Billet de déglobalisation : la Chine, l’Inde, le Brésil lâchent la Russie à l’assemblée générale de l’ONU

 «Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge!«. Le dernier vote de l’assemblée générale de l’ONU pour une résolution portant sur le renforcement des relations entre l’ONU et le Conseil de l’Europe, qualifiant en préambule la Russie de pays agresseur en Europe, vient d’être votée non seulement par la Chine, ce grand ami qui est censé pour certains optimistes permettre à la Russie de faire tomber le monde global, mais aussi par ce grand allié dans les BRICS qu’est le Brésil. Si la globalisation est objectivement actuellement contestée, elle est très loin d’être morte. Une approche plus rationnelle s’impose.

Le 26 avril 2023, l’assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution sur la coopération entre l’ONU le Conseil de l’Europe, qui vante le rôle de cette organisation dans la protection de l’Etat de droit, le maintien de paix, etc. Certainement, les dérives russophobes de l’APCE et idéologiques de la CEDH ont été parfaitement appréciées. Ce qui permet à la résolution, en préambule, d’indiquer :

«Considérant également que les difficultés sans précédent auxquelles se heurte actuellement l’Europe à la suite de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, et contre la Géorgie auparavant, et de la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe, appellent une coopération renforcée entre l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Europe, notamment pour rétablir rapidement et maintenir la paix et la sécurité fondées sur le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de tout État, assurer le respect du droit des droits de l’homme et du droit international humanitaire pendant les hostilités, offrir aux victimes des voies de recours et traduire en justice toutes les personnes responsables des violations du droit international,»

Autrement dit, la résolution pose comme établie l’agression par la Russie de la Géorgie, quand Saakachvilli, le Président géorgien agresse l’Ossétie du Sud en 2008 (voir notre texte ici) ; elle pose comme établie l’agression par la Russie de l’Ukraine, faisant fit de tout ce qui s’est passé avant février 2022, et cherche à établir une coopération renforcée de ces organes de gouvernance globale, afin de conduire à la défaite de la Russie et à la constitution d’une justice d’exception et sur mesure devant juger ceux, dont l’Axe atlantiste a déjà décidé de la culpabilité.

122 pays ont voté pour cette résolution, 5 ont voté contre et 18 se sont abstenus.

L’on peut ainsi noter que la Chine, l’Inde et le Brésil, qui sont soi-disant les grands alliés de la Russie dans ce combat contre le monde global atlantiste, ont sans aucun problème voté pour cette résolution. D’autres pays au «soutien» plus complexe, dont «l’indépendance» ressemble plus à une farce bien organisée, comme la Turquie, l’Arménie ou le Kazakhstan ont également voté pour. L’on notera aussi que les pays «amis» de la Russie en Afrique du Nord, comme l’Algérie ou le Maroc, ont docilement voté cette résolution, quand plusieurs pays d’Afrique noire, du Moyen-Orient, Cuba et de l’espace post-soviétique se sont abstenus. Il est intéressant de noter qu’auparavant la Chine, au moins, s’abstenait d’un tel vote. 

Les véritables soutiens de la Russie, aujourd’hui, sont la Biélorussie, la Syrie, le Nicaragua et la Corée du Nord. 

Il y a quelques jours, l’on posait la question de ce que cherchait réellement la Chine (voir notre article ici). 

La Russie a beaucoup trop mis en avant son «amitié» avec ces pays, elle s’est mise en situation de dépendance, notamment politique. Et pourquoi respecter ceux qui dépendent de vous ? Ces grands pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ne remettent pas en cause la globalisation, ils en sont les piliers. La Russie présente un intérêt pour eux, tout d’abord économique. Pour présenter un intérêt politique, elle doit être forte. Diversifier les échanges commerciaux à travers différentes organisations, comme les BRICS, ne remet pas en cause la globalisation comme système de gourvernance. Tout d’abord, parce que ces organisations, comme nous le voyons, n’ont strictement aucun poids politique pouvant s’opposer aux forces globalistes. Ensuite, parce qu’elles n’ont aucun projet commun à opposer, qu’elles seraient réellement susceptibles de défendre — elles sont purement économiques. Enfin, elles ne conduisent pas au retour de la souveraineté des Etats, mais à une nouvelle configuration de sa dissolution. 

Si le combat que mène en première ligne la Russie aujourd’hui contre la globalisation se joue sur plusieurs terrains, elle ne doit pas oublier deux dimensions fondamentales : la guerre doit se gagner pour elle sur le champ de bataille et tout le monde voit que les choses traînent dangereusement, ce qui affaiblit également sa position à l’international — les pays suivent les vainqueurs ; la déglobalisation passe par un changement de paradigme idéologique à l’intérieur du pays, ce qui est encore très loin d’être le cas. 

Juste un exemple, mais Ô combien révélateur de cela. Pour accéder au Forum juridique de Saint-Pétersbourg, où à côté du culte numérique, la question de la souveraineté est pour une fois mise en avant, un test PCR est obligatoire. Parler de la souveraineté avec un test covid, ça illustre parfaitement la situation des élites en Russie. Alors, qu’il n’est plus demandé nulle part depuis longtemps, ces «élites» n’ont manifestement pas envie d’abandonner si facilement leur rêve globaliste.

Karine Bechet-Golovko