Trump / Poutine : une concurrence renforcée sur le plan idéologique
Les annonces de programme faites par Donald Trump et les premières nominations qu’il envisage publiquement obligent à reconsidérer la stratégie russe, qui se focalisait sur la défense des valeurs traditionnelles et pour attirer vers elle à l’international, et dans son combat contre la globalisation. Que ces annonces soient ou non pleinement réalisées, cette stratégie doit être reconsidérée, dans le cadre d’une concurrence désormais renforcée dans ce domaine.
Les aspects idéologiques du programme de Trump
Donald Trump a fait plusieurs annonces, qui réjouissent les opposants à la globalisation radicale et glacent leurs hérauts, puisqu’il s’en prend aux principaux cultes de la globalisation radicale.
Le culte climatique se trouve en danger, quand Trump a qualifié le «réchauffement climatique» de canular, en promettant de sortir des Accords de Paris, voire de sortir des accords-cadres des Nations Unies sur le réchauffement climatique. Dans la mesure, où il veut relancer la production nationale et l’industrie, beaucoup de mesures dans ce domaine vont devoir être reconsidérées, notamment en matière fiscale.
Le culte gender est directement attaqué par Trump et ce dans ses différentes expressions. Il veut remettre en cause la clause de préférence pour l’admission des personnes transgenres dans les universités américaines. En effet, en quoi être le changement de sexe doit-il jouer sur l’appréciation des capacités intellectuelles d’un individu? A moins qu’il en s’agisse d’infiltrer un milieu avec une idéologie particulière. Dans la même ligne, il veut remettre en cause l’infiltration de cette idéologie dans le sport — et avec ce que l’on a pu voir aux JO de Paris, ce serait une bonne chose. L’école, lieu de formation du citoyen, se trouve également dans le viseur, avec ses dérives conduisant au fractionnement de la société, à la montée de la haine ethnique et à l’affaiblissement de la personnalité des enfants. Cela a été rendu possible par la déstructuration du Département de l’éducation :
«C’est parce que le ministère de l’Éducation est composé de nombreux éléments mobiles. Il abrite le Bureau des droits civiques, qui applique les lois fédérales sur les droits civiques dans les écoles afin de protéger les étudiants contre la discrimination. Les réglementations du ministère de l’Éducation affectent également les sports universitaires (…).»
En ce sens, Trump veut démanteler ce Département, pour le purger de sa dimension idéologique.
«Sur son site Internet de campagne, Trump a promis de « couper le financement fédéral de toute école ou programme promouvant la théorie critique de la race ou l’idéologie du genre auprès de nos enfants » (…). Trump s’est également prononcé contre les mesures de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) dans les collèges et universités à travers le pays.»
Il s’agit bien de refaire de l’école un lieu d’intégration sociale et de connaissances, et non pas la construction d’être refermés sur leurs particularismes et pris dans les institutions en fonction justement de ces particularismes.
Trump attaque également frontalement le culte LGBT et sa capacité de nuisance face aux institutions traditionnelles, sur lesquelles s’appuie toute société. Ainsi peut-on voir sur Twitter cette saine interrogation :
La stratégie russe face à cette nouvelle donne
Le renversement du discours, qui n’implique pas par ailleurs qu’il soit réalisé dans son intégralité, modifie le jeu sur l’échiquier international. La Russie se positionnait ces dernières années comme le héraut des valeurs traditionnelles face au wokisme décadent occidental, elle se constituait comme un havre de paix pour les familles en désespoir dans leur pays, comme un allié pour les pays cherchant une autre voie.
Mais n’ayant pas fondamentalement remis en cause la globalisation dans toutes ses dimensions, la Russie s’était uniquement focalisée sur cet aspect et maintenait en parallèle les cultes, tels que climatique, numérique, immigrationnistes, managerial ou post-industriel. Avec le lancement de l’Opération militaire, certains ajustements techniques ont été effectués, l’industrie doit bien être relancée (sans remise en cause profonde du discours), l’immigration doit bien être contrôlée, mais les élites russes ne voient le danger du néolibéralisme qu’en ce qui concerne les valeurs traditionnelles.
La modification radicale du discours politique américain met la Russie dans une situation délicate, si elle-même n’adapte pas sa stratégie. D’une part, les Etats-Unis de Trump s’annoncent comme les combattants du néolibéralisme dans une dimension plus large et plus profonde que la Russie, ce qui peut attirer à nouveau vers eux, des pays qui se sont détournés vers la Russie. D’autre part, en réhabilitant les valeurs traditionnelles et familiales, ils coupent l’herbe sous le pied de la Russie dans le domaine de l’immigration idéologique.
La question reste de savoir quel sera le degré de réalisation de ces changements annoncés, mais l’effet d’annonce produit déjà des vagues politiques et géopolitiques. Ce qui était bien le but.
Comment la Russie peut-elle réagir ? Le premier risque est de se lancer à contre-pied de la politique américaine dans les autres domaines, que celui des valeurs traditionnelles, en soutenant finalement les mécanismes globaux. Nous voyons cette tentation en ce qui concerne le réchauffement climatique, dont la présence dans le discours politique russe est renforcée ces derniers jours.
Pour le reste, il ne sert à rien de courir, il vaut mieux démontrer de la force. La Russie n’a pas commencé hier à protéger les valeurs traditionnelles et pour l’instant les annonces de Trump ne sont que des annonces. Et elles ne valent que pour les Etats-Unis — en Europe, où se sont regroupés les fanatiques globalistes wokes, la situation doit logiquement se radicaliser encore.
Stratégiquement, il serait même dans l’intérêt de la Russie, à long terme, que Trump remette en cause ce wokisme, car il porte l’essence du monde global. Trump effriterait ainsi les fondements de l’ordre, qui porte la suprématie américaine aujourd’hui. Mais cela ne servirait à la Russie, qui si elle sait se montrer forte, et comme le leader de ce mouvement, et sur les autres fronts. Sinon elle peut aussi être emportée dans la vague et nous entrerions alors dans une véritable phase de globalisation, où la position centrale américaine sera très difficilement contestable.
Le front idéologique est bien ouvert.
Par Karine Bechet-Golovko