Billet d’humeur : Fridman, Perekrestok et la neutralité du 9 mai

L’approche du 9 mai provoque toujours une crise d’angoisse dans une partie très particulière des élites russes, celle qui se sent apatride depuis 2022 … Ainsi en est-il de l’oligarque Mikhail Fridman, appartenant à la catégorie des «grands patriotes» vivant encore jusqu’à peu en Angleterre malgré les sanctions, propriétaire notamment de la chaîne de supermarchés Perekrestok … où dans le chat interne il est interdit au personnel de mettre en avant les attributs du 9 mai, notamment le ruban de Saint-Georges est banni. Ces gens, qui font leur business en Russie, tout en vivant à Londres ou en Israël, et qui introduisent dans le quotidien russe le diktat atlantiste, me semblent être un anachronisme. Il est temps de faire son choix.

Cela fait déjà deux années qu’à l’approche du 9 mai, des vendeuses du supermarché Perekrestok, où je fais mes courses, viennent me voir en me demandant de diffuser l’information, car elles ne savent pas comment faire. Depuis le début de l’Opération militaire, la direction du supermarché diffuse sur le chat interne une interdiction de porter les attributs classiques du 9 mai, allant même jusqu’à mettre hors du champ du magasin le ruban de Saint-Georges. Lorsqu’elles s’adressent à la direction pour demander des explications, on leur répond «neutralité». Il faut donc être «neutre» par rapport à la victoire sur le nazisme … Les messages des chats internes étant effacés rapidement, il était difficile d’en attraper un. Cette fois-ci, il fut sauvegardé avant de disparaître. Envoyé le 26 avril par Maria Sapozhnikova, le voici:

Nous apprenons ainsi que tout à coup, il ne faut donner au personnel ni distribuer aux clients des rubans de Saint-Georges, que les symboles militaires doivent être bannis, car ils n’ont pas leur place dans les supermarchés …

Intéressant, pendant tant d’années avant 2022, ils avaient leur place et, désormais, ils sont bannis. Comme une faute de goût. Que ne ferait-on pour le bon goût … atlantiste, c’est vrai.

Une cliente, qui n’a pas compris qu’elle n’avait pas «bon goût», s’est adressée à la direction du magasin pour savoir pourquoi il n’y avait aucune symbolique du 9 mai. Mal à l’aise, le responsable local lui a répondu que la consigne venait de plus haut …

D’où vient ce retournement de situation ? Précisons que la chaîne de supermarchés Perekrestok appartient à Alfa Group, et ainsi à l’oligarque Fridman.

Mikhail Fridman est un grand patriote, il fait son business en Russie, d’où il tire ses revenus, et vivait en Grande-Bretagne. Un vrai héros de notre époque, apatride postmoderne à souhait, sa seule patrie, c’est le fric. Et son passeport israélien. Mais Londre a sa préférence. Même lorsqu’il est tombé sous sanction en 2022, il n’a pas déménagé. 

Pourtant Michounet se plaignait aux médias russes — ses comptes sont bloqués, il n’a pas de quoi faire ses achats, tous ses comptes sont en Angleterre … et du coup, même avec un passeport israélien, il ne peut pas partir si facilement y habiter, puisqu’il lui faudrait y acheter un logement. Ces gens-là ont vraiment des problèmes existentiels … 

En tout cas, même s’il déclare qu’il se sentait, le pauvre petit, humilié en Angleterre … il ne pensait pas rentrer vivre en Russie. Et en 2023, il fait le grand saut — il part pour Israël. Mais du coup, il annonce qu’il pourra passer plus souvent à Moscou … Vraiment, on se sent rassurer.

En octobre 2023, la Douma a demandé de vérifier au regard du discrédit de l’armée russe et du financement de l’armée ukrainienne plusieurs personnalités, qui ont quitté le territoire, notamment Fridman. Volodine, le président de la Douma, avait proposé d’envoyé en Sibérie ceux qui revenaient la queue entre les jambes, pour des raisons financières. Mais Peskov estimait que le passage de Fridman en Russie ne soulevait aucune question. L’on n’a plus entendu parlr de cette tentative de mettre à jour la position de certains «grand patriotes».

Donc pour récapituler : des sanctions avec le début de l’Opération militaire et comme par hasard, les symboliques du 9 mai disparaissent au même moment de ses magasins … Certainement une coïncidence. Et il faut dire que la «neutralité» par rapport à la Russie et ses grandes déclarations disant qu’il n’était pas du tout un proche de Poutine, mais non, voyons  — il aurait pu s’appeler Pierre — ont payé : l’UE a levé les sanctions à son encontre en avril. 

Si chacun a le droit de contester les sanctions devant la justice européenne, paraît-il selon Peskov, pour obtenir gain de cause. Soyons sérieux, le résultat dépendra plus du comportement politique de l’intéressé, que du cadre juridique. Puisque dès le départ, les sanctions sont une décision politique et non juridique.

Et le bannissement du ruban de Saint-Georges dans la plus pure ligne ukrainienne post-Maïdan est évidemment un argument en faveur d’une «normalisation» des relations de l’intéressé avec les structures atlantistes. 

Ce qui est plus surprenant, est l’absence de réaction en Russie …

Par Karine Bechet-Golovko