Témoignage du front : entretien exclusif avec des soldats russes
En novembre 2022, les avocats Dan KOVALIK et Arnaud DEVELAY, accompagnés de Dragana Trifkovic, directrice du Centre pour les études géostrategiques de Belgrade, se sont rendus dans un hôpital militaire, situé dans une banlieue de Moscou. Lors de leur entretien avec deux soldats russes, tous deux volontaires, amputés et soignés pour les blessures subies au front, un dialogue humain et sans censure en a suivi, soulevant toute la complexité de cette guerre fratricide, qui a été justement provoquée en ce sens. Voici le sténogramme en français et pour les russophones et anglophone, la vidéo de cette rencontre de deux mondes, qui n’en forment plus qu’un aujourd’hui. Le nôtre.
Q : Je suis américain, mais je me considère comme un ami de la Russie et je suis ici pour aider à informer les Américains, sur ce qui se passe réellement. Que signifie pour vous cette opération militaire spéciale ?
R : Eh bien, je viens de Crimée et lorsque la guerre a éclaté, j’ai senti que je devais partir et aider à protéger ma terre.
Q : Le gouvernement russe a déclaré au début de l’opération militaire que s’il n’avait pas initié les opérations, la guerre serait arrivée jusqu’en Russie. Quelle est votre opinion à ce sujet?
R : C’est très possible.
Q : (Volodymyr) Zelenski a en fait déclaré que son intention était de « reprendre la Crimée ». En 2014, avez-vous voté lors du référendum pour rejoindre la Russie ?
R : Bien sûr. Mes parents et grands-parents étaient russes et je me sens russe.
Q : Pensez-vous que le référendum reflète la volonté du peuple ?
R : Il y avait des gens qui étaient contre le fait de rejoindre la Russie. Ils ont quitté la Crimée et sont retournés en Ukraine.
Q : Quand vous avez combattu dans le Donbass, qu’avez-vous pensé des gens avec qui vous avez pu interagir en Ukraine ?
R : Il y avait des gens qui détestaient les Russes et ont donné des informations à l’ennemi pour aider à cibler les civils avec des Grads/HIMARS. Nous sommes désolés pour les gens là-bas, mais c’est la guerre. Nous nous sentons comme des frères avec les Ukrainiens et nous ne luttons que contre le nazisme. C’est un combat politique.
Q : Avez-vous rencontré des nazis ?
R : Oui, même si nous ne savions pas exactement à quels bataillons ils appartenaient, à l’exception du fait qu’ils étaient couverts de tatouages de croix gammées. Nous avons également rencontré des combattants étrangers, dont des Afro-Américains qui combattaient au sein des troupes ukrainiennes.
Q : De votre point de vue, comment estimeriez-vous le niveau d’engagement de l’OTAN ?
R : Nous sommes des soldats, pas des politiciens.
Q : Avez-vous été recruté ou vous êtes-vous porté volontaire ?
R : J’ai 4 enfants. Quand j’ai vu ce qui arrivait aux enfants du Donbass, j’ai décidé de me porter volontaire en septembre 2022.
Q : Sachant que vos grands-parents ont servi dans l’Armée rouge pendant la Grande Guerre patriotique, comment vous sentez-vous le devoir tout recommencer ?
R : Je suis désolé de constater que malgré les sacrifices de mon grand-père, le travail n’est pas terminé. Le nazisme est une idéologie affreuse, non seulement contre les Russes mais aussi contre l’ensemble de l’humanité. Nous luttons donc au nom de l’humanité.
Q : Que pensez-vous de l’Occident ?
R : L’histoire russe est remplie d’assauts contre sa souveraineté. Nous ne combattons que pour la vérité.
Q : La Russie trouvera-t-elle dans son cœur le courage de pardonner à l’Occident pour ce qui se passe ?
R : Nous leur avons déjà pardonné. Nous ne devrions pas vivre dans la colère. Au final, nous sommes tous des êtres humains.
En attendant, il y a du travail à faire. J’attends ma prothèse pour pouvoir retourner au front. Les conditions y sont vraiment difficiles. Si je suis jugé inapte au combat, je chercherai à me rendre utile par d’autres moyens.
Q : Comment l’hôpital vous traite-t-il ?
R : Nous avons été très bien traités. Il y a plus de 1 000 bénévoles, qui ont distribué de l’aide humanitaire aux hôpitaux militaires, y compris celui-ci. Nous sommes un et unis en tant que peuple.
Q : Puis-je vous demander quel âge vous avez ?
R : J’ai 48 ans, mais je connais des gens qui approchent la soixantaine et qui sont également prêts à apporter leur contribution. Ils ont des enfants et des petits-enfants. Si le nazisme gagne, les choses seront terribles pour tout le monde.
Q : Des rapports font état de nazis américains venus combattre en Ukraine…
R : Vous trouverez des néo-nazis partout. Même en Russie, nous en avons quelques-uns.
Q : Avez-vous eu l’occasion de dire aux soldats ukrainiens, que leur propre gouvernement les utilise comme chair à canon ?
R : Nous avons eu l’occasion de parler à des civils, mais les soldats ukrainiens sont malheureusement hors d’atteinte.
Q : Que décririez-vous comme la pire chose en servant sur le front ?
R : Le bombardement. C’est une sensation terrible, comme un tremblement de terre. Mais le pire, ce n’est pas tant la perspective de mourir que celle de perdre des camarades, des gens que l’on apprécie. C’est affreux de devoir être amenés à dire à leur famille que leur père est décédé. À ce jour, je ne sais pas comment faire face à cela. J’avais un ami à Donetsk qui m’avait demandé de prévenir sa femme s’il lui arrivait quelque chose.
J’ai malheureusement été confronté à cette situation et je ne veux plus jamais avoir à revivre cela.
L’entretien a été filmé, en voici la version intégrale, en russe et en anglais :
Texte écrit par Dan Kovalik et Arnaud Develay pour Russie Politics