Billet interrogatif : en quoi l’Alsace-Moselle diffère-t-elle de l’Ukraine ?

Mardi 19 avril 2022

Alors que les officiels russes annoncent que dès la reprise du Donbass, ils relanceront sérieusement les négociations avec l’Ukraine, espérant toujours une guerre de courte durée, les Etats-Unis, maître en l’art d’enliser les conflits qu’ils ne peuvent directement gagner, remettent en route les programmes de préparation des militaires ukrainiens. La démarche russe dans ce conflit soulève en effet beaucoup de questions : qui va assurer la «démilitarisation» et la «dénazification» de cette étrange Ukraine, quid des régions comme Kherson qui sont sous drapeau russe (ou le drapeau ne signifie-t-il plus rien?), pourquoi le «monde russe» s’arrête-t-il aux frontières du Donbass ? 

Les contours du conflit apparaissent plus clairement dans le discours officiel russe : libérer le Donbass et maison. Mais, avec une Ukraine, qui ne présente plus un danger pour la Russie — ce qui, à nouveau, n’indique rien de concret.

La Russie veut donc une Ukraine démilitarisée, enfin en tout cas dont le potentiel militaire ne présente pas de danger pour elle, mais sans être présente sur ce territoire. N’ayons aucun doute à ce sujet, l’OTAN s’en chargera parfaitement, les pays membres étant très actifs sur la question du soutien militaire apporté à l’Ukraine. Avec ces «garants» à ses frontières, la Russie pourra être tranquille …

Au fait, le Pentagone annonce la relance du programme de formation des militaires ukrainiens au maniement des armes américaines :

The United States in the next few days will begin training Ukrainian troops to operate powerful howitzers that the Biden administration is sending to Ukraine to help it fight the next major phase of the war, a senior Pentagon official said on Monday. (…) The Ukrainians will need training to use the American weapons, but their commanders are loath to spare many troops from the current fighting. So a small group of Ukrainian soldiers — most likely experienced with artillery and familiar with the Soviet-designed 152-millimeter counterpart to the American howitzer — will be brought to a neighboring country to learn the new system, the Pentagon official said.

La Russie veut la «dénazification» de l’Ukraine, parlant souvent d’un régime nazifiant, mais en même temps légitime, qu’elle ne veut pas renverser, juste détruire quelques groupes nazillons. Depuis, des nouveaux groupes sont créés, allant des étrangers aux criminels, armés et lancés dans le combat. Sans contrôle réel du territoire, cela semble être une fable. Rappelons que ce régime «légitime» bombarde des régions russes prenant des cibles civiles, qu’il donne ordre à ses hommes de torturer les soldats russes, qu’il donne ordre aux groupes nazis et criminels de tirer sur les soldats qui veulent se rendre, qu’il donne ordre de prendre sa population en otage, qu’il tire sur sa propre population pour accuser «l’ennemi». C’est ce régime qu’il ne faut surtout pas toucher … sinon avec qui les «grands patriotes» pourraient-ils négocier ?

Militairement, alors que Poutine parlait de la «décommunisation» de l’Ukraine dans son discours initial, qu’il ne parlait pas du Donbass, mais bien de l’Ukraine, ouvrant grand la porte aux attentes et des Russes et d’une grande partie des Ukrainiens de revoir se constituer la Russie historique millénaire, désormais les intentions se réduisent au rythme des pourparlers et des déclarations des «grands patriotes» — le Donbass et point barre. La question des territoires, comme Kherson, où flottent le drapeau russe n’est même pas soulevée. Le drapeau russe n’a-t-il donc plus de signification, n’est-ce plus qu’un élément de communication, pour faire de belles photos, quelques déclarations, mais sans implications juridiques, sans obligations politiques ? Qu’adviendra-t-il de ces populations une fois la Russie partie ? Nous avons vu ce qui s’est passé après le «geste de bonne volonté» du retrait de l’armée russe de la région de Kiev et d’ailleurs …

Une question me turlupine dans cette hésitation politique des élites russes, dans leur facilité à parler du «monde russe», mais de ce monde lointain, ailleurs, avec lequel il faut «collaborer», mais qui ne peut être juridiquement russe, de ces «terres russes» sur lesquelles il est légitime de voir flotter d’autres drapeaux. Pourquoi la frontière du «monde russe acceptable» s’arrête-t-elle au Donbass ? Selon quels critères ?

Je suis née en Moselle, l’Alsace et la Moselle ont fait partie une cinquantaine d’années de l’Allemagne. L’Ukraine est sortie de l’espace juridico-politique de la Russie depuis 30 ans, après en avoir été le coeur pendant un millénaire. Heureusement qu’à cette époque, le Gouvernement français estimait toujours la terre de Moselle comme française et qu’il s’est battu pour la reprendre. Quelle est la différence ? C’est une question de dimension? C’est une question d’époque ? Ou bien est-ce plutôt une question de courage politique ?