Interview de Jacques Cheminade : les voies de la souveraineté française

Thierry Saint-Germes interview Jacques Cheminade, fondateur du parti politique Solidarité et progrès Jacques Cheminade a été par trois fois candidat aux élections présidentielles (en 1995, 2012 et 2017). Il est aujourd’hui candidat aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 dans la 11ème circonscription des Français de l’étranger.

Thierry Saint-Germes :  Quel sens donner à cette élection d’une manière générale et à votre candidature dans 11ème circonscription des Français de l’étranger en particulier ?

Jacques Cheminade : Je suis candidat dans cette circonscription parce que c’est là que se joue l’avenir du monde. L’avenir du monde s’y joue parce qu’ici se trouvent les plus importants des pays membres des BRICS. Je pense, avec Sergeï Glazyev, l’homme qui, au sein de l’Union économique eurasiatique étudie la base sur laquelle on pourrait refonder l’économie mondiale, que, comme cela a déjà commencé, les pays du monde doivent pouvoir échanger et investir en monnaie nationale. Mais à partir d’un certain moment il y a un problème, parce qu’on se trouve en présence d’excédents et de déficits et il faut bien trouver un instrument de référence commun pour les régler. Cet instrument de référence devrait être, soit basé sur l’or, soit basé (et cette solution a ma préférence) sur un panier de matières premières dont le prix sera fixé par les contrats à long terme. Bien que cela ait l’air tout à fait éloigné des préoccupations des gens, c’est par ce système qu’on sortira d’une logique de guerre dans laquelle nos pays occidentaux se sont engagés.

Sergeï Glazyev, que j’ai rencontré à plusieurs reprises, reconnaît avec Lyndon Larouche que l’économie physique, l’économie productive (opposée à l’économie spéculative) a inspiré le décollage de la Chine et de l’Inde et aujourd’hui inspire la politique de la Russie pour retourner contre les pays occidentaux les sanctions, qui lui ont été infligées. De fait, la Russie se développe aujourd’hui beaucoup mieux que les pays d’Europe occidentale.

TSG : Vous prônez d’ailleurs pour la France une nouvelle architecture de co-développement avec les BRICS. Quels pourraient en être les contours ?

JC : La paix est l’enjeu essentiel et la paix passe par une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuel. Aujourd’hui nous sommes à un moment — et c’est aussi une des raisons pour lesquelles je me présente dans cette circonscriptions — où une guerre mondiale peut être déclenchée. On n’en a pas du tout conscience en France, mais nous vivons dans une menace immédiate de guerre

En frappant les stations radars d’alerte stratégique russe à Armavir et à Orsk, les Ukrainiens, guidés par les anglo-américains de l’OTAN, ont franchi une nouvelle ligne rouge.

Le président Poutine a réagi avec beaucoup de prudence face à cette provocation et je pense que les propositions qu’il a formulé le 14 juin dans son allocution aux responsables des Affaires étrangères de la Fédération de Russie sont très intéressantes.

Parmi ces propositions, je note la première qui est la paix en Ukraine, mais en soi je pense qu’on ne peut pas y arriver et Poutine en est très conscient, puisqu’il dit dans un second temps qu’il est important de partir du principe que la future architecture de sécurité doit être ouverte à tous les pays eurasiatiques qui souhaitent y participer. Cela inclut donc tous les pays européens membres de l’OTAN.

Si l’on pense que les pays occidentaux devraient à un ordre de codéveloppement et de paix au lieu de continuer dans leur optique d’agression militaire, alors ces propositions du président Poutine seraient un point de départ. Bien entendu, le gouvernement français semble très éloigné de ces perspectives de négociation. De plus, nous voici en France avec trois blocs qui se disputent (l’extrême centre, l’extrême droite et l’extrême gauche) mais sont unanimement favorables à la livraison d’armes à l’Ukraine.

Je pense qu’il faut sortir de là et ma candidature est un défi lancé à cet état d’esprit. Je suis un peu comme un missile, qui tombe sur la scène politique française pour dire qu’on ne peut pas continuer comme ça !

TSG : Quels scénarios post-élections entrevoyez-vous ?

JC : Qu’est-ce qui peut sortir de ces élections ?

Une majorité absolue du Rassemblement national est peu probable et une victoire du Front populaire est invraisemblable. Il peut y avoir une absence de majorité et donc un risque de chaos, qui peut tourner à l’émeute et entraîner la démission d’Emmanuel Macron, ce qui ouvrirait le jeu. Bien que cette élection ait été organisée comme un coup de poker on peut espérer, si des voix de raison s’affirment, que la politique de la France change d’orientation.

Je souhaiterais quant à moi que la France puisse être à Kazan entre les 22 et 24 octobre pour pour participer à la réunion des pays des BRICS, qui sera fondamentale pour l’avenir du monde.

TSG : Le JDD a révélé la présence sur le sol français de troupes étrangères de 40 pays pour «sécuriser les JO. On aimerait penser qu’il s’agit uniquement de protéger les JO et non d’une armée coalisée prépositionnée contre le peuple Français. Que penser de cet événement inouï ?

JC : Cela ne devrait être admis et la France devrait être à même d’assurer sa propre sécurité. Macron mène une politique de soumission à l’OTAN. L’ingérence étrangère devient la règle et c’est pourquoi je demande la dissolution de l’OTAN.

La soumission primordiale est la soumission au système de la City et de Wall Street, ce système financier qui est à l’opposé de ce que je défends c’est à dire une nouvelle architecture basée sur l’économie physique, l’économie réelle et non la spéculation sur le virtuel.

La France est donc déjà un pays occupé : c’est un pays occupé financièrement puisque par exemple Blackrock possède parfois jusqu’à 10% des actions françaises du CAC 40
Blackrock c’est l’arme même du système financier et monétaire occidental qui gère des investissements au compte des gens qui y participent.

TSG : La France est ruinée, livrée au pillage, soumise à une guerre de cinquième génération. Elle est déstabilisée par la consommation de drogues, l’extension de la sous-culture d’outre Atlantique, les GAFAM, la destruction de l’éducation, la culture de mort et, last but not least, poussée à la guerre contre la première puissance nucléaire au monde. Qui pousse la France au suicide et pourquoi ?

JC : A l’évidence, c’est cette oligarchie qui est contre tout état nation — y compris contre l’état nation américain – et qui occupe aujourd’hui tous les pays.

Cette oligarchie qui possède Blackrock, Vanguard a la réalité du pouvoir ; nul besoin d’être conspirationniste, c’est à ciel ouvert c’est à ciel ouvert que ça se passe.

Le 15 août 1971 le dollar et l’or ont été découplés et le far-west financier, hélas, se met en place. Un système financier qui domine tout, mais un système financier qui est aux abois parce qu’il émet de la monnaie sans la contrepartie de production réelle de biens en face.

La critique de ce système était alors réputée de gauche ou d’extrème gauche.

Dans le même temps se développait (j’étais à ce moment-là aux premières loges à New un système de « sexe-marchandise », de « musique bruit » et de tolérance vis-à-vis des drogues.

Celui qui attaquait ça était classé à droite ou à l’extrême droite.

En fait, les 2 choses avancent d’un seul et même pas.

Il s’agit de deux forces destructrices qui forment en réalité une matrice coloniale où impériale et elles sont aujourd’hui le pouvoir réel derrière Macron en France.

Selon moi le combat contre ces forces est le combat contre la guerre qu’elles entendent mener. C’est l’essentiel. Or je vois en France des partis politiques qui soutiennent massivement l’OTAN tout en faisant un concours de démagogie : ils entendent raser gratis mais sans rasoir. Comment faire une politique sociale juste en France avec un tel endettement ?

Eh bien, il faut précisément une nouvelle politique internationale car l’international et le national sont intimement liés et personne ne fait le rapprochement entre les deux.

Il faut absolument que l’on change d’orientation et avoir enfin une politique qui émane d’un principe de souveraineté.

Une souveraineté nationale qui ne soit pas uniquement défensive (il faut bien sûr que la France protège les Français) mais qui donne également au monde le meilleur que la France puisse donner. Je le dis dans ma profession de foi : détente, entente et coopération de l’Atlantique à la mer de Chine !

TSG : Vous êtes un partisan de la souveraineté française. Quels mécanismes concrets de restauration d’éléments de souveraineté envisagez-vous ?

JC : La première ligne de restauration d’éléments de souveraineté c’est la dissolution de l’OTAN. Il faut y pratiquer la politique de la chaise vide.

Et il faudra préparer avec d’autres pays des accords d’échanges et d’investissements dans l’économie réelle (l’économie physique).

Et puis envisager à court terme une stratégie qui procédera logiquement de notre combat contre l’oligarchie financière et qui sera une stratégie de sortie de l’Union européenne et de l’euro puisque l’euro n’est en définitive que le partenaire junior du dollar. L’euro n’est ni une monnaie nationale ni même une monnaie européenne, c’est une monnaie des marchés financiers mondiaux.

Autre mesure très importante : une lutte réelle contre le trafic de drogue au sommet parce que les gens — qui ont beaucoup de mal à voir ce qui se passe — identifient la destruction de leurs enfants et celle de leur famille au trafic de drogue qui prend des proportions inouïes en France. Marseille c’est presque Mexico.

Donner un sens à cette lutte, ce n’est pas attaquer les points de deal, c’est lutter au cœur c’est à dire là où cette oligarchie financière organise. C’est très simple : vous voyez les services de la Commission européenne qui ont dit qu’il fallait un petit peu inclure dans le produit intérieur brut français les produits du trafic d’armes, du trafic de drogue, du trafic d’êtres humains et de la prostitution… C’est l’aveu qu’on est sous la coupe d’une mafia criminelle financière et vous voyez les gens qui sont au sommet de cette mafia qui eux-mêmes ont pris des habitudes de la mafia tout court c’est-à-dire qu’ils consomment des drogues. Il faut exposer la face cachée de cette oligarchie.

A un niveau plus profond, cette société d’addiction où l’on vit par écrans interposés par la consommation de drogues ou via des médias qui lavent le cerveau des gens tout ça empêche de réfléchir et de penser.

Dans le temps long, les accords Blum-Byrnes de 1946 ont fait que dès 1947 80% des films diffusés en France étaient des films américains très « softs » à l’époque mais peu à peu c’est devenu une sous-culture qui a envahi les écrans à la fois dans les séries et dans les jeux vidéo ultra-violents. C’est à juste titre que le président Xi Jinping a limité pour les enfants l’accès aux écrans.

C’est une cause du désastre en France qui est accompagné d’une destruction par l’éducation nationale qui formate mais ne développe pas les facultés créatrices de l’esprit. Elle formate en apprenant aux enfants ou adolescents à s’adapter un système et à le servir avec une certaine logique formelle mais sans esprit inventif.

Or c’est cet esprit qui permet d’aller au-delà des frontières des choses établies et de trouver des choses qui seront utiles pour les êtres humains ce qu’on appelait en Russie les nouveaux principes physiques.

Nous sommes les premiers à nous être attaqués au club de Rome qui veut forcer le monde à s’adapter à des ressources limitées. Or, il y a une chose qui n’est pas limitée c’est la création de l’esprit humain et c’est là que l’on voit parmi les scientifiques russes parmi les scientifiques chinois et les scientifiques français une opposition à cela. Il y a une sorte de communauté des scientifiques qui s’étaient déjà exprimées d’ailleurs, c’est peu connu, par la communauté des cosmonautes et des astronautes sous Brejnev en URSS. Aujourd’hui, le président Xi Jinping a dit que notre mission est d’explorer l’inconnu.

Je voudrais pour finir vous citer quelque chose qui m’a bouleversé qui se trouve dans « Le monument » de Pouchkine :

Et je vivrai longtemps dans la nation entière

Car la lyre éveillait l’amour de la vertu,

Chantait la liberté dans l’âge sanguinaire,

Plaidait la grâce des vaincus.

On doit avoir cette bienveillance pour tous afin de ne pas être des Oblomov (en France on devient des Oblomov) mais d’être des créateurs.