Déclaration de Bruxelles : quand l’opposition radicale russe reconnaît malgré elle l’impasse juridique de la CPI

Suite à la réunion tenue à Bruxelles, regroupant les classiques de l’opposition radicale russe, une Déclaration a été adoptée, visant à insister sur la nécessité d’un tribunal international contre la Russie et contre Poutine, même si les signataires de cette déclaration reconnaissent au passage l’impasse juridique. Le monde globaliste tourne en rond : soit abandonner l’idée d’un tribunal jusqu’à la fin du conflit (avec le risque que ce tribunal soit organisé contre lui ensuite), soit détruire définitivement les institutions juridiques pour créer un monstre politique — sous l’égide de ces pantins d’opposition.

Comme nous en avions parlé, début juin le gratin réchauffé de l’opposition radicale russe se baladait à Bruxelles pour crier encore une fois contre «le régime de Poutine» et répéter leur allégeance au clan globaliste atlantico-centré (voir notre texte ici). Rien de nouveau de ce côté-là, toujours les mêmes têtes, toujours le même discours, l’on ne sent aucune impulsion particulière depuis le début de la réponse militaire russe en février 2022.

Après cette réunion entre-soi, une Déclaration pompeusement appelée de Bruxelles, a été adoptée et signée par … 26 juristes ou affilés. Ici non plus, ça ne soulève pas les masses, ni du point de vue de la quantité, ni au regard de la qualité des signataires. Sur le fond, ils appellent la fameuse communauté internationale, l’ONU et la CPI, à condamner la Russie et Poutine … tout en soulignant que la Russie ne reconnaissant pas la compétence de la CPI, les possibilités d’action de celle-ci sont limitées.

Tout d’abord, le site Meduza, média anti-russe basé à Riga, souligne lui-même l’incompétence de la CPI:

«Mi-mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a émis un mandat d’arrêt contre Poutine : il est soupçonné d’avoir déplacé illégalement des enfants des territoires occupés de l’Ukraine vers la Russie. Cependant, la CPI fonctionne sur la base du Statut de Rome, que Moscou n’a pas ratifié, et, par conséquent, la Fédération de Russie ne reconnaît pas sa compétence.»

Ensuite, dans le corps de la Déclaration, les signataires appellent donc à la création d’un tribunal international très spécial, puisque objectivement la CPI ne peut rien faire :

«Considérant que le crime d’agression, par définition, peut être commis par les dirigeants politiques et militaires de l’État, ainsi que l’incapacité de la CPI à exercer sa compétence sur ce crime dans la situation en Ukraine, nous soutenons l’initiative de l’Ukraine, d’autres États et organisations internationales à établir un tribunal international spécial pour le crime d’agression. (…) Un tel tribunal serait en mesure d’exercer sa compétence indépendamment de la position officielle des accusés et des immunités dont ils peuvent bénéficier en vertu du droit international et national.»

Soit, il s’agit bien d’une volonté de mettre fin aux institutions juridiques internationales, dans le sens direct du terme, à savoir entre les nations souveraines, soit il s’agit d’une pure opération de comm, sur le mode «il faut bien faire quelque chose, alors faisons n’importe quoi«. Car créer un tribunal «international» pour un crime particulier ne lui confère pas automatiquement une compétence personnelle, c’est-à-dire in personam. Les ressortissants d’un Etat ne pourront toujours être poursuivis par ce tribunal, que si l’Etat reconnaît sa compétence. Or, évidemment, la Russie ne reconnaîtra pas la compétence de cette parodie judiciaire. La boucle est bouclée.

Et l’on en revient toujours à la même impasse pour eux : créer un tribunal spécial dans le cadre de l’ONU, oblige de passer par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, où la Russie détient le droit de veto. Donc ceci n’a pas plus de perspective juridique que la CPI.  Sauf à décider de faire fi des règles de droit, de violer justement le droit international sur lequel ces personnes soi-disant s’appuient, et d’imposer un organe politique à la Russie. Ceci serait possible dans un seul cas : si le clan atlantiste remporte la victoire militaire et idéologique dans le conflit en cours, ce qui est loin d’être le cas pour l’instant.

Une telle faille dans le raisonnement juridique montre l’activisme politique des signataires. A ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur deux personnes.

L’une est Grigori Vaïpan. Ce n’est pas tant lui qui est intéressant, que papa. Fiston a étudié notamment à l’Université d’Etat de Moscou (où papa est vice-Recteur, toujours à ce jour), fait un stage aux Etats-Unis après avoir remporté avec l’équipe de son université la célèbre coupe Jessup et est revenu en Russie pour se lancer dans l’activisme judiciaire très orienté. Donc fiston signe la Déclaration et papa, Viktor Vaïpan, continue sa carrière au sein de l’Université publique, la 1ère du pays, au poste de vice-Recteur pour le développement des technologies innovantes — très global trend et pas trop scientifique. Notons qu’il est  vient juste d’être nommé au poste de directeur du nouveau Centre de l’informatique juridique de la faculté de droit. L’activisme anti-russe de son fils n’empêche donc en rien sa carrière.

L’autre est Gleb Bogush, passé lui aussi par la faculté de droit de l’Université de Moscou comme maître de conférences, ensuite parti pour raison de proximité idéologique à l’Ecole supérieure d’économie et logiquement termine à l’Université de Copenhague, comme … assistant. Belle carrière, rien à dire … Comme le premier, il est très présent dans les médias anti-russes, mais surtout il fait partie d’un Centre très spécial dans cette Université, le Centre d’excellence pour les tribunaux internationaux. Ce Centre fait partie du programme ICourts, développé au sein de la faculté de droit de l’Université de Copenhague, portant, je cite, sur l’augmentation du rôle central des tribunaux internationaux dans l’ordre global, de leur importance sur la politique nationale et l’évolution de la société concernée.

Pour le reste, nous sommes bien confrontés à un mouvement, tentant de regrouper quelques juristes russes, afin de donner une «légitimité» à cette mouvance globaliste et un voile national (devant contrer l’accusation d’ingérence, pourtant bien réelle), dans le but de détourner les instances juridiques classiques et de porter une accusation politique contre la Russie et son Président. Ceci perpétue la «tradition», développée depuis le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, d’instrumentalisation de la justice pénale internationale dans le déroulement des conflits. Pourtant, concrètement dans ce cas, le résultat n’est pas franchement très reluisant …

Karine Bechet-Golovko