Billet : le covid a-t-il consommé l’isolement dans la globalisation des élites en Russie ?
Mardi 26 octobre 2021
La pression en Russie autour de la vaccination a changé d’ordre, à partir du moment où le Président Poutine a quitté son rôle formel d’arbitre pour ordonner aux gouverneurs dans les régions d’augmenter les tests et le taux de vaccination de la population. Le dernier verrou, déjà bien faible, vient de sauter. Les mécanismes de pression tournent autour de plusieurs pôles : les agences locales diffusant la ligne posée par l’Agence fédérale de surveillance de la consommation dirigée par l’incontournable Popova (en charge de la stratégie Covid), l’Institut Gamaley (qui produit le vaccin russe SpoutnikV) dont le directeur Guintsburg exige un chantage illimité aux QR Codes, le bloc globaliste du Gouvernement avec la vice Premier ministre Golikova soutenant la ligne dure d’une surveillance totale pour une vaccination maximale. Une course à l’excellence s’est alors engagée entre les régions, le «modèle français» de ségrégation sociale a fait des émules et la population le prend (très) mal. Un équilibre socio-politique difficilement atteint a été rompu.
Une fuite en avant s’est emparée des autorités politiques russes, alors que les prix continuent à flamber, que les salaires ne suivent pas, que l’économie a du mal à se remettre des deux premières années de l’ère Covid. Dans ce tableau, le Président russe tenait toujours un discours devant rassurer la population : il n’était personnellement pas pour la vaccination obligatoire, mais laissait les régions l’instaurer; il se taisait sur le système des QR Codes conditionnant l’accès à l’espace public (version russe du pass sanitaire français), mais laissait les régions le mettre en place. Et finalement, sans grand bruit, sans loi d’exception (puisque le régime juridique en place est celui de la loi de 1994 prévoyant notamment ce régime de surveillance renforcée — au niveau régional de surplus alors qu’il s’agit d’une pandémie), ce système a touché tout le pays.
Alors que le mythe selon lequel la vaccination n’était pas obligatoire en Russie pouvait ainsi perdurer à l’étranger et était un soutien moral pour ceux qui se battent contre ce système en Europe ou ailleurs, de savoir qu’il existe un grand pays qui n’a pas flanché, finalement la réalité a dépassé la fiction et le voile d’impudeur a volé en éclat.
Après avoir mis «en vacances» le pays pour 10 jours, en laissant les gouverneurs prendre des mesures plus fortes (ce qu’ils ont fait pour montrer patte blanche), le Président russe a précisé la ligne fédérale et la machine s’est mise en route :
- Les bars et les restaurants doivent être fermés dans le pays de 23h le soir à 6h du matin — puisqu’ils seront totalement fermés pendant les vacances et qu’aucune date n’est indiquée, il va être intéressant de voir combien de morts juridiques seront nécessaires pour revenir sur cette mesure;
- Interdiction de tout évènement de divertissement de masse;
- Renforcer les mesures sanitaires dans les transports et dans l’espace public;
- Les responsables dans les régions doivent avec l’agence de surveillance de la consommation, vérifier que les restrictions sont bien appliquées — la question de la séparation des pouvoirs et de leur hiérarchie devient intéressante avec l’introduction de ces agences dans un rapport hors-hiérarchie;
- Augmenter de plusieurs fois la quantité de test — leur capacité à distinguer le covid de la grippe et des autres virus respiratoires n’est toujours pas précisée;
- Le Gouvernement doit garantir l’accélération de la vaccination dans les régions (qui n’est formellement toujours pas obligatoire au niveau fédéral), notamment les personnes qui ont déjà été malades du covid — si besoin est, il est possible d’utiliser l’armée pour garantir «l’accès aux soins» (sans commentaires);
- Garantir deux jours de vacances payées pour les employés qui se font vaccinés — payés par l’employeur;
- En coopération avec l’agence de surveillance de la consommation, les pouvoirs locaux doivent organiser l’isolement immédiat des personnes malades, des personnes soupçonnées de maladie et les personnes ayant été en contact avec des personnes malades — même si elles sont en bonne santé ? Il est vrai que rester enfermé avec un malade permettra de développer le système immunitaire.
La vaccination est devenue une idée fixe, le seul salue de l’humanité — en Russie aussi. Ainsi, le directeur de l’Instut Gamaley d’exiger que les QR Codes soient généralisés en Russie et maintenus tant que 80% de la population ne sera pas vaccinée — il n’a pas précisé combien de fois, mais tous les six mois ce sera idéal selon lui. Donc, dans cette logique, les QR Codes existeront toujours. Il s’agit bien ici d’une personne intéressée au premier plan et très personnellement à ce que cette industrie perdure : son pouvoir personnel soudain et le financement de son Institut en dépendent. Par ailleurs, cet Institut compte de nombreux centres de l’OMS, travaillant sur des projets particuliers, autant que des programmes européens. L’intégration (ici idéologique en plus de scientifique) se porte à merveille.
Ce parallèle vaccination / QR Code est parfaitement expliqué par la vice Premier ministre Golikova. Ainsi, tout d’abord fermer pendant une semaine (et ainsi mettre les gens en situation de choc), pour ensuite généraliser le QR Code pour notamment l’accès au travail. Nous nous rappellerons que lors de l’instauration du pass sanitaire en France, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin avait trouvé l’idée excellente. Manifestement, il s’agit d’installer le même système, mais sans le nommer. Ce n’est que technique, ce n’est qu’un code sur votre smartphone, ce n’est pas un «passeport sanitaire». Mais en fait, c’en est un, c’est un système de ségrégation sociale.
Dans la foulée, le Gouvernement fédéral a annoncé que les personnes qui n’ont pas de documents prouvant leur vaccination ou le fait d’avoir été malades seront immédiatement testées dans les hôpitaux fédéraux.
Les Agences se sont activées et mettent la pression sur les pouvoirs locaux, déjà sous pression du pouvoir fédéral. A Saint-Pétersbourg, l’agence de surveillance de la consommation exige que les restrictions perdurent tant que 80% de la population n’est pas vaccinée. Dans la région de Sverdlovsk, l’agence locale exige que des mesures plus strictes soient adoptées (fermeture de l’économie, QR Codes, etc.) et s’est officiellement adressée en ce sens au gouverneur.
La machine a été lancée dans les régions, qui cherchent à être le premier de la classe. Cet emballement s’explique par le fait que les gouverneurs n’estiment pas tenir leur pouvoir (et leur légitimité) de l’élection populaire, mais du haut.
Par exemple, à Sébastopol, à compter du 30 octobre, des block-post sont installés pour contrôler l’entrée et la sortie de la ville avec QR Code de vaccination ou pour les personnes ayant été malades. Ou encore, en Iakoutie, les QR Codes seront généralisés et les bars et restaurants fermeront, comme le Président l’a dit, de 23h à 6h, après la période de vacances, sans qu’une date limite ne soit indiquée.
Si en 2020, l’on pouvait encore croire que cette élite attendait réellement le passage triomphant à une nouvelle économie (virtuelle), à une nouvelle société (virtuelle) tout en gardant leur pouvoir (réel), cette illusion est tombée, s’est fracturée grâce à la résistance de la population à se laisser enfermer dans une prison virtuelle. Les réactions de rejet aujourd’hui sont encore très fortes, face au passage par exemple des théâtres aux QR Codes. S’ils restent quelques fanatiques pour y croire et beaucoup de laquais pour faire semblant, l’ensemble de la classe dirigeante annonce une perte pour l’économie, a conscience de la montée de la crispation sociale, reconnaît l’échec à convaincre.
La Russie a la tentation du rapport de force avec la population. La question étant alors pourquoi ?
Une autre question s’impose : un pays peut-il réellement aller à contre-courant d’une vague globale ? Peut-être, mais pour cela il faut de solides convictions et un autre niveau de courage politique. A vouloir à tout prix être acceptée dans le monde occidental, cette élite préfère manifestement combattre son intérêt national et sa population, que d’affronter ces forces extérieures.
L’on aurait tant aimé une remise en cause de «l’optimisation» de la médecine, une réflexion de fond sur l’organisation du service public de la médecine, des expertises indépendantes sur les effets et l’utilité ou non du vaccin, une absence de propagande / menace généralisée dans les médias, autrement dit un comportement responsable de dirigeants qui respectent leur peuple. Le discrédit des instances dirigeantes en Russie est toujours un grand danger de stabilité sociale.
Parallèlement, l’hystérie qui s’est emparée du pouvoir à tous les niveaux semble de plus en plus décalée et de la population et sectoriellement des décideurs plus proches de la réalité. Une rupture semble être en train de s’installer et d’isoler finalement (du reste du pays?) la sphère politique dirigeante, qui s’intègre toujours plus intensément dans les mécanismes globaux.