Déglobalisation : l’intégration des bataillons de volontaires au sein de l’armée russe et le refus de Prigogine

Au 1er juillet, tous les bataillons de volontaires doivent avoir passé un contrat avec l’armée et ainsi entrer dans un corps unique, tant pour les droits que les devoirs. Cette normalisation de la situation est à saluer, puisque ce conflit n’est pas une opération à l’étranger ou une opération ponctuelle anti-terroriste, mais bien une guerre traditionnelle de libération du territoire national russe. Il n’y a pas alors de place pour les ambitions privées et les contrats lucratifs, ce qui par ailleurs oblige les cadres de l’armée régulière à adapter leur vision des choses à la réalité de la situation et aux enjeux existentiels pour la Russie. L’on notera que si Kadyrov a été l’un des premiers à faire signer ses volontaires, Prigogine à son habitude a insulté l’armée et refusé. 

La normalisation du statut des différentes composantes combattantes de l’armée russe s’est accélérée depuis novembre 2022. Il s’est agi tout d’abord de l’initiative parlementaire, visant à reconnaître aux combattants des bataillons de volontaires le statut de vétéran de guerre. Ensuite, le Président russe a soutenu un amendement visant à reconnaître aux volontaires les avantages sociaux, accordés aux militaires. Enfin, le ministère de la Défense russe vient d’adopter un arrêté, selon lequel tous les bataillons de volontaires doivent passer un contrat avec l’armée russe d’ici le 1er juillet. 

La logique de cette démarche est simple et saine : une armée ne peut pas mener une guerre, quand ses composantes ne sont pas unies sous un même commandement. Sinon, l’on en arrive à la situation de l’Ukraine de Petloura. 

Il est important de réaliser cette mesure aujourd’hui quand un nombre toujours plus grand de citoyens russes veulent aller défendre leur Patrie — qu’ils entrent dans l’armée. Comme le déclare le vice-ministre de la Défense Pankov :

«Pendant les dix jours du mois en cours, plus de 13 500 personnes ont été embauchées sous contrat, soit 2,1 fois de plus que pour la même période en mai, et 3,1 fois de plus qu’en avril 2023.»

Selon le vice-ministre, il y a aujourd’hui plus de 40 bataillons de volontaires, qui se battent aux côtés de l’armée régulière sur le front. Afin de renforcer l’efficacité générale de l’armée russe, il est nécessaire d’harmoniser le statut et le commandement.

Deux réactions diamétralement opposées ont suivi cet arrêté. D’un côté, Akhmat Kadyrov a immédiatement salué l’initiative et fait passé ses bataillons «Akhmat» sous contrats avec l’armée.

D’un autre côté, nous avons Prigogine, qui insulte l’armée et refuse que ses bataillons et les hommes, qui s’y battent, passent sous contrat avec l’armée. 

» Ces décrets et arrêtés que Choïgou adopte, ils s’appliquent aux employés du ministère de la Défense et au personnel militaire. La Société militaire privée (SMP) «Wagner» ne signera aucun contrat avec Choïgou. La SMP «Wagner» est organiquement intégrée au système général, la SMP «Wagner» coordonne ses actions avec les généraux à droite, à gauche, avec les commandants d’unité, a l’expérience la plus profonde et est une structure très efficace», a déclaré Prigogine.»

Bref, le business sent le brûlé … Car sa «petite entreprise» n’a de sens — et n’est rentable — que si l’armée reste postmoderne. Si elle revient vers une armée d’hommes, Wagner va revenir à son but initial — des opérations coups de poing à l’étranger, quand l’armée nationale ne peut officiellement agir. Et cela est beaucoup moins rentable que ce conflit …

Rappelons que Prigogine fait partie de ces «hommes d’affaires» des années 90, qui sortis des prisons pour escroquerie ou vol, ont décidé d’en faire leur business, comme ces années troubles leur en ont donné la possibilité. Manifestement, la mentalité reste la même et dès qu’il sent le danger, sa nature profonde reprend le dessus. 

Kadyrov l’a parfaitement remis en place en lui rappelant, qu’il n’est pas nécessaire d’insulter le commandement militaire, ni de faire du chantage : dans une guerre, objectivement, il manque toujours quelque chose — pas assez d’hommes, pas assez de munitions. Un bon commandant est celui qui arrive justement à remplir sa mission dans des conditions réelles et non pas dans des conditions idéales. Je cite:

«Marioupol, sur qui l’attention du monde entier était rivée a été prise en un temps record avec un nombre de personne beaucoup plus réduit. Pas en 10 mois, comme Artiomovsk (Bakhmut), qui est trois fois plus petit que Marioupol, mais en un plus de deux. Vous sentez la différence? Il n’y avait pas non plus assez d’obus, mais notez qu’il n’y a pas eu une seule déclaration adressée au ministère de la Défense. Des milliers de membres d’Azov et de nazis effrayés se sont rendus, le pantalon baissé, sentant qu’ils ne pourraient pas s’échapper de la ville. Et quelles unités, après cela, peuvent être considérées comme plus efficaces? La réponse est évidente.»

Faire ces déclarations incessantes dans les médias est non seulement contre-productif, mais dangereux pour la stabilité intérieure du pays, surtout en période de conflit armé. Rappelons certaines sorties médiatiques de Prigogine. Par exemple, menacer «d’aller libérer Belgorod» si l’armée ne le peut pas, reprenant en cela la propagande ukrainienne de l’occupation d’une partie de ce territoire par les forces atlantico-ukrainiennes. Alors que tel n’est pas le cas, il introduit ainsi le doute dans l’esprit des gens sur le mode du «on nous cache quelque chose …». Ou quand Prigogine a accusé le ministère de la Défense d’avoir miné la voie de retrait d’Artiomovsk des forces de Wagner, ce qui a fait les choux gras de la propagande occidentale pro-ukrainienne.

Le problème n’est pas ceux qui se battent et risquent leur vie pour la Russie, que ce soit dans les rangs de Wagner ou d’autres bataillons, mais ceux qui les utilisent dans un intérêt personnel, qui prévaut sur celui du pays. Car rappelons que ces hommes se battent pour la Russie et pour le drapeau russe et non pas encore pour Prigogine et le drapeau de Wagner. Comme l’a rappelé Kadyrov, il faut comprendre que tout le monde travaille pour le même but, en tout cas, il le faudrait :

«À propos du commandant suprême. Aujourd’hui, tout le monde doit être ses assistants, pas des blogueurs. Il n’est pas nécessaire de faire monter ses abonnés au prix de critiques et de déclarations à la mode, comme aiment le faire les médias libéraux d’opposition. Il faut travailler pour le bien du pays et dans son intérêt. Après tout, plus tard, quand tout cela se terminera en faveur de notre patrie, il aura honte de son propre comportement»

D’un côté, nous avons un gouverneur de région, Kadyrov, un homme élu et faisant partie du système étatique, qui donc a une vision systémique des choses. De l’autre, nous avons un business man issu des années 90, qui a pris une ampleur qu’il ne peut objectivement maîtriser et qui doit être remis à sa place, pour ne pas devenir destructeur. Les visions et les intérêts ici divergent, comme encore Kadyrov l’a souligné:

«Il y a beaucoup plus de questions, que nous pouvons soulever et poser au soi-disant compagnon d’armes Prigogine. Par exemple, qui fournit divers produits alimentaires pour les besoins du ministère de la Défense de la Fédération de Russie et en tire un bon revenu stable ? Nous sommes au courant de tous les détails subtils de ce processus.»

Pour que cela soit possible, il faut en revanche une véritable reprise en main du ministère de la Défense. Et pas uniquement sur le plan de la communication, qui est principalement réduite à celle, dénuée de sens, d’un agent comptable. L’armée russe est une armée de temps de paix, qui s’adapte à marches forcées. Son commandement est celui de temps de paix, qui n’est pas encore formé à la guerre traditionnelle, qui se déroule aujourd’hui, comme tous les commandements militaires en début de conflit. Et ils sont dépendant des choix politico-idéologiques, faits par les élites dirigeantes, qui sont encore contradictoires. L’armée pourra se battre, et en intégrant les bataillons elle en prend la pleine responsabilité, que lorsque les élites y seront prêtes. Et elles en prennent, elles aussi, la responsabilité aujourd’hui.

Par Karine Bechet-Golovko