Billet du jour : Navalny, n’est pas l’Archiduc
La mort d’Alexeï Navalny, devenu opposant professionnel après avoir été escroc, est intervenue justement le premier jour de la Conférence de Munich, alors qu’il était incarcéré dans une colonie pénitentiaire de la région de Yamalo-Nénétsie, dans le nord de l’Oural. Son poids politique ne cessait de baisser en Russie, bien avant son interpellation, l’Occident a ainsi obtenu — et au bon moment — sa victime sacrificielle. Pourtant, Navalny n’est pas l’Archiduc, sa mort ne produira aucune onde de choc en Russie et elle ne sortira pas les pays atlantistes de leur impasse face à la Russie. C’est n’est, au-delà du décès d’un être humain, qu’un événement médiatique et non politique.
Le 16 février, en rentrant d’une promenade, Alexeï Navalny a fait un malaise et a perdu connaissance. Le SAMU a été immédiatement appelé. Pendant près d’une demi-heure, les médecins ont tenté de le ranimer, sans résultat. Après quoi, la mort a été constatée. Désormais une enquête est ouverte afin de déterminer les causes du décès. Le corps ne peut en effet être rendu pour l’instant, il faut d’abord que l’enquête se déroule. Ensuite, les formalités pourront avoir lieu.
L’Occident a obtenu sa victime sacrificielle. Au deuxième essai, cela a marché. Rappelons que Navalny fut empoisonné et sauvé in extremis grâce aux médecins russes d’Omsk. Ensuite, il fut rapidement envoyé vers l’Allemagne (étrange) par une compagnie très spéciale, la Fondation Cinema for Peace, pour être soigné dans une clinique spéciale pour «empoisonnés politiques», puisque c’est dans cet établissement que le candidat ukrainien atlantiste Iouchenko a été préparé, pardon soigné. Navalny a ainsi gagné une seconde vie politique (voir notre article ici). C’est alors l’époque glorieuse du highly likely Novitchok, on en trouve partout, manifestement l’Occident a depuis épuisé ses réserves — médiatiques — sur le sujet. Rétabli, Navalny ne se presse pas de rentrer en Russie, viole ainsi les conditions juridiques de sa liberté conditionnelle, dans cette affaire pour escroquerie et détournement à des fins personnelles des fonds, qui lui ont été versés pour son action (voir notre texte ici). Finalement, il est renvoyé en Russie par ses sponsors, afin de rentabiliser l’investissement, puisqu’il doit être interpellé à son arrivée.
Il faut dire que sa carrière n’est pas exceptionnelle, pourtant ce n’est pas faute de financer ses «partisans». Pour se rafraîchir la mémoire, jetez un oeil sur cette investigation d’un journaliste sur le financement des manifestations échouées de 2019 (lire le texte ici), qui furent le baroud d’honneur de Navalny — et comme nous le voyons aujourd’hui son coup de grâce. Même lorsqu’il a tenté une carrière politique en 2013, ce fut un échec. Il lui a fallu accepter l’aide du parti au pouvoir pour pouvoir réunir les signatures, tellement sa popularité est faible en dehors des réseaux médiatiques étrangers, et finalement perdre de très loin (voir notre texte ici).
Autrement dit, vivant, Navalny ne représente rien. En revanche, mort, il peut au moins être utilisé. Il faut dire que les journalistes de tous bords y contribuent. Ici comme partout l’indignation est sélective :
Des alignés traditionnels aux bobos soi-disant indépendants, tous refusent de réfléchir. Les résultats de l’enquête n’intéressent personne, ils ont besoin du cadavre de Navalny et ils en ont besoin maintenant.
Et l’on a droit à tous les clichés. Sans entrer dans le détail, cela ne le mérite pas, l’on précisera juste que les Goulags, qui correspondent aux bagnes que la France a connus, ont été fermés encore à la fin des années 50 du siècle dernier et que cette région arctique est une région, certes froide, mais habitée … Comme il est difficile pour nos bobos parisiens, si «indépendants» soient-ils, de comprendre qu’il puisse y avoir une vie dans les zones froides, en dehors de Megève, je n’insisterai pas.
Chacun y va de sa condamnation de la Russie en général et de Poutine en particulier. Biden estime évidemment Poutine responsable de la mort de Navalny et pourquoi pas adopter de nouvelles sanctions à cette occasion. Et puisque les sanctions ne fonctionnent pas comme attendu et que leur coût est élevé pour ceux qui les adoptent, il faut aller plus loin. Borrell d’ailleurs assure l’alignement européen sur la ligne américaine. La Veuve reprend, en tout cas tente de reprendre la place un peu refroidie du mari éploré — le combat continue, le fond de commerce aussi. Le NYT ne cesse de l’annoncer, on va bien finir par y croire.
Récapitulons et posons-nous les questions que nos journalistes refusent désespéremment de soulever.
Que représentait Navalny vivant ? Que représente-t-il mort ?
Vivant, Navalny était oublié en Russie, il fut un investissement à perte. Avant son interpellation, il faisait en gros 2% d’opinion favorable et n’a pas rempli son contrat : il n’y a pas eu de Révolution de couleur en Russie, la population ne l’a pas suivi. Vivant, Navalny n’est pas devenu une icône. Mort, en revanche, il est possible de relancer la communication, il devient comme Nemtsov, une «photo» qu’il est possible de ressortir de temps en temps. Finalement, il est plus utile mort que vif.
Quel est l’intérêt de la Russie à tuer Navalny maintenant ?
Navalny ne représente aucun danger politique en principe. Le soutien de la population au pouvoir est réel, même s’il y a évidemment des opposants, comme partout. Surtout en période électorale, le pouvoir russe n’avait aucun besoin de faire ce cadeau médiatique à l’Occident, ni de lui offrir une victime sacrificielle. La Russie n’avait donc aucun intérêt à la mort de Navalny.
A qui profite le crime ?
Le décès de Navalny intervient le premier jour de la Conférence de Munich, où comme par hasard son épouse est présente et peut ainsi intervenir devant les journalistes. Les chefs d’Etat, les responsables otaniens et européens, chacun porte son accusation. La chorale peut chanter. Par ailleurs, le décès de Navalny permet de réorienter la communication : il nullifie l’effet de comm de Carlson, qui n’a pas été digéré en Occident, et il permet d’éviter de parler de la reprise d’Avdeïevka par l’armée russe, donc de la défaite de l’armée atlantico-ukrainienne.
Le crime profite donc ouvertement à l’Occident. Mais uniquement médiatiquement. Car il n’apportera aucune valeur ajoutée dans la politique réelle. Navalny n’est pas l’Archiduc, les accords ne se mettront pas en route pour lancer les armées européennes les armes à la main jusqu’à Moscou. En réalité, la mort de Navalny n’est qu’un événement médiatique. Elle ne rendra pas les sanctions adoptées contre la Russie miraculeusement efficaces. Elle ne résoudra pas le problème de la guerre menée par les Atlantistes en Ukraine : s’ils veulent renverser la tendance, il faudra y envoyer leurs troupes, et les populations ne sont pas prêtes encore. S’il faut envoyer des armes, il faut les produire. Or, l’industrie a été détruite au chant du post-industriel et il faudra du temps pour la reconstruire et trouver des personnes compétentes et formées, à autre chose qu’au wokisme, pour y travailler.
Navalny remplit finalement le rôle qu’il a toujours rempli, celui de l’intermède médiatique. C’est triste quand même de voir des gens détruire ainsi leur vie, pour finir exploités, jusque dans la mort.
Navalny n’est pas l’Archiduc, même si les accords bilatéraux conclus par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne avec l’Ukraine (voir notre texte ici) nous renvoient à une autre guerre et rappellent dangereusement les années 30. Et finalement la dernière question qu’il est urgent de se poser : le cours de l’histoire est-il à ce point implacable, qu’il se poursuit au-delà de la faiblesse des figures qui la portent ?
Par Karine Bechet-Golovko