L’élargissement de l’ONU : la fausse bonne idée, qui fait dangereusement son chemin en Russie

L’important pour vendre une mauvaise idée, c’est de bien la présenter. Et les globalistes sont très forts à ce jeu-là. Au niveau des relations internationales, la fausse bonne idée, qui revient régulièrement sur le devant de la scène, est l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU — au nom d’une plus grande représentativité ou comme dirait Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, maîtrisant avec un naturel non feint le vocable globaliste, pour qu’il soit plus «inclusif». 

Régulièrement, l’on entend parler de la soi-disant nécessité d’un élargissement de l’ONU. Habituellement, la Russie est plus réservée. Pour une raison difficilement saisissable, et le ministère des Affaires étrangères, et le porte-parole du Kremlin, semblent s’incliner finalement et soutenir l’idée elle-même. Et cela, alors que la Russie est en combat contre la globalisation. Pourquoi cherche-t-elle à en renforcer la légitimité et à affaiblir in fine sa position ?

Ainsi, Dmitri Poliansky, le premier vice-représentant de la Russie à l’ONU, déclare avec justesse que :

«Chacun comprend que la composition actuelle du Conseil de sécurité ne reflète pas le monde actuel, nous en parlons activement et plus activement que d’autres.»

Jusque-là, le constat est indiscutable. Le système des organes internationaux reflète le monde de l’après Seconde Guerre mondiale, quand l’URSS était un vainqueur et a pu dicter ses conditions, quand elle était en mesure d’influencer la ligne internationale. Pour cela, elle a gagné une guerre mondiale et a payé le prix de plus de 26,6 millions de personnes, dont plus de 8,6 millions de militaires.

La Russie, est-elle en mesure d’imposer un autre ordre international aujourd’hui ou de modifier à son avantage celui-ci ? Aujourd’hui, non. Pour cela, il va d’abord falloir gagner la guerre. L’on ne peut pas profiter des privilèges du vainqueur, tant que l’on n’a pas mené jusqu’au bout le chemin, qui mène à la victoire.

D’une certaine manière, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, l’a parfaitement reconnu : il n’y a pas de nouvel ordre mondial, bref le monde n’est pas par magie devenu multipolaire.

«Il est prématuré de parler de l’établissement d’un nouvel ordre mondial»

C’est ensuite que le bât blesse. Peskov de déclarer :

«beaucoup de pays pensent que le Conseil de sécurité de l’ONU doit devenir plus inclusif»

Et Poliansky de préciser : 

«Nous pensons qu’il ne devrait pas inclure des pays occidentaux, mais plutôt des pays qui ont leur propre position sur de nombreuses questions, qui représentent les intérêts de la grande majorité de l’humanité. L’Inde et le Brésil ne suscitent pour nous aucun rejet, nous soutenons leur candidature.»

Donc la Russie soutient l’idée d’un élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU, tout en comprenant que l’ONU est contrôlée par les Etats-Unis. Pour ceux qui ont un doute, il suffit de regarder le vote des résolutions à l’AG de l’ONU. Quand certains pays ont le courage de s’abstenir, la Russie estime, que cela est une grande victoire diplomatique, car ils subissent une pression très forte. Autrement dit, elle commence à cautionner le lancement d’un processus, dont elle n’aura pas la maîtrise du développement. Quant au Conseil de sécurité de l’ONU, si la Russie a le pouvoir de bloquer, grâce à son droit de veto, certaines résolutions, elle ne peut faire passer aucune de ses initiatives, qui porterait atteinte à l’intérêt atlantiste. En quoi l’élargissement va-t-il changer la donne ? En rien, c’est une illusion.

Une illusion, qui entraîne une autre question : avec qui élargir ? Imaginons que les Américains soutiennent une plus grande représentativité géographique, ils n’accepteront jamais une plus grande représentativité idéologique. Justement, parce que le monde multi-polaire n’est pas — à ce jour.

La Russie, va-t-elle faire entrer la Biélorussie, la Corée du Nord ou l’Iran ? Non, même si elle en avait la volonté, soyons réalistes, elle n’en a pas les moyens politiques. Quels sont ses véritables alliés ? Il serait bon de ne pas confondre les partenaires économiques et les alliés politiques. Ce n’est pas parce que des représentants de nombreux pays se promènent dans les Forums économiques en Russie avec leurs «plans de paix», qu’ils sont des alliés dans le combat qui se mène.

Dans quel pays, peut-on dire aujourd’hui, que la globalisation est réellement remise en cause par le pouvoir ? Certainement pas au Brésil ou en Inde, pour ce qui concerne les candidatures potentielles avancées. Même en Russie, la situation est loin d’être simple sur ce point. Je vous rappelle le sondage récemment publié par  l’institut de sondage Vstiom, selon lequel un tiers des élites politico-économiques russes soutient en gros la politique extérieure, un tiers demande des concessions et sont prêtes à payer (n’importe quel) prix et un tiers attend de voir qui va gagner (voir notre article ici).

N’ayons par ailleurs aucun doute, que le pas suivant celui de l’élargissement sera celui du renoncement au droit de veto. Techniquement, les Etats-Unis sont aptes à garantir par la majorité, et même à une majorité qualifiée, les intérêts atlantistes. Le droit de veto sera présenté comme non démocratique et la Russie n’aura comme rôle, que celui de légitimation d’une idéologie qu’elle est censée combattre.

Je me demande quel tiers soutient cette ligne d’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU et de dissolution du pouvoir russe ? … Bloquer l’idée d’un élargissement n’est pas tenir une politique d’isolement, ce dont ont une peur panique les élites russes, mais d’avoir une conscience froide et rationnelle de ses possibilités — à un moment donné. Si la Russie veut modifier l’ordre international, le rendre moins atlantiste, elle doit d’abord mettre en place les conditions nécessaires à cela : elle-même déglobaliser sa ligne politique et remporter une victoire militaire, qui permette de briser le pouvoir atlantiste. 

Par Karine Bechet-Golovko