Et si l’arroseur était arrosé ?

Jean-François Geneste revient pour Russie politics sur le sens des trois conflits majeurs, qui secouent notre planète, à savoir l’Ukraine, Israël et Taïwan. Mais ne pourraient-ils pas se retourner contre leur maître d’oeuvre ?

Avant toute chose, effectuons un tour rapide de la situation mondiale. Il existe trois foyers de tensions que sont l’Ukraine, Israël et Taïwan. Pour chacun d’entre eux, l’Occident se sert de ces pays comme d’un bélier contre ses concurrents géostratégiques que sont la Russie et la Chine. Conformément à sa doctrine d’action rodée depuis des décennies maintenant, la technique anglo-saxonne consiste à déstabiliser les marches des empires et à les utiliser comme un levier pour les faire chuter en interne. Nous l’avons vu en Afghanistan du temps où l’URSS était intervenue à la demande du gouvernement local et cela a conduit les États-Unis à créer l’islam radical terroriste qu’ils contrôlent toujours et dont ils usent à satiété.

Au-delà de ces évidences bien connues, mais répétées ici pour qu’elles ne soient pas oubliées pour penser le contexte, regardons de plus près la situation individuelle des affaires en cours. La Russie ayant été poussée au conflit, elle est en train de réduire l’Ukraine à la portion congrue, et est à la veille de dominer la quasi-totalité du Donbass entre autres. L’incursion de l’armée ukro otanienne dans la région de Koursk est un vrai désastre humanitaire et plus généralement, on pourra affirmer que cette guerre, conduite dans les règles de l’art par la Russie, c’est-à-dire en respectant scrupuleusement le droit international, aura abouti à un véritable génocide des habitants de ce qui s’appela un jour Ukraine. La faute en incombera sans conteste à la fois à l’Occident et au gouvernent de ce pays et gageons que l’opprobre sera jeté sur tous ces protagonistes qui ont eu, à un moment ou à un autre, une part dans les décisions qui ont été prises.

En fort contraste avec l’exemplarité russe, nous voyons la sauvagerie occidentale en exercice via le régime Netanyahu en Israël, qui n’hésite pas à exterminer à dessein la population civile de Gaza avec les femmes et les enfants en priorité et même, selon Jacques Baud citant lui-même un rapport de l’ONU, à avoir une stratégie délibérée de destruction des établissements de santé et de secours du territoire palestinien. Ajoutons à cela le massacre de civils libanais d’ores et déjà par milliers et la coupe est pleine si l’on peut dire. Mais ce n’est hélas pas tout. Après avoir commis des assassinats politiques sur le sol iranien (y compris l’ambassade d’Iran en Syrie), la Perse a riposté conformément à la réglementation de l’ONU. Israël, malgré tout, soutenu par les États-Unis, envisage des représailles. C’est tout simplement une honte ! Nous terminerons par le ciblage volontaire de la force d’interposition de la FINUL au Liban qui montre que le gouvernement israélien actuel se sent au-dessus des lois comme son bras armé états-unien qui se croit tout permis depuis au moins 1991.

Passons à Taïwan, dernier bastion où le feu est en train de couver, car l’hégémon, depuis 1945, a perdu de sa superbe. Alors qu’il avait, en quelque sorte, gagné la guerre froide, laissant accroire que son exemple aurait dû être copié par le reste du monde, sa cupidité l’amena à développer un pays esclave qui, à son tour, est en passe de dominer la planète et bien entendu avec une tout autre philosophie. En lieu et place d’un modèle unique, nous en avons deux adverses sinon opposés avec ce que d’aucuns appellent le piège de Thucydide à la clé.

Voyons maintenant le mal qui a été fait. Si, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les institutions internationales sont nées, confirmant un droit universel à l’origine et historiquement conçu par les Français, les événements ci-dessus décrits ont montré que ce droit a été plus que bafoué par l’Occident, les États-Unis en particulier. Non seulement ils ont établi un système de deux poids deux mesures, par exemple lors du bombardement de la Serbie en 1999, mais ils ont perpétré des crimes de guerre, des génocides et ce qu’il faudra bien appeler un jour des crimes contre l’humanité, que ce soit directement comme au Vietnam ou indirectement dans d’autres conflits. Cela a des conséquences incalculables, car la notion de bien est peut-être, si l’on veut paraphraser Descartes, la chose du monde la mieux partagée et seuls les aveugles pourraient penser que le camp du bien est en Occident. Voilà donc l’autorité morale de cette partie du globe définitivement sapée. Pourtant, nous avions un atout incroyable qui était le christianisme. Mais ce dernier a été abandonné comme le dit si bien Emmanuel Todd, au profit de doctrines qui n’ont rien à voir avec un quelconque bien, ce qui fait que ceux qui dirigeaient à ce jour ne peuvent qu’avoir un discours inaudible quant à un semblant de raison qu’il faudrait avoir dans les relations internationales.

Il y a un deuxième pan d’hégémonie qui a aussi été perdu et est celui de la technologie. Là, deux phénomènes se conjuguent : L’armement russe qui a prouvé sa très nette supériorité et le fait que la Chine dépose aujourd’hui au moins 40 % des demandes de brevets dans le monde à elle toute seule, montrant par-là que demain, le globe sera sous l’emprise de l’empire du Milieu qui renouera avec sa course historique de leader après une éclipse de près de deux cents ans. Alors que la science a réémergé au cours de de la Renaissance européenne et qu’elle a conféré à ce continent son pouvoir de domination qui s’est caractérisé par, notamment, les colonisations, alors qu’elle s’est développée pour atteindre des sommets, elle est passée à l’est, pour reprendre des propos du professeur Didier Raoult et n’est pas près de revenir. Les temps seront donc longs à toucher une parité militaire avec l’Orient compte tenu de ce contexte.

Nous ne visons pas à être exhaustifs ici et nous nous contenterons d’un troisième et dernier volet qui est celui de la finance. Ne contrôlant plus, de fait, les productions stratégiques, ayant militarisé le dollar pour des profits de court terme ridicules en bafouant les engagements adoptés lors de l’établissement de la flottabilité des changes, dès lors que la fabrication mondiale se situe dans le sud global, il est absolument logique que ce soit ce dernier qui s’empare du leadership monétaire, ce qui se met en place actuellement via un embryon de devise commune pour les échanges entre les BRICS et qui a vocation à s’étendre partout. Due à cela, la perte d’hégémonie d’un État policier à l’échelle planétaire et s’appuyant sur la technologie d’espionnage informatique (cf. Snowden) massive et les ONG envahissantes va donc tomber et cela constituera un véritable soulagement pour les pays cibles (Géorgie et bien d’autres).

Concentrons-nous alors un instant sur le conflit ukrainien et souvenons-nous des déclarations des membres de l’OTAN, France en particulier, affirmant que ce qui était visé était une guerre totale contre la Russie qui devait la mettre à genoux[1] et que la décision serait prise sur le champ de bataille. Mais voilà ! La décision du champ de bataille est que la Russie gagne haut la main ! Or, à moins d’un affrontement nucléaire qui reste toujours possible, il faudra bien un jour faire la paix. Gageons que si Kamala Harris remporte l’élection présidentielle, cela continuera, mais polarisons-nous sur l’éventualité selon laquelle Trump serait choisi et voudrait faire la paix. Tel que nous pouvons le comprendre et sans être dans le secret, sa proposition ressemblerait à un cessez-le-feu de type coréen en attendant des temps plus cléments et, comme l’on dit dans le monde des affaires, un retour à meilleure fortune. N’oublions pas les objectifs annoncés par la Russie au début de son opération militaire spéciale. Si le gouvernement respecte sa parole et ne trahit pas ceux qui se sont battus pour lui, il n’acceptera jamais cela. Il a d’ailleurs un intérêt vital à ce que l’Ukraine entière reste sous son contrôle compte tenu de ce qui s’est passé depuis au moins 2014, voire 2004. En conséquence, Vladimir Poutine aurait beau jeu de répondre à Donald Trump que la décision sera faite sur le champ de bataille et que le conflit ne s’arrêtera que lorsque les États-Unis, l’Europe et le Japon seront à genoux. Ce serait l’arroseur arrosé, film célèbre qui deviendrait ainsi prémonitoire. La Chine pourrait aider grandement et au vu du fait que la stratégie du sud global n’est pas guerrière, mais économique, très vite, problèmes financiers obligent compte tenu de la perte d’hégémonie du dollar, si la maîtrise de l’information change de camp, c’en sera fini des déclenchements intempestifs d’opérations par procuration et désignant le camp du mal.

Passons au conflit en Israël. Là encore, l’intérêt bien compris de la Chine et de la Russie est de chasser les États-Unis de cette zone et espérer y établir la paix. Armer l’Iran dans cette circonstance et le mettre à parité avec Israël en matière nucléaire comme cela semble être le cas, modifierait la donne de manière drastique. Le centre de gravité économique du monde se déplaçant à l’est, un Iran débarrassé des sanctions avec ses partenaires des BRICS affaiblira d’autant celles occidentales à son endroit ainsi, au final, que la position stratégique de l’État hébreu pour les États-Unis au Moyen-Orient. Dès lors, la question de la survie de cette entité sera posée. En réalité, elle est déjà sur la table, mais les protagonistes, nez dans le guidon, ne semblent pas s’en rendre compte.

Quant à Taïwan, les États-Unis ne peuvent qu’y intervenir dans un cadre maritime alors que la Chine pourrait efficacement utiliser ses armes terrestres. Dans un contexte hypersonique, les porte-avions et leurs groupes aéronavals ne valent rien et ce sera donc une inéluctable et cuisante défaite américaine supplémentaire en cas de conflit. Il serait dans ce cas mieux avisé de ne pas démarrer de telles hostilités, mais l’aveuglement de Washington est étonnant !

Nous voyons par conséquent en perspective et ce sera notre conclusion, la débâcle extraordinaire se profiler de la doctrine Mackinder et « améliorée » par ses successeurs comme Spykman par exemple. Le Rimland va sauter parcelle après parcelle et rejoindre l’Eurasie, laquelle, si elle reste raisonnable, offrira une possibilité à l’Afrique de se développer enfin. On remarquera à cet égard que la Russie avance des projets de centrales nucléaires dans les pays du Sahel ce que la France, puissance colonisatrice et leader mondial du nucléaire dans les années 80 n’a jamais été capable de proposer, ce qui constitue une véritable honte.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.


[1] A cette occasion, nous découvrîmes que la France maîtrisait l’hypersonique avec Bruno Lemaire, qui franchit le mur de l’hyper çon et nous fûmes rassurés lors de la passation de pouvoir avec Arnaud Armand au moment où il prit la succession ; la technologie ne se perdit point !