Billet du jour : le Niger et la faiblesse de la gouvernance globale
La crise au Niger est particulièrement révélatrice de la faiblesse et de l’hypocrisie du mode de gouvernance globaliste actuel. La France sort d’Afrique, faute d’avoir la force de défendre ses intérêts stratégiques. La Cédéao se cherche une légitimité pour faire entrer le monde global en guerre contre le nouveau pouvoir au Niger, qui a eu l’outrecuidance de réaliser une révolution «antiglobaliste» — donc par définition «anti-démocratique». Décidément, ce monde global, par sa radicalité, ne peut que provoquer les conflits, sans jamais les résoudre.
Lundi, l’ultimatum lancé par la Cédéao contre le nouveau pouvoir au Niger a pris fin, sans que celui-ci n’ait sourcillé : le peuple est derrière lui, le ciel est fermé, l’armée est en alerte et l’ancien président déchu est toujours sous haute surveillance. Au-delà des grandes déclarations médiatiques et des menaces interposées, personne ne sait comment agir face à l’ignorance qui est démonstrativement opposée à ces organes globlaux de gouvernance et à leurs antennes nationales.
La France gesticule, ramène à grand bruit ses ressortissants, mais laisse ses 1 500 militaires sur place. Sans vraiment savoir quoi en faire, puisque formellement ils sont censés se battre contre le terrorisme — avec l’efficacité que l’on connaît. Une intervention militaire directe de la France au Niger, contre un pouvoir qui bénéficie du soutien populaire, non seulement serait vouée à l’échec, mais aurait un tel relent de néocolonialisme, de surplus de la part d’un Etat lui-même d’une certaine manière actuellement colonisé, que l’illégitimité de la démarche s’accompagnerait d’une parfaite tartufferie.
Surtout que l’on doit repositionner la situation au Niger, de point de vue de la France, après ses déculottées au Mali et au Burkina Faso. D’une manière certaine, la France perd ses positions en Afrique et cela n’a rien à voir avec le fameux passé colonial. La France n’a tout bonnement plus de politique en Afrique, car elle n’a plus d’intérêt national. Et s’il existe encore quelques voix pour souligner l’importance des relations franco-africaines, il n’est plus de force nationale qui soit apte en France à les défendre et à les porter.
Donc le nouveau pouvoir au Niger, quelles que soient les déclarations des chancelleries de l’ordre global, se retrouve principalement confronté à une menace venant de la Cédéao. Et c’est bien par l’intermédiaire de cette organisation que les pays globalistes veulent tenter d’intervenir dans les affaires intérieures du Niger. Rappelons que la Cédéao est une organisation ayant pour but, sous couvert de développement économique, de faire entrer les dogmes globalistes en Afrique (libre circulation sur tous les modes et «convergence» — donc globalisation — des législations nationales) et de garantir ainsi une prise en main globalisante des autorités nationales. Tout comme l’UE à ses débuts — et l’on voit les résultats : les Etats ont été parfaitement évidés. Mais la Cédéao est encore loin d’un tel niveau d’intégration ou plutôt de désintégration nationale. Et surtout, à part une vague allusion au développement démocratique, elle n’a strictement aucun mandat pour une intervention miliaire, ni au Niger, ni ailleurs.
Donc, l’ultimatum est surtout un coup de bluff. Il paraît qu’une stratégie d’intervention militaire a été élaborée. Mais il n’y a pas d’armée. Le Sénégal est prêt à se lancer, mais il ne fait pas trop d’émules. Le Mali et le Burkina Faso considèrent qu’une intervention militaire serait équivalente à une déclaration de guerre à leur égard et la suspension du soutien économique de la France au Burkina Faso en mesure de rétorsion n’y a rien changé. Le Nigeria, prévient que son Sénat est opposé à une telle intervention. Le Tchad et l’Algérie, voisins du Niger mais non-membres de la Cédéao, appellent à une solution diplomatique. Face à une telle division et si peu d’enthousiasme des pays africains à déstabiliser la région pour satisfaire les intérêts globalistes, la Cédéao se réunira encore une fois jeudi. Quand le Mali et le Burkina Faso ont déjà envoyé au Niger une délégation militaire …
Sans même revenir que l’hypocrisie de l’appréciation du degré démocratique des révolutions par l’Occident (selon qu’elles sont pro ou anti globalistes), la crise au Niger permet déjà de tirer quelques conclusions. Le monde global, vidant les Etats de leurs forces vitales pour garder et renforcer son propore pouvoir, affaiblit également leur capacité de réaction, également lorsqu’il en a besoin. La gouvernance ayant été transmise des Etats vers des organes régionaux, puis universels, ceux-ci n’ont pourtant pas toujours la légitimité, ni les moyens d’assumer une confrontation directe avec des forces nationales. Pour agir, ils doivent, comble de l’absurde, compter sur la force de coercition légitime des Etats … contre laquelle ils se battent. Ainsi, la Cédéao est la plus vindicative pour lancer une intervention militaire au Niger, tout comme l’UE dans le cadre du conflit ukrainien, mais ces organisations n’ont aucun mandat militaire, ni — et heureusement — aucune armée. Ainsi, la gouvernance globalisée est un rapport de faiblesse, qui se fonde surtout sur l’hypocrisie.
Mais la globalisation est aussi un monde de confrontation inévitable et sans issue diplomatique possible. Elle ne peut se permettre d’être rejetée, sur n’importe quel m2 de la planète, sinon elle n’est plus globale. Elle porte donc en elle les germes mêmes des conflits existants et à venir. Et la rigidité de cette position, le fanatisme de cette vision du monde et le totalitarisme dont elle est porteuse écartent toute solution diplomatique, car aucun consensus n’est possible : seule la reddition de l’autre, par la ruse ou par la force, est acceptable. Il faut donc trouver des pays, qui soient prêts à se sacrifier pour défendre au prix du sang l’intérêt globaliste. Le Sénégal, sera-t-il celui-là ?
Par Karine Bechet-Golovko