Billet du jour : La Géorgie ou de la naïveté des satellites à se croire souverains
Les hommes ont toujours besoin de rêve pour avancer au quotidien. Qui ne rêve pas sa vie plus haut en couleur ? Quelle élite politique n’a pas de rêve de grandeur ? Ce processus est normal, et même bénéfique, sauf quand le pays en question est un satellite : les rêves doivent alors strictement rester dans l’espace autorisé par le centre. La Géorgie vient de se faire remettre en place. Elle a rêvé de contrôler les revenus de toutes ces structures, qui fonctionnent dans son pays et représentent des intérêts étrangers. Toutes ces structures para-politiques, para-étatiques, qui ont un poids in fine déterminant sur sa politique intérieure et qui sont financées, soit directement par les USA ou l’UE, soit par leurs contre-agents. Immédiatement, de violentes manifestations ont été organisées devant le Parlement, qui vient de retirer le projet de loi, pourtant voté, actant ainsi l’écroulement de la souveraineté nationale. L’indépendance ne se rêve pas, elle se conquiert. La Géorgie vient de perdre la bataille sans même l’avoir menée. Nos pays doivent en tirer la leçon.
Le Parlement géorgien s’est pris à entrevoir un avenir géorgien pour la Géorgie. Deux projets de loi ont été déposés, l’un dit géorgien, l’autre dit américain, sur les agents étrangers. Le premier, plus souple, ressemble à la loi russe, et prévoit simplement la déclaration des revenus et la classification agent étranger, la sanction n’étant que administrative. Le second, mis en place sur le modèle du FARA américain va jusqu’à prévoir une responsabilité pénale.
Et l’on voit ici émerger un conflit existentiel entre un Premier ministre, soutenu par sa majorité parlementaire, qui tente de redonner à la Géorgie les moyens de se gouverner et une Présidente aux ordres de Washington.
«Le Premier ministre Irakli Garibashvili a déclaré le 7 mars, que les nouvelles lois renforceraient le pays. « Jusqu’à présent, personne n’a manifesté le moindre désir de considérer ou de condamner la loi sur les agents étrangers en vigueur aux États-Unis. Des lois similaires s’appliquent dans d’autres pays. Nous, nos autorités, faisons tout pour renforcer la souveraineté de la Géorgie », a déclaré l’homme politique. Il a déclaré que certaines organisations non gouvernementales de la République «se battent contre l’État et les intérêts de l’État», par exemple, elles organisent «des rassemblements antigouvernementaux, des événements provocateurs». «Dans le même temps, leurs activités sont dépourvues de toute transparence», a déclaré Garibashvili.»
Et ni les USA, ni l’UE ne veulent de transparence. La gouvernance délocalisée des Etats satellites doit se faire dans la discrétion, afin de garder le voile de l’illusion de la gouvernance nationale. Ainsi, avant que le premier texte de loi ne soit adopté en première lecture le 7 mars, l’ambassadeur américain à Tbilissi a «recommandé» au Parlement géorgien de ne pas adopter la loi :
« Il faut retirer le document. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Géorgie », a déclaré l’ambassadeur américain Kelly Degnan aux journalistes. Selon elle, la loi aurait un impact dévastateur sur les organisations opérant dans le pays.»
L’effet serait effectivement dévastateur, non pas pour la Géorgie, dont les USA se moquent totalement, mais pour toute la panoplie d’organisations, qui ont pris le pays en otage. Selon l’UE, suivant la voix de son maître, l’adoption de cette loi en première lecture est incompatible avec les valeurs européennes.
Josep Borrell a condamné la loi adoptée mardi 7 mars par les députés géorgiens sur les « agents de l’étranger ». Le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) la juge « incompatible » avec les valeurs de l’UE et l’objectif de rejoindre le bloc européen. « Son adoption définitive pourrait avoir de graves répercussions sur nos relations », a-t-il estimé mardi soir, dans un communiqué.
En effet, l’UE a conduit l’Europe à l’atlantisme aveugle, toute remise en cause de cette ligne de soumission est incompatible avec cette Europe. Borrell ne fait que répéter le discours américain et la menace clairement proférée par Ned Price, le porte-parole du Département d’Etat, le 7 mars, suite à l’adoption de cette loi par le Parlement :
«Alors Alex, comme vous le savez, je ne parle pas d’individus ou d’entités spécifiques, qui pourraient être soumis à des sanctions américaines ou autres, mais nous avons un certain nombre d’outils dans notre domaine, qui nous permettraient de tenir pour responsable n’importe qui dans n’importe quel pays autour du monde qui est responsable de la suppression de ce qui serait par ailleurs un droit humain universel. Il existe des institutions, qui sont inscrites dans diverses lois, dans des décrets exécutifs que nous examinerons de près dans ce contexte, comme nous le faisons dans n’importe quel contexte, pour demander des comptes à ceux qui pourraient aller à l’encontre de ce que veut le peuple géorgien et, surtout, ce que le peuple géorgien attend et mérite en termes de droits universels.
Et comme par hasard, des manifestations violentes explosent devant le Parlement le 7 mars et durent jusque dans la nuit du 9. Car c’est le seul «peuple géorgien» que reconnaissent les Etats-Unis. Pour rappeler aussi à qui la Géorgie a prêté allégeance, que la tranquillité sociale se mérite désormais au prix de la soumission totale. Sinon, il y aura des conséquences …
Des milliers de personnes dans les rues, avec armes et bagages. Parce que, évidemment, les gens, dans leur vie courante, sont choqués de ces textes de loi, qui prévoient la transparence financière et une déclaration pour les organisations, dont le budget est à 20% au moins composé de financement étranger. Et nous devons le croire … Il n’y a rien de plus important aujourd’hui, où l’économie du pays s’effondre, que ces lois … A moins que ces masses ne travaillent justement dans ces organisations, ce qui semble beaucoup plus réaliste, qu’elles aient donc été mise dans la rue. Ce qui est plus inquiétant pour l’avenir de la Géorgie.
Et la Présidente géorgienne, depuis New York, de soutenir ces manifestants — mettant le feu au Parlement, mais passons, ceci est un détail :
«La présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, s’est exprimée mardi à la télévision depuis New York pour se dire « aux côtés » des manifestants. « Vous représentez aujourd’hui la Géorgie libre qui voit son avenir dans l’Europe et qui ne laissera personne lui voler cet avenir », a-t-elle ajouté en demandant que la loi soit « abrogée » et promettant d’y apposer son veto.»
La trace ukrainienne n’est pas loin. Non seulement Zelensky soutient les manifestants, mais des drapeaux ukrainiens flottent parmi la foule, à côté d’ailleurs des drapeaux de l’UE :
«L’opposition radicale prend d’assaut depuis deux jours le bâtiment du parlement à Tbilissi pour protester contre l’adoption de la loi sur les agents étrangers. Des gens avec des drapeaux ukrainiens sont également entrés en action. L’hymne de l’Ukraine a également été joué dans le centre de Tbilissi.
«C’est une question de respect pour l’Ukraine, et je veux exprimer mon respect sincère pour la Géorgie», a déclaré Zelensky. «
Alors que le Parlement compte suffisamment de députés soutenant cette loi pour dépasser un veto présidentiel, ce matin l’on apprend que le projet de loi, pourtant voté par des députés légitimement élus et incarnant la souveraineté nationale, a été retiré, sans aucune condition. C’est la fuite en rase campagne.
«»Nous avons vu à quel point la législation a provoqué des troubles», a déclaré jeudi le parti Georgian Dream dans un communiqué, abandonnant le projet de loi qui a été vivement critiqué par l’Union européenne et les États-Unis, qui l’ont comparé à celui utilisé par le président Vladimir Poutine pour écraser la dissidence dans Russie. «Nous avons décidé de retirer la loi sans condition», a-t-il déclaré.»
La rue, instrumentalisée de l’extérieur, a gagné contre des députés nationaux élus, c’est la fin du système étatique géorgien. La fin officielle, car les institutions étatiques ne sont plus en mesure de garantir l’expression de la volonté populaire majoritaire.
La leçon politique à tirer est claire et pas uniquement pour la Géorgie, mais la France, notamment, pourrait y réfléchir aussi : le système de la globalisation ne permet à aucun pays une véritable gouvernance nationale. Seule l’illusion de la gouvernance est autorisée. Les élites politiques sont d’une naïveté incroyable, et très confortable : à force de se bercer d’illusions, sans lesquelles elles ne pourraient se regarder dans une glace, elles finissent par croire que le spectacle est la réalité. Or, si les élites politiques d’un pays veulent réellement redonner à leur pays les moyens de se gouverner, elles sont obligées d’entrer en conflit avec les mécanismes de la globalisation. Et cela doit passer par une véritable guerre d’indépendance, comme la Géorgie nous l’a montré.
Nous pays sont occupés, ils sont colonisés. Tant que nous ne le reconnaîtrons pas, rien ne changera. Toutes les autres déclarations de ces élites «patriotes» ne sont qu’elles-mêmes illusion et servent à faire sortir de temps en temps la vapeur, pour que surtout rien ne change.
Karine Bechet-Golovko