Billet équitable : L’UE prépare un Tribunal international contre la Russie, qui reste dans le tout-communicationnel

Alors que la Russie a totalement déserté le champ juridique du conflit en Ukraine pour être obnubilée par la communication, l’UE et l’ONU se préparent à instaurer un tribunal contre la Russie sur le fondement très faible et contesté par la communauté internationale du «crime d’agression». L’ex-Yougoslavie a déjà démontré à quel point la «justice internationale» peut accompagner un conflit en cours et forcer le discours de la communauté internationale. Etrangement, les milieux politico-médiatiques russes ne diffusent qu’une partie des déclarations de notre Chère Ursula — les 100 000 militaires morts Ukrainiens. Les déclarations concernant la mise en place d’un Tribunal devant juger la Russie pour «ces crimes» est totalement absente du discours politico-médiatique russe. 

Ursula von der Leyen a été très claire sur ce point : plus de 20 000 civils et 100 000 militaires ukrainiens sont morts depuis février, la Russie doit payer — dans tous les sens du terme. Deux directions sont parallèlement mises en place.

Tout d’abord, en ce qui concerne la légalisation formelle de l’appropriation des avoirs russes. Le droit est un instrument et si la volonté politique est suffisante, il sera toujours possible de légaliser un vol. Et quand le vol atteint des sommes allant jusqu’à 600 milliards d’euros, cela devient de l’art. Je cite notre adorable Ursula :

«ces fonds devraient être utilisés pour que la Russie paie une indemnisation pour les dommages causés à l’Ukraine. Nous travaillerons à un accord international avec nos partenaires pour rendre cela possible. Et ensemble, nous pouvons trouver des moyens légaux pour y parvenir»

Et concrètement, cela fait déjà une belle somme. Je cite :

««Avec nos partenaires, nous veillerons à ce que la Russie paie pour les ravages qu’elle a causés, en utilisant les fonds gelés des oligarques et les actifs de sa banque centrale», a-t-elle garanti. Au total, 300 milliards d’euros de réserves de la Banque centrale russe ont déjà été bloqués par l’UE, en plus des 19 milliards d’euros d’avoirs gelés appartenant à des oligarques russes.»

Ensuite, il s’agit de mettre en place un Tribunal international par l’UE, sur la base de l’ONU, pour juger la Russie des crimes, qui lui sont imputés. Un gros travail de mise en scène a été fait dans les territoires qu’elle a stratégiquement abandonnés, le fond est prêt, reste à déterminer la salle de spectacle.  La CPI ne peut être utilisée directement contre la Russie, s’il s’agit de la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat, puisqu’elle n’en reconnaît pas la compétence, mais l’ONU est une plateforme idéale, d’autant plus qu’elle garde le voile pudique de l’international, qui cache à peine sa nature atlantiste.

« Tout en continuant à soutenir la Cour pénale internationale (CPI, basée à La Haye), nous proposons de mettre en place un tribunal spécial soutenu par les Nations unies pour enquêter et poursuivre en justice les crimes d’agression de la Russie » contre l’Ukraine, a-t-elle déclaré dans une vidéo diffusée sur Twitter.

L’UE, avec ce «crime d’agression«, reprend docilement la rhétorique de Zelensky, demandant il y a un mois de cela au Conseil de l’Europe de mettre en place un Tribunal ad hoc pour juger «chaque agresseur» russe. D’ailleurs, la Rada ukrainienne vient d’adopter une résolution politique condamnant le «crime d’agression de la Russie». Il n’est évidemment pas question des crimes commis par les gentils ukrainiens, comme ici dès leur reprise de Kherson, où la terreur se poursuit. Avec au minimum l’aval des dirigeants occidentaux.

Toutefois, le choix du crime d’agression comme fondement juridique montre la faiblesse de la position atlantiste, car c’est le seul fondement qui figurant sur la liste des crimes de l’article 5 du Traité de Rome, ajouté en 2010, ne permet pas à la Cour pénale internationale d’exercer sa compétence à son sujet, car il n’a pas initialement été précisé et ensuite la ratification de la définition, floue proposée en 2017, doit être pour cela aboutie et a provoqué beaucoup de débats, sans convaincre la communauté politico-juridique. Au-delà de la question institutionnelle, qui ne concerne pas la Russie de toute manière, le choix de cette notion très contestée est significatif de la position politique et non juridique de l’accusation portée contre la Russie.

La pratique d’un Tribunal ad hoc servant uniquement à charge a déjà été mis en place lors du conflit entre l’OTAN et la Yougoslavie et a rempli son rôle : il a formaté le discours international, pointé les responsables prédéterminés et mis fin à l’existence politique d’un Etat. C’est ce schéma qui va être remis en place contre la Russie. Toujours notre tendre Ursula :

«Nous sommes prêts à commencer à travailler avec la communauté internationale pour obtenir le plus large soutien international possible pour ce tribunal, a expliqué Mme von der Leyen dans une allocution diffusée sur Twitter. Les crimes épouvantables de la Russie ne resteront pas impunis».

Pendant ce temps-là, la Russie diffuse sur internet les interviews de militaires ukrainiens expliquant devant caméras les atrocités commises, diffuse sur internet les interviews des victimes, diffuse sur internet les reportages de l’armée de blogueurs qui se ballade à proximité du champ de bataille ou dans les salons moscovites. Heureusement, un véritable travail d’enquête, de réunion d’éléments de preuves est également réalisé par les structures compétentes, en tout cas sur les territoires qui ne sont pas stratégiquement laissés. Qui enquêtera sur la mort du vice-gouverneur de Kherson, Kirill Stremoussov, à la veille de l’abandon de la ville par la Russie ? Qui enquêtera sur les massacres de Boutcha, de ces civils avec un bandeau blanc au bras qui saluaient l’arrivée de la Russie ? Qui enquêtera sur les épurations commises contre les maîtres d’école et les médecins de Kharkov, qui faisaient simplement leur travail sous administration russe ? Qui ? Ni les autorités fantoches ukrainiennes, ni leurs maîtres atlantistes. Ces victimes n’auront pas justice, tant que le territoire ne sera pas libéré — définitivement. Et les vidéos n’y changeront rien.

Pendant ce temps-là, la Russie renvoie chez eux les membres d’Azov et les mercenaires étrangers, notamment ceux qui ont été jugés, grâce aux bons offices de l’oligarque Abramovitch. Et les échanges de prisonniers vident les rangs de ceux, qui ont également commis des crimes. Il ne reste de toute manière quasiment plus personne à juger et quand même ces personnes ont été jugées, elles peuvent ensuite rentrer chez elles, question de prix. Ce qui discrédite totalement l’idée même d’une justice.

Et à quoi bon les garder ou les juger, ils se sont déjà prononcés sur Telegram, la justice post-moderne est rendue ! Hourra ! Il est tellement plus confortable de cricouner et de s’indigner devant les caméras, de dénoncer l’utilisation illégale des armes étrangères contre les cibles civiles (ce qui oui, constitue un crime de guerre, dont la responsabilité est portée par ces pays, mais pas sur Telegram), que d’agir en justice. Le temps de la justice n’est pas celui de la comm, il faut une stratégie à long terme, qui ne permet pas la valse des caméras et des visages à chaque instant (donc, aucun intérêt?), qui oblige à faire des choix politiques face aux pays occidentaux, des choix qui peuvent bloquer de futurs pourparlers «on efface tout et on recommence» (donc, trop dangereux?). 

Et pendant ce temps-là, la Russie a totalement déserté le champ juridique, elle s’embourbe en lançant toutes ses ressources dans de la comm situative, réduisant le concept de guerre hybride à sa dimension primitive — militaire et communicationnelle, et se privant ainsi d’un véritable instrument de combat.

Karine Bechet-Golovko