Billet du lundi : celui qui concevra le monde d’après la globalisation, le maîtrisera
Au moment où la globalisation économique, qui sous-tend la globalisation politique, est réaffirmée au Forum économique de Saint-Pétersbourg, provoquant des réactions négatives des élites russes étatistes, le NYT sort un article intéressant, actant l’échec de cette globalisation économique libérale et posant la question du monde d’après. Celui qui dirige le monde, n’est pas celui qui produit de la haute technologie, mais celui qui maîtrise la réflexion et donc «produit des idées». Car il détermine les règles du jeu, qui s’imposeront aux autres.
Ce matin, le New York Times lance une réflexion sur les limites de la globalisation économique (épuisée?). Nous sommes loin de 2018 et du Davos triomphant globaliste, le dernier. Ont suivi la destruction covidienne systématique des économies et des schémas globaux de coopération économique, puis la guerre en Ukraine rebat les cartes. En suivent l’inflation, l’insécurité économique. Le marché tout-puissant a montré sa faiblesse : le Roi est nu et il est temps de l’accepter. Le marché ne peut empêcher ni les guerres, ni les catastrophes naturelles, ni le fanatisme des dirigeants. Il était en soi surprenant de le croire que l’existence en commun d’intérêts économiques pouvait empêcher les conflits et les crises, mais c’est une autre question, celle des limites de la logique des marchands.
«Mais à mesure que la poussière s’est retombée, il nous a soudainement semblé que presque tout ce que nous pensions savoir sur l’économie mondiale était faux.
Les conventions économiques, sur lesquelles les décideurs politiques s’étaient appuyés depuis la chute du mur de Berlin il y a plus de 30 ans — la supériorité inébranlable des marchés ouverts, le commerce libéralisé et l’efficacité maximale — semblent dérailler.»
Le train de la globalisation économique déraille, en même temps que la globalisation politique s’effrite sous l’effet du conflit militaire en Ukraine et de la montée de pays non-alignés. Le monde n’est plus global, pour autant l’on ne sait pas encore très bien comment il est. Première conséquence : ce n’est pas l’économique, qui mène le monde, mais bien le politique. L’économique s’adapte aux circonstances politiques, peut l’influencer, mais pas le déterminer.
Et alors que cette réflexion fondamentale est lancée aux Etats-Unis, l’on assiste à une véritable orgie globaliste au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Après un an et demi de conflit armé, les élites globalistes russes sont sorties de leur état de choc et reprennent le combat, pour l’ombre d’un monde mourant.
Sans aucune originalité, l’on y cultive le culte numérique et technologique post-humain, celui du marché tout-puissant contre l’Etat accusé de tous les maux, et surtout la globalisation comme système déterminant les relations internationales est formellement considérée comme la seule voie possible. Amen!
Ainsi, sans aucune originalité, l’idée d’une nouvelle vague de privatisation pour relancer l’économie, lancée par le président d’une banque publique russe, parfait apparatchik économique, est largement soutenue, et par l’ancien ministre de l’Economie, et la directrice de la Banque centrale. Le porte-parole du Kremlin déclare que l’idée est excellente, mais que le thème n’est pas à l’ordre du jour au Kremlin. Quand la présidente du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement russe, rappelle que la Russie a déjà vécu cela dans les années 90 et que s’il est toujours envisageable de privatiser ponctuellement une entreprise, il faut d’abord voir en quoi cela plus efficace pour le pays, sans lancer de grandes vagues, qui pourraient submerger le pays.
Nous voyons ici la division des élites russe. Au Forum, sont représentées ces élites, qui ne sont toujours pas sorties des recettes globalistes des années 90, de ces privatisations massives, qui devaient déjà à l’époque, selon les déclarations politiques, permettre de relancer l’économie (toujours le même argument), quand en réalité, elles devaient permettre un transfert de la propriété et un renouvellement des élites. Ce résultat a été obtenu, en déstabilisant pour une longue période l’économie russe, provoquant ainsi une paupérisation de la société. Pour eux, rien ne peut et ne doit remettre en cause le marché tout-puissant.
L’on notera encore une déclaration de l’ancien ministre de l’Economie et actuellement conseiller du Président, Orechkine, qui consacre la globalisation, comme un mécanisme ne devant être remis en cause fondamentalement, mais simplement adapté.
«La globalisation restera, mais ce sera différent, avec d’autres régions actives, avec d’autres économies en croissance, déclare le conseiller du Président russe Maxime Orechkine
« Il y a des régions en déclin, comme l’Europe, où nous ne verrons pas de taux de croissance élevé dans les années à venir. Il y a des centres en croissance — la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique, etc. », a-t-il déclaré.»
Bref, vive la globalisation et nous allons la reconstruire avec notre grand ami la Chine, qui est soi-disant l’ennemi de la globalisation et des Etats-Unis. Hourra !
Il y a trois jours de cela, a eu lieu une rencontre entre le Président chinois et Bill Gates :
«La Chine est prête à renforcer davantage sa coopération avec la Fondation Bill & Melinda Gates, a déclaré le président chinois Xi Jinping, lors d’une rencontre avec le fondateur de Microsoft, Bill Gates. Cela a été rapporté par la Télévision centrale de Chine.
Gates, à son tour, a parlé de la promotion de la coopération avec la Chine, sa vision de l’avenir. La Chine, a-t-il noté, a fait des progrès dans la réduction de la pauvreté et la réponse à la pandémie de coronavirus, donnant un bon exemple au monde.»
Ces élites, toujours bien accrochées aux dogmes globaux ante covidien, sont malheureusement incapables de remettre en cause leurs croyances, quand une réflexion commence à se développer en ce sens dans le monde anglo-saxon. Il y a de fortes chances que, petit à petit, l’Occident sorte de ces dogmes, car il a besoin de préserver sa puissance. Car pour lui, la globalisation est un moyen (de gouvernance) et non pas un but en soi. Si cet instrument ne permet plus sa puissance, il va chercher à en construire un autre.
«Les décideurs politiques cherchent désormais à sécuriser les chaînes d’approvisionnement et à privilégier les partenaires de confiance pour les relations commerciales, même lorsque cela est un peu moins efficace. Mais ce qui vient ensuite, alors que des éléments de l’orthodoxie économique précédente sont abandonnés, n’est pas clair.»
Celui qui concevra les nouvelles règles du jeu y aura une position privilégiée. Pour l’instant, la Russie continue de jouer, selon des règles qu’elle ne détermine pas, qu’elle ne conçoit même pas et ne tente pas de concevoir. Il est urgent de libérer les élites du carcan intellectuel, dans lequel elles ont été placées dans les années 90. La souveraineté passe d’abord par là, par la possibilité de concevoir son avenir et non pas d’adapter les règles posées par d’autres.
Par Karine Bechet-Golovko