Billet d’humeur : le combat de la Russie contre la globalisation est du terrorisme pour le Parlement européen

Hier, le Parlement européen a adopté une résolution, acte politique sans force juridique, qualifiant la Russie de pays soutenant le terrorisme et l’accusant des mises en scène préalablement fabriquées dans ce but en Ukraine, mais également de la faim dans le monde ou d’oser soutenir Assad dans sa guerre contre les terroristes. Qualifier la lutte contre le néonazisme en Ukraine de terrorisme est du déjà vu, les résistants lors de la Seconde Guerre mondiale étaient également condamnés pour terrorisme. Au-delà de cette reconnaissance européenne du combat russe contre l’ordre global, qui utilise le terrorisme comme instrument de déstabilisation, les effets juridiques réels de cette résolution dépendront de la capacité de Moscou de sortir de la comm et du confort de l’espoir pour entrer dans le politique. Autrement dit, ne pas seulement faire des déclarations, mais de prendre de véritables décisions politiques — et de s’y tenir. Chacun occupant l’espace que l’autre lui laisse occuper. 

Hier, le Parlement européen, par un vote de 494 voix pour, 58 contre et 44 abstentions, a adopté une résolution ressemblant à s’y méprendre à un cri de haine. Le texte publié ici laisse perplexe. Car pour en arriver à qualifier la Russie d’Etat soutenant le terrorisme, il a fallu creuser profondément. Tout d’abord, les députés européens ont appelé à la rescousse les mises en scène de Boutcha, Kramatorsk et autres, toujours non prouvées juridiquement et pour cause, malgré tous les éléments à charge contre l’armée atlantico-ukrainienne. Ensuite, il a fallu à nouveau accuser la Russie de la destruction des infrastructures civiles, oubliant de préciser qu’elles ont été militarisées par l’Ukraine (ici l’on comprend l’importance d’annuler le rapport d’Amnesty International). Evidemment, la Russie est à nouveau accusée de ces viols, agressions et autres crimes contre les civils, toujours établis sur «preuves médiatiques». Elle est sans aucun doute également accusée de se tirer dessus à la centrale de Zaporojie, les correcteurs de tirs britanniques ne pouvant raisonnablement pas être nommés. La Russie est aussi, ne l’oubliez pas, la seule à avoir tiré sur Mariupol et elle doit manifestement être condamnée pour la reconstruire …

Sans entrer dans le détail, vous retrouverez dans le texte de la résolution toutes les accusations politico-médiatiques patiemment préparées depuis le début du conflit. Ce qui est amusant, c’est que la résolution va plus loin. Par exemple, la Russie est accusée de provoquer la faim dans le monde. Rappelez-moi où vont les bateaux chargés de céréales ? En Occident. Elle est également accusée de soutenir Assad, en Syrie … dans son combat contre les terroristes plus ou moins «modérés», mais parfaitement équipés et financés par la coalition américaine, dans laquelle entrent les pays européens.

Il ne sert à rien d’entrer plus dans le détail de ce déversement de haine. La Russie est accusée de ne pas se rendre, de combattre le monde global, de ne pas disparaître — de ne pas faire comme l’Europe. Et le combat doit être mené par le monde global justement jusqu’à ce point — la disparition de la Russie, qui est soi-disant la source de l’insécurité sur le Continent européen. Car ce n’est pas elle, qui développe les bases de l’OTAN et l’occupation américaine de l’Europe ; car ce n’est pas elle, qui finance les révolutions de couleurs dans les pays, dont le gouvernement n’est pas suffisamment aligné ; car ce n’est pas elle, qui finance et arme les groupes terroristes devant faire le sale travail, pour que les armées régulières ne soient pas officiellement mouillées. En effet, elle doit être condamnée pour tout ce qu’elle ne fait pas.

Mais juridiquement, le Parlement européen ne peut que crier au loup, c’est aux Etats membres de prendre le risque d’aller tuer le loup. Et l’excuse de la réparation de guerre de l’Ukraine par les actifs russes, dans ce monde de marchands de tapis, est un morceau de choix. Tout à coup oubliant que le missile tombé en Pologne n’était pas russe, il sert de transition pour arriver à l’essentiel — donner un semblant de légitimer au vol des actifs russes :

«invite l’Union européenne et ses États membres à mettre en place un cadre juridique européen permettant de déclarer comme tels les États qui soutiennent le terrorisme et qui utilisent des moyens terroristes, dispositif qui exposerait les pays concernés à une batterie de lourdes mesures restrictives et qui aurait pour effet de limiter de manière importante les relations de l’Union avec lesdits pays; demande au Conseil d’envisager, une fois cela fait, d’inscrire la Fédération de Russie sur ladite liste de l’Union des États qui soutiennent le terrorisme; invite les partenaires de l’Union à adopter des mesures similaires;»

Ensuite, l’on revient au vieux fantasme de ces pays européens, ayant parfaitement collaboré dans leur grande majorité avec l’Allemagne nazie, de faire sortir la Russie, comme successeur de l’Union soviétique, des institutions internationales, et surtout lui faire perdre sa place et son veto au Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle détient comme vainqueur du nazisme. C’est la revanche des faibles.

«invite l’Union européenne et ses États membres à mettre en place un cadre juridique européen permettant de déclarer comme tels les États qui soutiennent le terrorisme et qui utilisent des moyens terroristes, dispositif qui exposerait les pays concernés à une batterie de lourdes mesures restrictives et qui aurait pour effet de limiter de manière importante les relations de l’Union avec lesdits pays; demande au Conseil d’envisager, une fois cela fait, d’inscrire la Fédération de Russie sur ladite liste de l’Union des États qui soutiennent le terrorisme; invite les partenaires de l’Union à adopter des mesures similaires;»

Objectivement, ce monde de l’après-guerre n’est plus et dans ce nouveau monde en construction, la Russie ne peut avoir de place, ni géopolitique, ni politique, ni culturelle, si elle ne la conquiert. A nouveau. Ou alors, elle doit, comme les pays européens, se dissoudre dans la globalisation. Mais elle, à la différence des pays européens, sera de toute manière condamnée à disparaître pour avoir fait trop peur, pour s’être rebellée. 

Les pas réels réalisés par les pays occidentaux dépendront en grande partie des pas réels réalisés par la Russie. Pour l’instant, elle reste bien confortablement dans la comm. La représentation de la Russie à l’ONU et la porte-parole du MAE ont fait immédiatement hier des déclarations, certes, pleine d’humour : proposer de reconnaître le Parlement européen comme sponsor de la bêtise. L’esprit est agréable, mais espérons que la réaction de la Russie, une fois encore, ne s’arrêtera pas à quelques publications dans les réseaux sociaux.

Cela pourrait faire rire, si les circonstances étaient différentes. Entre les déclarations selon lesquelles la Russie est toujours prête aux négociations, après le retrait de Kherson qui met la Crimée en danger, après la reconduction de l’Accord céréalier qui soutient les économies occidentales, peu ont envie de rire aujourd’hui. Un peu de sérieux, justement, ne ferait pas de mal. Surtout après les déclarations de Peskov, elles parfaitement sérieuses, ce 21 novembre, qui parlant au nom du Président, a déclaré que le changement de régime en Ukraine ne fait pas partie des buts de la Russie, le Président n’en ayant pas parlé. Cette déclaration intervient après que de députés aient fait des déclarations provoquant l’espoir de la population, quant à un changement de régime à Kiev. Bref, la Russie a décidé de dénazifier l’Ukraine sans changer le régime en place, à savoir un régime de protectorat atlantiste, utilisant les groupes néonazis pour maintenir la terreur sur le territoire. La logique politique est … étonnante. 

Bien que la Russie lance une grande quantité de missile sur les sites stratégiques en Ukraine, manifestement, elle n’est toujours pas entrée en guerre. Y a-t-il une fatigue politique pour éviter le combat essentiel et en repousser le moment inévitable, un manque d’imagination pour ne pas penser le monde désiré et donc avoir peur d’avancer, une forme de paralysie des élites ? Que cherchent-elles dans ces hésitations, ces légers pas de deux, ces flirts impossibles et insistants avec, des organismes qui les rejettent ? 

Je participais avant-hier à une conférence dans une université auprès du Gouvernement. La question discutée était de savoir avec qui et à quelles conditions la Russie doit-elle «se lier d’amitié». Amitié. Depuis quand un Etat a-t-il des «amis»? Les individus ont des «amis», les Etats construisent des relations stratégiques, qui doivent dépasser justement les relations amicales ou non, qui peuvent exister entre leurs dirigeants, pour être stables. Le changement de paradigme est impératif, ce que plusieurs participants, dont je fais partie, ont souligné.

La confiance aveugle de la Russie dans les organismes internationaux laisse perplexe. L’on pourrait rappeler cette phrase de Carl Schmitt, pleine de bon sens, dans La notion de politique (Flammarion 1992, p. 99) :

«La Société des Nations de Genève ne supprime pas plus l’éventualité des guerres, qu’elle n’abolit les Etats. Elle créé de nouvelles occasions de guerres, elle en permet certaines, encourage les guerres de coalition et élimine une série de freins mis à la guerre en en légitimant et en sanctionnant d’autres.«

Pour l’ONU, la guerre atlantiste en Ukraine est «légitime», car c’est justement sa guerre. Et les organismes internationaux, comme par exemple l’UE, le Conseil de l’Europe, l’AIEA, participent à ce processus de légitimation. Car c’est leur guerre. Celle qui va permettre leur pouvoir sans partage et la soumission des Etats. Dans leur logique, la Russie soutient le terrorisme, car elle remet leur pouvoir en cause et de leur point de vue, évidemment, leur pouvoir seul est légitime et étant global ne laisse pas de place à un autre pouvoir.

Mais la question qui m’intéresse est très simple : les pays européens vont-ils ainsi laisser la Russie seule se battre contre la globalisation ? Alors que justement, la globalisation est le fléau, qui détruit les pays européens, qui réduit à néant la civilisation européenne.

Karine Bechet-Golovko