Billet politique : ce sulfureux échange de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine
Hier, le premier jour de la mobilisation en Russie a commencé par une dissonance importante : l’échange déséquilibré des prisonniers entre l’Ukraine et la Russie, que les médias occidentaux présentent de manière lapidaire, mais assez juste, comme un échange entre plus d’une centaine de néonazis d’Azov et Medvedchuk. Peskov, le porte-parole du Kremlin refuse de commenter cet étrange accord et Erdogan est aux anges, son travail de sape politique est toujours aussi efficace. Si l’on avait voulu tenter de briser l’élan patriotique et entamer la légitimité de Poutine, l’on n’aurait pas choisi une meilleure date et de meilleurs moyens.
Hier, la Russie, grâce aux bons offices atlantistes de la Turquie, a échangé 215 prisonniers étiquetés «ukrainiens», dont 108 membres du bataillon néonazi Azov, contre … 55 prisonniers russes en Ukraine (5 combattants du Donbass et 50 militaires russes) et Medvedchuk.
Humainement, l’on comprend leur soulagement et celui de leur famille. Le ministère de la Défense explique cet échange en précisant qu’ils étaient en danger vital. Désormais, ils sont pris en charge médicalement, avant de retourner dans leurs familles.
Le problème est ailleurs. En fait, les problèmes sont ailleurs.
55 + Medvedchuk contre 215, cela veut dire que 1 Medvedchuk vaut beaucoup de Russes — prisonniers. Etiqueté «pro-russe», il l’a été de manière assez équivoque, mais il est un proche de Poutine. Il est manifestement des amitiés, qui coûtent très cher. Et peuvent avoir un coût politique. Surtout, quand au départ, Poutine avait justement résisté et rappelé, qu’il n’y avait pas de raison à un échange, puisqu’il est Ukrainien et faisait sa vie en Ukraine.
Sur les 215 Ukrainiens échangés, 108 sont du groupe néonazi Azov. Ceux-là même qu’il fallait juger au procès de Mariupole, qu’il ne fallait pas rendre (selon une déclaration de la Douma), car ils n’avaient pas de statut de prisonniers de guerre, étant des néonazis, ceux-là même, qui étaient soupçonnés de crimes de guerre. C’est une grande victoire politique, et pour l’Ukraine, et pour les Atlantistes.
5 commandants d’Azov sont pris en charge en Turquie en attendant la fin des combats, en tout cas un certain temps pour se faire oublier et être exfiltrés. Mais ce n’est pas tout :
«En plus, selon des correspondants militaires, 10 mercenaires étrangers ont été envoyés en Arabie saoudite, dont les citoyens britanniques Aiden Aislin, Sean Pinner, Andrew Hill, John Harding et Dylan Healy, les Américains Alexander Dryuke et Andy Hyun, le Marocain Ibrahim Saadoun et le Croate Vekoslav Prebeg. Tous étaient sous le coupe de la peine capitale, et certains d’entre eux y ont été condamnés en RPD.»
Comme l’a déclaré Erdogan, c’est un grand pas vers la fin des combats. La paix? D’accord, mais quelle paix ? Les paix des uns, sont les défaites des autres. Car Erdogan n’a pas précisé, qui devait dans ce cas capituler, c’est-à-dire cesser les combats.
Et cela, le jour de la mobilisation partielle, après un beau discours patriotique de Poutine la veille et des négociations passées en parallèle avec la Turquie et l’Arabie Saoudite, qui était reçue en grande pompe à Moscou il y a quelques jours.
Les réactions sont passées de l’incompréhension totale, à la verte critique. Surtout quand Peskov a très courageusement refusé de commenter cet échange, ajoutant encore de l’huile sur le feu médiatique. C’est pourtant son rôle, en tant que porte-parole du Kremlin, de lisser les situations politico-sociales à risque. Mais il existe parfois tout un monde entre la théorie et la pratique … parfois même tout un pays.
Et les principales de ces questions sont simples et sont posées par un politicien de Kherson : si cet échange est une bonne chose, pourquoi ne pas le commenter ? et s’il est une mauvaise chose pour la Russie, pourquoi le faire ? Et surtout ce jour-là. Je ne suis pas certaine que ce soit cette partie de la Russie vers laquelle ces territoires veulent s’intégrer. Le message ainsi envoyé la veille de l’ouverture du référendum est un cercueil politique.
Ramzan Kadyrov s’est fortement prononcé hier soir et en a tiré les conclusions qui s’imposent : ne plus faire de prisonniers néonazis. Son texte a été très largement repris. Voici l’intégralité de son message :
«Extrêmement mécontent de l’échange d’hier. La situation en elle-même est incompréhensible pour moi.
Chaque fois que des décisions de combat ou tactiques étaient prises, nous, participants actifs à l’opération spéciale, étions consultés. Et ici…
Je comprends qu’au sommet du ministère de la Défense et du FSB ils savent mieux, mais je crois que les criminels reconnus comme terroristes ne peuvent pas être échangés contre des militaires. Je comprendrais s’il y avait un échange équivalent — un soldat pour un soldat, un agent pour un agent. Nous avons beaucoup de prisonniers des Forces armées ukrainiennes, tu peux en échanger à cent en un, il en restera toujours.
Nous avons fait l’échange suivant les conditions ukrainiennes. Ce n’est pas correct. Nos combattants ont écrasé les fascistes à Marioupol, les ont chassés dans Azovstal, les ont enfumés des sous-sols, sont morts, ont été blessés et ont été choqués. Le transfert d’un seul de ces terroristes d’Azov aurait dû être inacceptable. Et par conséquent, il n’est pas surprenant que les combattants, qui ont libéré Marioupol et sont maintenant à l’avant-garde tirent leur conclusion — ne faites pas de prisonniers nazis.
Soit dit en passant, ceux des nazis qui ont insulté l’honneur du peuple tchétchène pendant leur captivité ont pleinement répondu pour chacun de leurs vils mots, ont amèrement regretté et se sont repentis en larmes de leur acte.
Je le répète, ce qui précède est mon opinion personnelle, et cela n’affecte en rien notre principe fondamental inébranlable : tout ordre du commandant en chef suprême est exécutable!»
En soi, cet échange ne va pas changer le cours de la guerre et il ne faut pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a. Ce qui est important, ce sont les référendums, c’est la réalité de la mobilisation et la manière, pour la Russie, dont les combats sur le terrain vont se dérouler. En revanche, cet échange de prisonniers est nauséabond et constitue une erreur politique. Quelques remarques dans le désordre.
Sur le plan moral, il est une insulte pour les militaires russes, qui se retrouvent pris au milieu de ces jeux les mettant finalement au même rang que des néonazis ukrainiens et auxquels on reconnaît de facto une valeur moins importante qu’un à politicien ayant joué son jeu. Dans le même temps en Ukraine, ces néonazis sont accueillis comme de véritables héros. La dénazification se porte à merveille.
Le procès de Mariupole perd son sens et la notion même de procès international est ici discréditée, alors que Blinken déclarait au même moment à l’ONU que Poutine ne devra pas s’en tirer comme ça, qu’il faudra mettre en jeu sa responsabilité. La Russie vient de se priver d’une arme.
Quand la parole donnée («on va les juger»; «non, on ne va pas l’échanger») n’a plus de valeur, quand elle est situative et changeante (sans que les ressorts de ce changement soient dicibles), l’on revient à la force. Le droit a perdu, reste l’exécution primaire.
Medvedchuk … l’ami. Staline a envoyé ses fils à la guerre et son fils, Yakob Djougachvili était soldat (non pas officier supérieur planqué, comme les fistons le seraient aujourd’hui). Il a été fait rapidement prisonnier. Les Allemands se sont dit que ce serait une excellente monnaie d’échange, un moyen de pression sur Staline. Yakob a refusé de collaborer avec l’ennemi et plusieurs opérations pour le sauver ont été menées, mais ont échouées. Après la bataille de Stalingrad, les Allemands ont voulu l’échanger, pas contre un soldat, mais contre le Maréchal Friedrich von Paulus. Staline a répondu : «Je n’échange pas un soldat contre un maréchal«. L’intérêt de l’Etat a prédominé sur l’intérêt personnel, nous n’étions pas non plus à l’époque des bisounours.