Russie : Quelle sera la nouvelle mission de l’agent d’influence Koudrine, libéré de la présidence de la Cour des comptes?

Alexeï Koudrine, l’un des fils légitimes du clan globaliste en Russie, descendant direct de Tchoubaïs et «papa» Sobtchak, constitue avec certains de ses camarades de jeu, comme Herman Gref à la direction de la Sberbank, l’un des pivots de la déstructuration globaliste de la Russie depuis la chute de l’Union soviétique. L’on soulignera la constance de son travail de sape, autant que la constance du soutien qu’il détient à l’extérieur du pays, mais aussi dans les plus hautes sphères de pouvoir. Koudrine, qui vient de quitter la direction de la Cour des comptes de Russie, devient un électron libre, parfaitement contrôlé de l’extérieur, en période de conflit armé. Quelle sera la nouvelle mission de cet Agent d’influence, dont il ne faut pas négliger la capacité de nuisance ?

Pour comprendre un peu mieux le personnage, dont nous avons beaucoup parlé sur ce blog, voici quelques mises en bouche. Lors des manifestations de 2011 / 2012 de Bolotnaya, récupérées tambour battant par l’opposition non-systémique, qui s’est rapidement discréditée devant une foule attendant autre chose que leurs slogans, Koudrine, ancien ministre des Finances qui a quitté son poste après un conflit  frontal avec Medvedev, est apparu aux côtés de ces radicaux. Dès 2012, il tente de se poser en leader de l’opposition libérale «présentable» et comme intermédiaire entre Poutine et les radicaux (voir notre texte ici). Sa tentative politique a rapidement échoué. Koudrine est un apparatchik et non pas un politicien, il ne sait pas faire des discours et méprise ouvertement les gens, qui le lui rendent bien.

S’ouvre alors la «troisième phase» Koudrine. Après le Gouvernement et le virage bolotnien, il revient sagement vers des projets, beaucoup plus efficaces et destructeurs, à travers la création, parfaitement financée, de différentes ONG sur le mode «open society» que l’on connaît bien. Son Comité des initiatives citoyennes (voir notre texte ici) s’appuie sur l’idée de la société civile contre l’Etat et des réformes contre la démocratie. Comme nous l’avons développé ici (voir notre texte), ces réformateurs néolibéraux savent parfaitement qu’ils ne pourront jamais être élus démocratiquement sur la base des élections avec un programme ouvertement néolibérale, il faut donc accéder au pouvoir en contournant le mécanisme électoral, en contournant le peuple :

«Pour une très simple raison: jamais ils ne pourraient arriver au pouvoir, en Russie, suite à des élections libres. Leur marge de manoeuvre est alors très limitée. Comme le rappelait par ailleurs Goldman Sachs dans leur dernier rapport, prônant la fin des régimes démocratiques, leur durcissement, pour faire passer de force les idéaux nécessaires, les masses électorales ne sont pas favorables à des réformes ultralibérales destructurantes. Donc, soit il faut supprimer les élections comme mode d’accès au pouvoir, soit il faut supprimer la masse électorale permettant l’accès au pouvoir. La deuxième branche de l’alternative étant quand même encore trop extrême (pour l’instant la manipulation des représentations est suffisante), la première a été choisie.

Et c’est ainsi que l’on remarque que toutes les questions importantes pour la société se discutent et se préparent en dehors du système des partis et donc de la vie politique normale, par des «groupes d’experts» qui ne sont ni indépendants ni objectifs, mais là justement pour argumenter en un sens très précis et ne prendront jamais le risque de passer devant les électeurs.»

L’influence de Koudrine sur la politique intérieure russe est loin d’être négligeable, même si elle n’a pas toujours été médiatisée. Il est vrai qu’il n’est pas dans son intérêt d’être trop médiatisé, ses sorties ne le rendant pas populaire — et portent également atteinte à la popularité de ses «protecteurs» intérieurs. 

Par exemple, en 2014, alors que le Maîdan bat son plein et que le conflit avec l’Ukraine devient une question de temps, que le monde global adopte des sanctions contre la Russie, Koudrine prône au Forum économique de Kranoïarsk, l’Etat minimum, cet Etat qui ne doit pas investir dans l’économie, qui ne doit pas financer l’armée (voir notre texte ici). L’on pourrait dire qu’il n’avait pas prévu toutes les évolutions, la guerre des sanctions, mais non. En 2018, alors qu’il n’y a plus aucune surprise, Koudrine et Nabiullina, la présidente de la Banque centrale (toujours en poste), s’opposent aux réformes proposées par les libéraux classiques (non pas néolibéraux), qui proposent un plan de relance économique devant permettre de monter la croissance économique à 4% et ainsi de débloquer les 300 milliards de roubles nécessaires à la modernisation du pays. Selon nos deux compères, en revanche, 1% est le maximum nécessaire, la Russie, je cite, n’a pas besoin de croissance économique, elle a besoin de réforme institutionnelle (voir notre article ici). Dans la même logique de l’affaiblissement de l’Etat, Koudrine propose une nouvelle vague de privatisation massive, à l’image de celle ayant fait suite à la chute de l’Union soviétique. La privatisation devant permettre, comme l’affirmait alors Tchoubaïs dans les années 90, de transférer le pouvoir avec le capital à une nouvelle classe dirigeante et de désindustrialiser le pays, cassant ainsi le socle du pouvoir national (voir notre texte ici). Et ces propositions interviennent en 2021, alors que le pays est touché par la gestion globalisée covidienne, qui détruit les économies nationales, en plus de l’accumulation des sanctions économiques. Il s’agit alors ni plus ni moins que d’un plan de liquidation globaliste de la Russie.

Son positionnement idéologique est clair, il y a encore beaucoup d’exemples, mais ceux-ci sont suffisamment significatifs. En ce qui concerne sa carrière, malgré son impuissance politique, il se verrait pourtant très bien à la tête du pays, en petit dictateur méconnu, qui seul a de grandes visions pour le pays. Des visions certes globalistes, mais on a ce que l’on peut. Dès 2015, il entre dans le rôle de Iznogoud (voir notre texte ici) et ses ambitions de Premier ministre autant que de présidentiable se réveillent régulièrement, sans jamais être assouvies. Après le Gouvernement, la société civile et les cercles d’influence, Koudrine revient dans le giron étatique direct à la tête de la Cour des comptes en 2018. Il vient d’en démissionner ce 29 novembre 2022, démission anticipée acceptée par le Conseil de la Fédération et estampillée par un oukase de Poutine. Selon ses paroles, 25 années au service de l’Etat ça suffit, il veut s’occuper de grands projets privés, qui ont un impact sur la vie des gens.

Les bruits, qui se mettent à courir, ne sont pas rassurants. Koudrine et Gref, sont les «protégés» de Poutine, ce qui explique qu’ils continuent tranquillement leur carrière, quelles que soient leurs nombreuses erreurs politiques, toujours absoutes sinon par l’opinion publique, en tout cas par le dirigeant. Et certains voient en Koudrine, aujourd’hui alors que la Russie est en guerre contre le monde globaliste, un possible intermédiaire pour Poutine avec ce monde globaliste. Dont Koudrine est l’agent d’influence en Russie depuis justement ces 25 années, qu’il prétend avoir passé au service de la globalisation, pardon de l’Etat. Il pourrait également entrer comme actionnaire à Yandex (avec Abramovitch, celui-là même qui a participé aux pourparlers de capitulation et a facilité la libération des membres d’Azov et des mercenaires britanniques), Yandex qui n’est plus la propriété de la Russie, et ainsi renforcer son rôle d’influence sur l’opinion publique en Russie.

«Yandex est enregistré aux Pays-Bas et dispose de filiales européennes, britanniques et américaines, mais l’essentiel de ses activités est en Russie et dans les pays russophones.

Il a créé le principal moteur de recherche de Russie est un acteur dominant des services de taxi et de livraison à travers une large partie du monde russophone.

La semaine dernière, le conseil d’administration a indiqué travailler à la restructuration de «l’actionnariat et la gouvernance du groupe au regard de la situation géopolitique actuelle». Une référence aux sanctions qui frappent la Russie à cause de son assaut contre l’Ukraine.»

D’autres vont jusqu’à voir en Koudrine le futur présidentiable pour 2024. Ne doutons pas que, dans ce cas-là, il bénéficiera de tout le soutien de l’Occident, autant que des globalistes intérieurs. Mais il sera difficile de passer par des élections propres. D’un autre côté, qui en Occident les pratique encore ?

Dans tous les cas, la carrière d’agent d’influence de Koudrine semble prendre un nouvel élan et ses mains sont libres. Tchoubaïs, le garant national de la globalisation de la Russie, ayant quitté le pays, la place ne doit pas rester libre, sinon le monde global perdrait un canal de pression, voire de gouvernance. Or, si Koudrine était néfaste ces 25 années, il peut désormais être dangereux. La Russie ne peut pas d’un côté se déclarer en guerre contre la globalisation à travers le bataille d’Ukraine et continuer à protéger et à porter en son sein ces Agents d’influence de la globalisation, à laisser fonctionner les principaux canaux d’ingérence. 

Karine Bechet-Golovko