Conflit en Ukraine : La pseudo-fuite de Poutine ou comment se contruit le nouveau discours médiatique contre la Russie
Depuis hier soir, les médias français sont saturés d’une information sortie du canal Telegram d’une personne présentée avec excès comme l’ancienne plume de Poutine et vivant actuellement en Israël : le «premier cercle» préparerait en cas de défaite de la Russie et ce depuis le début de l’Opération militaire, la fuite du Président russe vers le Venezuela. L’absurdité du fond et le peu de fiabilité de la source obligent à s’interroger sur la construction d’une nouvelle ligne d’attaque médiatique, lancée contre la Russie : décrédibiliser le pilier du système russe, Poutine. En faisant tomber le pilier, l’idée est de faire s’effondrer le pays. Car les mécanismes de confiance politique sont des mécanismes extrêmement fragiles.
Ainsi, les médias français, à la suite d’Insider, reprennent tous en choeur et comme à leur habitude, sans se poser de questions délicates, la publication sur Telegram d’un certain Abbas Gallyamov. La Dépêche:
«C’est Abbas Gallyamov, consultant politique et ancien auteur de discours pour Vladimir Poutine, qui a dévoilé l’information dans message Telegram, repris par le média Insider.»
Pour TF1 :»C’est en tout cas ce qu’a révélé Abbas Gallyamov, consultant politique et ancien auteur de discours pour Vladimir Poutine, dans un
repris par le média Insider, en citant des informations internes. (…) Abbas Gallyamov a arrêté de travailler pour le Kremlin depuis 2010 et vit désormais en Israël.»
Et voici ce qu’a publié cet Abbas Gallyamov, depuis Israël, où il est censé recevoir des infos internes du Kremlin, pour lequel il ne travaille plus depuis 2010 — ce qui ne fait réagir personne … :
«Ainsi, à partir du printemps, le Politburo de Poutine a commencé à travailler sur un projet sous le nom officieux d’Arche de Noé. Comme son nom l’indique, il s’agit de trouver de nouvelles terres, où il serait possible d’aller au cas où cela deviendrait complètement inconfortable dans le pays d’origine. L’entourage du dirigeant n’exclut pas qu’il perde la guerre, perde le pouvoir et qu’il doive évacuer d’urgence quelque part.»
Remarque en passant — «à partir du printemps» : cela voudrait dire dès le départ de l’Opération militaire?
«Au départ, la Chine, proposée, comme on dit, par l’aîné Kovalchuk, était considérée comme la plate-forme principale, mais les perspectives de coopération avec elle ont rapidement déçu les émigrants potentiels. Les Chinois sont trop conscients d’eux-mêmes et méprisent trop les autres — en particulier les perdants. L’espoir, comme il est maintenant devenu clair, ne leur suffit pas.
Aujourd’hui, l’Amérique latine — l’Argentine et le Venezuela sont considérées comme une plate-forme prometteuse. Je ne connais pas les détails concernant le premier, mais le projet de passer au second est supervisé par Setchine. Il entretient de bonnes relations personnelles avec Maduro et c’est à lui qu’est désormais confiée la tutelle du projet d’évacuation.
Comme on me l’a dit, Yury Kuriline, le bras droit du patron de Rosneft, est directement impliqué dans les travaux sur place ; une personne qui, jusqu’à récemment, était responsable de l’appareil de l’entreprise. Au cours de l’été, il a officiellement démissionné de là et se consacre désormais entièrement à «l’arche de Noé». Il a la nationalité américaine et de bonnes relations. Il est diplômé de l’Université Hayward en Californie, a travaillé dans des structures BP, notamment au poste élevé de directeur des affaires d’entreprise.»
Donc, revenons un peu sur le fond : le premier cercle travaillerait tranquillement à l’effondrement de la Russie et à la fuite du Président. Comme si la Chine allait entrer en confrontation géopolitique directe contre le monde global, alors victorieux, dont elle est la grande industrie … Comme si l’Amérique du Sud était composée de pays à la résistance politique telle, qu’ils seraient à même d’apporter une réelle protection au dirigeant russe en fuite, après la défaite de la Russie, et donc la victoire sans ombrage du monde global ? C’est une plaisanterie ?
Certes, le discours médiatique reprend le schéma de la fuite des dirigeants nazis lors de la défaite de l’Allemagne nazie. Et comme ils se sont convaincus de leur rhétorique comparant Poutine à Hitler, ils ne veulent surtout pas reconnaître que ces fuites des nazis à l’époque était organisée par les pays occidentaux, qui voulaient les utiliser. Ce qui a été fait. Ils ne risquaient donc rien. Le but était de les faire sortir d’Europe, où justement, ils pouvaient être arrêtés par les Soviétiques et être jugés pour leurs crimes. Actuellement, les dirigeants russes sont en guerre contre le monde global, qui ne va certainement pas leur donner asile. Les têtes dirigeantes doivent tomber après un procès aussi sommaire que politique. Le second rang doit faire acte de contrition et renier son pays, son passé, son existence. Ce qui doit permettre, dans leur idée, la disparition de la Russie.
Et les dirigeants russes comprennent parfaitement, qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. Ni pour leur survie personnelle et physique, ni pour la survie de leur pays, la Russie.
En plus de l’absurdité de l’annonce, il est amusant de voir que le sérieux de l’auteur n’a absolument pas été vérifié. Abbas Gallyamov, qui a commencé par la comm pour les partis de l’opposition libérale, n’a travaillé que deux années, non comme «la plume de Poutine» ou encore moins conseiller politique, mais il était un anonyme parmi beaucoup d’autres dans le Département de préparation des interventions publiques du Chef du Gouvernement. Oui, du Gouvernement. Et ce, pendant deux années — 2008 à 2010. Il a ainsi de loin croisé la trajectoire de Poutine, lorsque celui-ci était Premier ministre. Avant, il est arrivé de sa province du Bachkortostan et y est retourné, avant d’émigrer en Israël. Il est connu comme commentateur politiste provocateur.
L’on peut dire que c’est effectivement une source d’une fiabilité indéfectible. Et qui mérite d’être reprise par les médias nationaux occidentaux. A moins, que la publication n’ait simplement été commandée, parce qu’il est nécessaire actuellement de continuer à attaquer Poutine, afin de le discréditer. Cela a commencé avec les tonitruantes et invérifiables déclarations de Merkel, affirmant qu’ils avaient trompé Poutine avec les Accords de Minsk dès le départ, Poutine qui se serait laissé berner gentiment pendant 8 ans.
Poutine étant présenté comme le «joueur d’échecs génial», soit il serait finalement d’une bêtise crasse, soit il serait un traitre. Ou alors, tout ne s’est pas tout à fait passé comme Merkel l’a déclaré. Introduire le doute pour ternir l’image du chef sur le mode de «dites toujours du mal de quelqu’un, il en restera bien quelque chose …«. Or, dans l’idée occidentale, toute la Russie repose sur un seul homme — Poutine. Le faire tomber, serait faire tomber la Russie. Et c’est bien le but de cette guerre, qui n’a pas commencé en février.
Ainsi, depuis quelques temps, à chaque ligne de ce nouveau discours médiatique, l’on voit se construire l’image d’un Poutine, trahissant la Russie. C’est manifestement la nouvelle ligne d’attaque choisie. Mais pour être efficace, ce type d’attaque doit s’appuyer sur un discours crédible. Autant, les déclarations de Merkel ont déstabilisé l’opinion, autant la fuite au Venezuela, quand même, ce n’est vraiment pas crédible.
Karine Bechet-Golovko
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