Dourov remis en liberté : combien cela a-t-il coûté ?
La grande saga politico-judiciaire du fondateur de Telegram, à la différence d’Assange, n’aura pas duré longtemps : le juge a remis Dourov en liberté. Certes, il devra deux fois par semaine aller pointer et s’allège d’une caution de 5 millions d’euros, mais nous sommes bien loin des mesures normalement adoptées en cas de crimes graves (dont il est accusé). La question reste alors : et qu’a-t-il offert ou promis d’offrir contre ce régime très allégé ?
Il était émouvant de voir toute cette agitation autour de la personne de Dourov, ce soi-disant héros sacrifié. En Russie, où il ne voulait pas revenir, des députés s’emballaient autour de la constitution d’un comité de soutien à Dourov, pour venir le sortir des geôles françaises … s’il n’était pas libéré à la fin de sa garde à vue. Les autorités françaises tremblaient, n’en doutons pas. Les plateformes alternatives en faisaient déjà un nouvel Assange — le public est friand de héros, il faut lui en servir régulièrement.
Bref, alors qu’il est saisi à la sortie de son avion au Bourget et mis en garde à vue prolongée pour crimes graves, alors qu’il est interrogé et mariné, le juge finalement l’inculpe … et le relâche. Selon le Parquet :
«Remis en liberté, Pavel Durov est astreint à un contrôle judiciaire lourd, qui prévoit l’obligation de remettre un cautionnement de 5 millions d’euros et de pointer au commissariat deux fois par semaine, et l’interdiction de quitter le territoire français»
Oui, c’est du lourd … Il est en liberté, doit uniquement deux fois par semaine venir prouver qu’il est toujours en France, sous peine de perdre les 5 millions d’euros qu’il a déposé en caution. Terrrrrible! Assange appréciera le coût du sacrifice de cet individu.
Rappelons au passage de quoi il est accusé :
«Le milliardaire a été présenté à deux juges d’instruction qui, selon un communiqué de la procureure de Paris, l’ont mis en examen au bout de plusieurs heures d’interrogatoire pour de nombreuses infractions : «refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi», complicité de délits et de crimes qui s’organisent sur la plateforme (trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée) et «fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme».»
Le but de cette opération est bien posé : il doit «collaborer» avec les services occidentaux, quand cela lui est demandé. S’il est ainsi remis en liberté et non pas placé en détention préventive pendant l’enquête, c’est qu’un marché a forcément été passé.
D’un autre côté, que peut-il réellement offrir ?
Même si l’on imagine que les frères Dourov sont les véritables cerveaux de Telegram, Pavel Dourov assure la comm, le véritable génie est son frère, beaucoup moins médiatisé car moins photogénique. Par ailleurs, si Telegram est utilisé en Russie par les autorités publiques, notamment militaires comme cela est sous-entendu de plus en plus ouvertement, il serait surprenant que les Dourov maîtrisent en vérité les clés de Telegram.
Il ne faut pas non plus négliger que la France, qui n’agit certainement pas de manière autonome dans cette affaire de «sécurité globale», ait pu surestimer l’autonomie de l’acteur. Est-ce que la Russie va continuer à se battre pour lui, au risque de se ridiculiser, pour faire sortir de France un individu, qui ne veut pas rentrer en Russie, cela va aussi être un élément dans ce puzzle.
En tout cas, tout ce qui brille n’est pas de l’or et Dourov n’est pas Assange.
Par Karine Bechet-Golovko