour la sécurité des utilisateurs. Imaginez que le livre vous explose au visage, il faut en effet, faire attention … Sauf que normalement, c’est le fabricant qui doit vérifier la qualité, en l’occurrence l’édition … Cette plateforme, Ozon, ne fait que de la censure.

Encore une cerise sur le gâteau globaliste russe, dont la chantilly semble déborder de partout, jusqu’à écoeurement. En regardant un feuilleton de la chaîne fédérale russe NTV, non pas à la télévision, mais sur leur site, vous avez beaucoup de publicités, diverses et variées, sans grand intérêt. Sauf une. Surprenante. Hier soir. Comment faire facilement et rapidement une demande de visa pour les Etats-Unis. Une question d’actualité … commerciale … évidente.

A la chute de l’URSS, la Russie a plongé corps et âme dans le néolibéralisme soutenant la globalisation. Après deux années de guerre, elle n’en est toujours pas sortie et il serait naïf de penser qu’en cette période de conflit radical et actif, un front intérieur ne sera pas ouvert, que ces élites, Ô combien patriotiques globalistes, ne seront pas activées, justement pour défendre leur patrie contre la Russie.

Par Karine Bechet-Golovko