Loi d’orientation de la Justice : de la sécurité à la surveillance généralisée, un pas glissant

Les députés, tout comme les sénateurs avant eux, ont voté à une très grande majorité une disposition législative permettant, dans le cas de certaines enquêtes pénales et après autorisation du juge, d’activer à distance tout appareil connecté, afin de récupérer des images, d’écouter des conversations ou de géolocaliser les personnes. S’il peut sembler logique de faciliter la recherche de criminels dans le but de la protection de la sécurité publique, le risque de glisser vers des mécanismes de plus en plus larges et normalisés de surveillance de la société n’est pas à négliger. Le paradigme sécurité / liberté joue rarement, à terme, en faveur de la liberté, même si l’expérience a montré que la sécurité n’en est pas renforcée pour autant.

L’enfer est pavé de bonnes intentions … et nous portons nous-mêmes les pierres, qui en construisent la voie. Nous sommes devenus totalement dépendants d’une technologie, qui nous a été présentée comme libératrice. Plus de vie, ni familiale, ni professionnelle, sans ordinateur au minimum et smartphone pour une grande majorité. Vivre connecté est une règle, qui ne se discute pas.

Maison «intelligente», voiture «intelligente», cafetière «intelligente», reste la question de l’état de l’intelligence humaine.

Désormais, tous ces objets connectés deviennent une porte d’entrée dans votre vie privée. Une porte potentielle, fermée pour l’instant, mais déjà construite.

L’Assemblée nationale vient d’adopter, tout comme les sénateurs, la clé, qui va ouvrir la porte sur votre vie privée. Par 80 voix contre 24 (il n’y avait pas foule pour enterrer nos libertés publiques), les députés ont notamment autorisé l’activation à distance des objets connectés. De tous les objets connectés …. Cela dans le cadre d’une enquête pénale ouverte pour une infraction sanctionnée d’au moins 5 ans d’emprisonnement (les sénateurs avaient limité à 10 ans, le seuil est donc déjà baissé). Avec une autorisation du juge. Et pour une période limitée.

Le but est de pouvoir géolocaliser un criminel, voir et entendre ce qu’il se passe, enregistrer des conversations ou des vidéos. Souriez, vous êtes filmés …

Qui ne veut pas qu’un criminel soit interpellé et condamné ? Personne. Qui ne veut pas donner tous les moyens aux forces de l’ordre et à la justice pour que ces services fassent leur travail et maintiennent la sécurité publique ? Personne. S’il faut toujours de bonnes raisons, pourquoi il n’y aurait pas une autre voie, moins liberticide, pour atteindre le même résultat louable ? Or, l’absence de choix est posé comme un axiome.

Nous en revenons toujours à ce bon vieux paradigme sécurité / liberté. Quand les gens se sentent en danger, ils sont prêts à abandonner leurs libertés pour être protégés. Le Covid l’a montré, dans la pure logique du pompier pyromane.

Mais personne n’a pu expliquer en quoi le renoncement à la liberté est le seul moyen de garantir la sécurité.

D’où d’autres questions :

  • Si ce texte est définitivement adopté, qui vous garantit que son champ d’application ne sera pas élargi avec le temps, au fur et à mesure de l’évolution de la «normalité», qui va intégrer le contrôle à distance ? 
  • Avec l’adoption de ce texte, qui vous garantit le respect des limites procédurales, une interprétation strictes de ces limites ? 
  • Qui garantit la destruction des enregistrements, lorsqu’ils ne sont plus juridiquement fondés ? 
  • Si vous n’êtes pas prévenus en avance (et logiquement, vous ne pouvez l’être), comment savoir si votre ordinateur ou votre cafetière ne sont pas en train de cafter ?

Nous sommes entrés librement et plein d’entrain dans cette geôle numérique. Combien auront le courage d’en sortir ? Ou bien se diront-ils — quelle importance, je n’ai rien à cacher, d’ailleurs je ne suis pas un terroriste moi ! Et ils s’endormiront bien tranquillement sous l’oeil bienveillant de leur aspirateur.

Par Karine Bechet-Golovko