Billet du jour : Fan ID en Russie ou comment créer des problèmes, là où l’on peut trouver un appui
Le système d’identification numérique des fans de foot, Fan ID, est en train de tuer le football en Russie et provoque un mécontentement grandissant dans la profession, autant que chez les fans. Il semblerait qu’il n’y ait finalement que le Gouvernement pour soutenir ce projet de loi radical, totalement décalé de la nouvelle situation géopolitique. Malheureusement, jusqu’au Kremlin, la Russie est engluée dans le fanatisme numérique et rien ne semble pouvoir l’en faire sortir, pas même la guerre menée aujourd’hui contre ce monde global, dont le culte numérique est un pilier. Ce qui peut avoir de funestes conséquences dans ce contexte géopolitique … Les milieux des fans de foot étant en général considérés comme patriotiques.
En décembre 2021, la Russie adopte la loi sur les Fan ID, système d’identification numérique obligatoire pour accéder aux matchs, des championnats internationaux, mais aussi nationaux (voir notre article ici). Et cela passe très très mal.
Cette loi a été adoptée au moment de la poussée globaliste russe dans le cadre du Global Covid, lorsqu’il s’agissait d’adopter des QR Code pour la vie courante. Lorsque certaines régions étaient encore plus progressistes que d’autres et avaient déjà imposé leur QR Code pour prendre les transports en commun urbains.
Il faut dire qu’avant l’adoption de cette loi, dès juin 2021, l’Agence de surveillance de la consommation, en charge du business covidien en Russie, avait déjà voulu passer les matchs de foot nationaux au Fan ID, c’est-à-dire à l’identification numérique, ce qui avait provoqué un rejet massif des milieux professionnels et des fans (voir notre texte ici). Surtout que rien n’avait été demandé pour l’Euro …
Avec le déclenchement de l’Opération militaire russe en Ukraine, l’on aurait pu penser que, en toute logique, le moment n’étant plus au culte global du tout-numérique, les élites russes allaient revenir sur terre, dans la réalité.
Mais non, les stades se vident, le Gouvernement se radicalise et ne lâche rien. Il semblerait que ce soit une question de principe pour lui : le culte numérique est sacré, rien ne doit l’entraver, ni la réalité sociale, ni le contexte géopolitique. D’autant plus qu’au 1er décembre 2022, alors que la guerre bat déjà son plein, le domaine d’application de cette loi est étendu à tous les stades du championnat national.
Les médias parlent d’une mise à mort du foot russe, avec des stades quasiment vides en raison de cette obligation d’identification numérique. Certains clubs passent ouvertement outre, comme le club de Saint-Pétersbourg Zenit, qui distribue des billets pour ses matchs par les écoles et les établissements publics. Ils comparent d’ailleurs justement ce mécanisme contraignant à celui de la vaccination obligatoire covidienne …
Et idéologiquement, c’est le cas. Nous sommes ici et là dans le «nouveau monde» de la globalisation. Certaines voix s’élèvent pour demander une révision ou une annulation de cette loi absurde. Le président de la Fédération russe de foot dit qu’il serait possible de demander au Gouvernement de réduire le domaine d’application de cette loi aux matchs internationaux. Medvedev déclare qu’il serait bien de ne pas pousser le système jusqu’à l’absurde :
«En ce qui concerne Fan ID, je ne me considère pas comme un expert en la matière. C’est clair, il faut surveiller le fonctionnement de cet outil, mais en général, je vois qu’il soulève beaucoup de plaintes et de questions. Si pendant la Coupe du monde, il était au moins évident qu’il s’agissait d’assurer la sécurité globale, il prend aujourd’hui des formes complètement absurdes. Récemment, j’ai lu qu’une famille n’a pas été pas autorisée à assister à un match de football, parce qu’un enfant de sept mois n’avait pas de Fan ID. Eh bien écoutez, c’est du n’importe quoi. À tout le moins, les règles doivent être ajustées.»
L’espace d’un instant, nous avons pu espérer que ce système du temps de la globalisation conquérante en Russie soit remis en cause. Mais non. Dans une déclaration du 27 mars, le Président russe Vladimir Poutine a simplement dit qu’il fallait «simplifier» le système pour les enfants, les personnes âgées et les invalides d’ici le 1er mai. Il vient donc de le valider.
Autrement dit, il n’y a plus de raison «sanitaire», il n’y a pas de raison «sécuritaire», les fans de foot font partie de la catégorie patriotique de la société, sur laquelle le pouvoir en place, en situation de conflit militaire ouvert, a tout intérêt à s’appuyer. Au minimum, ils jouent avec le feu. Au maximum, c’est particulièrement révélateur, encore une fois, de cette fracture idéologique qui traverse pouvoir et de l’éloignement idéologique de ces élites, ici aussi, d’avec la population.
Le culte numérique s’accompagne de celui, commerçant, des fameuses bases de données (censées être le lieu de pouvoir et de richesse du futur). C’est-à-dire que notre identité, celle de la masse, se doit d’être rentable — pour certains, une minorité, et nous n’avons pas le choix. Rappelons à ce sujet, le scandale du Real Madrid, qui a proposé de vendre la base de données de ses 60 millions de fans à Amazon. Je ne suis pas certaine qu’il soit dans l’intérêt de la Russie, ni de ces élites, de continuer dans cette voie, si elle entend sortir vainqueur — et en vie — de ce conflit.
Karine Bechet-Golovko