Billet funéraire : les banques suisses menacent les clients russes de fermeture de leur compte
Le contrôle bancaire en Suisse se renforce à l’égard des clients russes, suite à la pression exercée par les Etats-Unis et les pays du G7 au sujet de l’utilisation des actifs russes gelés. Pour l’instant, il s’agit plus d’intimidation, en dehors de tout cadre légal, et d’une intimidation sélective, que d’une véritable démarche juridique. Ce conflit en Ukraine fait décidément tomber tous les masques, même celui des banquiers suisses et de l’état de droit en Europe.
Selon un avocat du bureau suisse Leolex, tout a commencé il y a environ un mois de cela. Je cite :
«Une dizaine de personnes se sont adressées à notre cabinet d’avocats, pour avoir reçu des appels jusqu’à présent informels d’employés de banque les avertissant, que s’ils ne cessent pas d’être propriétaires d’entreprises situées en Russie et de payer des impôts, la banque devra fermer leur compte, mais cela n’a pas encore été suivi d’actions officielles. Les banques agissent de manière sélective, non pas systématique.»
Appels téléphoniques, menaces, le tout sans trace, nous sommes bien dans l’intimidation. Il faut dire que le fondement est en dehors de tout cadre légal, puisque l’explication apportée est que, en payant des impôts en Russie, ces clients soutiennent le budget d’un Etat, qui déstabilise la situation en Ukraine. Dixit.
Un autre avocat a déclaré, qu’un de ses clients a déjà vu son compte fermé à la banque UBS, en raison des impôts qu’il paie en Russie. Ces avocats estiment que les banques suisses agissent sous la pression du Gouvernement fédéral, qui lui-même agit sous la pression des Etats-Unis et des pays du G7, en raison, et de la faible quantité d’actifs russes gelés, et du blocage de la question de leur spoliation.
La Suisse n’étant pas en guerre contre la Russie, elle utilise le droit de l’ennemi sans base légale. Et les conséquences ne sont pas négligeables, dans la mesure où il s’agit véritablement d’une déconstruction des mécanismes de l’Etat de droit dans nos pays d’Europe. La question qui se pose est en fait celle de la remise en cause des principes juridiques au fondement du libéralisme.
Selon le ministre suisse des Affaires étrangères Ignazio Cassis, l’utilisation des actifs russes gelés exigée par le clan atlantiste est possible, mais elle demande une révision législative, voire constitutionnelle. Comme l’a déclaré le ministre dès janvier au Zuger Zeitung:
«Cassis déclare : «Il y a déjà une pression internationale pour que tous les États participent, y compris nous.» Selon la loi en vigueur, cependant, il n’est pas possible d’exproprier des avoirs gelés. «Nous ne pouvons pas simplement prendre de l’argent qui ne nous appartient pas parce que nous pensons que c’est moralement juste», a expliqué le ministre des Affaires étrangères dans l’interview.»
Et d’aller plus loin : la Suisse est une place financière sûre, elle respecte le doit de propriété — il est possible de remettre tout cela en cause, mais il faut trouver la bonne forme juridique pour que l’enterrement se passe dans les règles.
«Si vous voulez donner cet argent à l’Ukraine, vous avez besoin des ajustements juridiques internationaux et nationaux appropriés», déclare Cassis. En Suisse, selon toute vraisemblance, un référendum serait nécessaire.
Cela devrait également conduire à des discussions sur l’avenir de la place financière, qui pouvait alors difficilement être considérée comme une valeur refuge. Interrogé à ce sujet, Cassis affirme que les droits de propriété font partie de la Charte des droits de l’homme et sont donc tenus au même niveau que la liberté d’expression.
«Théoriquement, vous pouvez renverser les deux, mais vous devez réfléchir à la façon de le faire», explique Cassis. Il évoque les travaux du groupe de travail «Freeze and Seize» mis en place par l’UE. Ceci est en train de «déterminer les options d’action».»
Ainsi, la Suisse est prête à tirer un trait sur son histoire, sur ses principes. L’important est que formellement, cela soit joliment mis en forme. C’est à ce moment, où l’on comprend que l’Etat de droit et les libertés déclarées dans les pays européens ne sont plus qu’une carcasse vide, la forme l’a emporté sur le fond.
Conduire un peuple à renier les principes, sur lesquels il s’est construit, est un moyen très sûr pour le détruire. En se reniant ainsi, l’Europe, celle que l’on aime, celle que l’on connaissait, semble au bord du suicide.
Karine Bechet-Golovko