Elections à Moscou : du vote électronique à la victoire virtuelle de l’équipe de Sobianine
vendredi 1 octobre 2021
Ces élections législatives, qui se déroulaient également au niveau de certaines assemblées parlementaires locales dont Moscou, furent un (crash) test pour le Maire de la capitale russe, Sergueï Sobianine. Alors qu’il conduisait Russie Unie à la défaite face aux communistes, suite au résultat du vote dans les urnes, le miracle électronique a permis de totalement renverser la situation, avec un retard notable dans l’annonce finale des résultats. Sobianine l’avait manifestement prévu et insisté pour utiliser une autre plateforme que celle du vote fédéral, la sienne venant d’un projet atlantiste, bien implanté en Ukraine et en Géorgie. Si le Kremlin est assez mécontent de ce scandale, il est regrettable que les forces n’aient pas été tournées vers le renforcement de la stabilité du pays, qui passe par le respect de la volonté populaire et non pas par le soutien inconditionnel d’un individu discrédité, dont les soutiens étrangers devraient poser des questions …
Ces élections législatives ont été marquées par deux scandales, qui espérons-le pour la stabilité du pays, ne deviendront pas une tendance. A Saint-Pétersbourg, le vice-gouverneur a tellement fait pression sur certains bureaux de vote, que la Commission centrale électorale a dû annuler certains résultats et saisir le Comité d’enquête fédéral. Par «chance», la candidate d’opposition qui devait être écartée était la nièce de Sergueï Mironov, à la tête de Russie Juste, qui a d’excellentes relations avec la présidente de la Commission centrale électorale. Passons. Dans tous les cas, ce processus n’en ressort pas grandi.
Mais le pire s’est produit à Moscou. Alors qu’après le décompte des votes dans les urnes, les communistes étaient en tête à l’assemblée législative de la capitale, les résultats étaient suspendus aux résultats du vote électronique, qui très étrangement, n’arrivaient toujours pas.
Il faut préciser plusieurs choses. Tout d’abord, à la différence des autres régions (puisque Moscou, comme capitale, a le même poids institutionnel qu’une région), à Moscou les électeurs avaient le droit de modifier autant qu’ils le voulaient leur vote pendant 24 heures … Ensuite, la plateforme utilisée à Moscou était indépendante de celle utilisée au niveau fédéral et n’a pas été conçue en Russie. Enfin, tout à coup, 300 000 personnes ont modifié leur vote et les observateurs qui avaient un accès au vote numérique ont perdu l’accès 20h, en raison d’un «problème technique».
Finalement, le miracle numérique a eu lieu, faute du miracle électoral, et les soutiens de la Mairie de Moscou, Russie Unie, ont remporté les élections devant les communistes, renversant ainsi les résultats. Evidemment, les communistes ont appelé à manifester, rien de violent ni de phénoménal, mais pour marquer le coup. Certains, comme à Khabarovsk, furent interpellés, la chaîne fédérale NTV lance en vrac hier soir un pseudo-reportage sur les dérives du parti communiste, qui serait financé de l’étranger, soutenu par l’opposition radicale (qui a profité de l’occasion, sans être invitée, pour venir se montrer).
En revanche, aucun mot sur les liens du Maire Sobianine avec des structures atlantistes, soutenues par NED (mis en place par le Département d’Etat américain pour démocratiser à tours de bras, voire par la force), et d’étranges entreprises qui fonctionnent en Géorgie et en Ukraine. A ce sujet, un article est sorti dans le journal Zavtra (septembre-octobre, 2021, N° 38, p.2), en voici les grandes lignes.
Lors de ces élections, deux systèmes de vote électronique ont fonctionné parallèlement, le système moscovite blockchain-voting_2021 et le système fédéral DEG, totalement indépendants l’un de l’autre et fonctionnant tous les deux sur le modèle du blockchain (stockage et transmission d’informations sans organes de contrôle). Si le système fédéral a été mis en place, au moins, par Rostelekom et le ministère du numérique, le système moscovite est d’une origine plus lointaine.
Le Département moscovite des technologies de l’information a commandé ce système à la compagnie hollandaise BitFury, dont les bureaux sont à Amsterdam, à Londres, à Washington, à San Francisco et à Hong Kong. Le monde est une grande famille, il n’y a donc aucun problème pour les globalistes — notamment moscovites. Ils s’adressent aux siens. Logique. Surtout que les centres de données sont situés sur le territoire d’une (ancienne) base de l’OTAN en Islande, en Norvège, au Canada et dans des villes en Géorgie (qui est sous contrôle direct de l’armée américaine, très présente dans le pays).
Et cette entreprise hollandaise n’est pas si simple que cela. Le fondateur de BitFury est un Letton, parti en Ukraine à la fin des années 2000 (après la révolution orange et avant le Maidan), qui circule aujourd’hui entre la Géorgie, l’Ukraine, la Grande-Bretagne, la Hollande et les Etats-Unis. D’ailleurs, cette entreprise a été fondée au début en Ukraine et le directeur général était un géorgien-américain, membre du Club des managers Europe One YPO, ayant travaillé pour le conglomérat américain Morgan Stanley. En 2016, cette entreprise entre en partenariat officiel avec NED (un Fonds américain, interdit en Russie, qui s’occupe de la démocratisation et accessoirement des révolutions de couleurs), ainsi qu’avec le Centre analytique New America pour développer l’utilisation des blochchains dans le domaine étatique. Ils furent très actifs avec le président ukrainien post-Maidan, Pietr Porochenko.
Ce petit bouquet d’ingérence travaille également en Russie. BitFury s’est trouvée intégrée tout d’abord dans un projet commun entre l’Ecole supérieure d’économie (institution très marquée idéologiquement vers l’atlantisme et l’opposition radicale) et l’incontournable Skolkovo, ce centre «d’innovations» qui appelait ouvertement les start-ups russes, en octobre 2020, à partir vers l’Ukraine, les pays baltes ou la Pologne. Et maintenant, évolution logique, BitFury est arrivé à la Mairie de Moscou.
Le scandale qui a suivi ces élections a refroidi et la Commission électorale fédérale, qui demande à Moscou à l’avenir de revenir dans le giron fédéral, et le Kremlin, peu satisfait de tout ce bruit.
Le spectre des manipulations ouvert par le vote électronique est particulièrement vaste, déjà en soi. Mais ici, en plus, il permet de stocker des données politiques très sensibles dans des pays de l’OTAN. Les relations, en tout cas officielles, entre la Russie et les pays de l’OTAN n’étant pas des meilleurs, ce choix est largement discutable.
Le plus significatif est le vote de rejet de Russie Unie à Moscou, par des Moscovites de plus en plus fatigués par «l’innovation» sans frein de leur Maire. Les résultats des communistes étaient logiques — ce sont les seuls à l’être prononcés et à avoir agi contre l’enseignement à distance des enfants, contre la vaccination obligatoire de facto, etc. Ils sont objectivement en phase avec l’opinion publique.
Le signal lancé à Moscou est déplorable : non seulement ces élites globalisées, dont Sobianine fait partie, ne peuvent plus se maintenir en place avec un vote dans les urnes, mais ils semblent indéboulonnables. Si la tendance se maintient, c’est la stabilité du pays qui sera en jeu.
PS : Ces commissions, qui semblent tellement s’inquiéter de l’ingérence en Russie, pourraient se tourner vers cet aspect de la question.