Conflit en Ukraine : le parti globaliste reprend le pouvoir en Russie

La ligne de front est en gros gelée depuis le retrait de l’armée russe de Kherson et de la région de Kharkov, qui ne tient plus qu’une position défensive. Beaucoup se demandent si le problème est politique ou militaire. Nous venons d’avoir la réponse : le parti globaliste est en train de reprendre le pouvoir, comme ce fut le cas en 2016. Mais cette fois-ci, les conséquences seront plus lourdes — pour la Russie : sa dissolution.

Une publication, qui aurait été impensable il y a quelques mois de cela, vient de sortir dans les médias russes, RBK, qui n’ont rien à voir avec l’opposition. L’idée, développée par le directeur de l’institut de sondage Vtsiom, est très simple : il y a environ 10-15% de la population en Russie qui constituent ce qui est ici appelé «le parti de la guerre» ou «la Russie combattante», ce sont des gens dangereux mais heureusement contrôlables. Ils veulent libérer Odessa (les salauds), aller jusqu’à Kiev (quelle idée?!), remporter militairement la guerre (ça va pas, non!). Ces gens sont notamment les volontaires et leur famille, les familles de militaires … Ils ne comprennent pas pourquoi ça n’avance pas, pourquoi le paysage politique intérieur n’est pas «nettoyé» … Mais comme ils soutiennent Poutine, ils sont contrôlables, donc ils ne présentent pas un trop grand danger pour la politique intérieure russe. Sic!

A une autre époque, l’on aurait appelé ces gens des patriotes, mais ils ne jouent pas le jeu de la globalisation modérée, défendue en Russie par une partie des élites dirigeantes, donc la situation se radicalisant, ils commencent à présenter un danger. 

Afin de discréditer cette partie «inconfortable» de la société, deux moyens sont employés. Tout d’abord, les seuls «héros», qui leur sont attribués, sont Prigogine et Strelkov, comme si aucune figure de poids ne pouvait soutenir une victoire militaire de la Russie et la réelle sortie du pays du système global carcéral. Un personnage assez fou et un ancien repris de justice, qui faisait du business au frais de l’Etat — et de la guerre. Comme a dit Poutine en parlant de lui — il m’a rendu beaucoup de services et quand je le lui demandais, il pouvait aussi  de temps en temps rendre service au pays. Au moins, Strelkov était convaincu et n’a pas attaqué Moscou pour protéger son fric — qu’il n’a pas.

Ensuite, ces patriotes dérangeants sont présentés comme des marginaux, ne reflétant pas l’opinion de la population. Ainsi peut-on lire ces déclarations qui, il y a quelques mois seulement, auraient constitué une infraction pénale, portant atteinte à l’image de l’Etat :

«Et c’est un mélange explosif. Y en a-t-il eu beaucoup plus [depuis le début du conflit en Ukraine] ? Il a augmenté, mais pas beaucoup – ils sont d’environ 10 à 15 %. Pourtant, la majorité des Russes ne réclament pas la prise de Kiev ou d’Odessa. Ils n’aiment pas se battre. Si telle était leur volonté, ils n’auraient pas lancé d’opération militaire, mais puisque la situation a déjà évolué ainsi, nous devons gagner. Et c’est pour cela qu’ils sont pour la Russie, pour l’armée et pour Poutine.»

Ainsi, la majorité n’aurait pas commencé à se battre ? Elle aurait laissé bombarder les régions russes frontalières ? Elle abandonnerait Odessa et jetterait aux oubliettes le massacre du 2 mai 2014 ? Comment peut-on sérieusement écrire une chose pareille ? Quand la dernière fois cet individu, est-il sorti de son bureau feutré ? Il est sorti de Moscou, pour discuter avec les gens dans les petites villes, et surtout vers la zone de front ? Non, il s’en moque, il veut imposer un narratif. Ces déclarations ne s’appuient pas sur un véritable sondage d’opinion, simplement sur sa propre opinion.

Et cela parce qu’il devient inacceptable pour les élites globalistes russes, qui ont relevé la tête, que des gens puissent réellement avoir envie de sortir le pays de la globalisation, qu’il y ait des gens qui n’espèrent pas naïvement ou hypocritement une impossible «globalisation plus juste», mais qui veulent que les pays, notamment la Russie, retrouvent leur souveraineté. Et ils savent pertinemment que cela passe par une victoire militaire incontestable en Ukraine. Or, les globalistes le savent aussi, ils ne peuvent donc se le permettre. Et désormais, ces globalistes semblent avoir repris les rênes du pouvoir, le temps passé leur a permis de s’adapter : 

« Ce groupe existait avant l’Opération militaire spéciale. Mais le déclenchement des hostilités lui a permis de relever la tête, de se sentir du bon côté de l’histoire et de commencer à faire avancer ses positions. À un moment donné, la ligne officielle et leurs convictions internes ont coïncidé », explique le directeur général du VTsIOM. Cependant, ces gens, dit-il, « exigent davantage et critiquent durement la stratégie, la politique et l’efficacité du combat ».

Ai-je bien compris ? Il ressort des paroles de Fedorov, le directeur de l’institut de sondage Vstiom, qu’à un moment donné, il estime que les élites dirigeantes russes ont également voulu reprendre Odessa (ce qui ressort du premier discours de Poutine, d’ailleurs), elles ont voulu avancer et assurer une victoire militaire incontestable … mais ce n’est plus le cas. 

Il est vrai que les déclarations de Poutine hier au très globaliste Club Valdaï soulèvent beaucoup de questions. Ainsi, peut-on lire à la Une et en titre de Izvestia, qui est un organe de presse bien loin de l’opposition :

«Poutine a déclaré que la Fédération de Russie n’a aucun intérêt à conquérir de nouveaux territoires»  

Dans quelle mesure cette ligne officielle va pouvoir longtemps maintenir l’unité dans le pays, nous aurons bientôt la réponse. Considérer que les familles des personnes, qui se battent pour la Russie, constituent un risque, mais gérable, car canalisé par Poutine sur l’Ukraine, est un summum de cynisme. En tout cas désormais, il est possible de le déclarer, de l’écrire, de le publier.

«Dans le même temps, selon Fedorov, la « Russie combattante » soutient Poutine. « La passion et l’activité de ces personnes sont canalisées vers l’Ukraine. C’est pourquoi je dirais : oui, les représentants de la « Russie combattante » entraînent un  risque politique interne certain, mais ce risque est gérable. » «

Cette dérive globaliste ouverte du discours politique en Russie risque de conduire à une véritable rupture des élites et de la population. L’on se souvient que seulement un tiers environ des élites russes soutient le cours politique conduisant défendre les intérêts vitaux du pays, même les armes à la main, les autres préféreraient négocier quel qu’en soit le prix (voir ici). C’est leur discours, qui est ici reproduit. Les familles de combattants vont apprécier ces déclarations à leur juste valeur, et pas uniquement eux. Car en dehors des Moscovites boboïsés et des élites virtualisées, il existe tout un peuple et des gens capables d’analyser la situation rationnellement. Il serait dangereux, pour ce pouvoir, de les réveiller, de les pousser à bout. Pour l’instant, ils soutiennent le Président. Mais les peuples ont la fâcheuse tendance à jeter au fossé les idoles, qui les déçoivent. L’histoire russe est régulièrement marquée par les chutes vertigineuses et les retournements idéologiques. Malheureusement, ils se passent dans la violence. Ce serait bien d’éviter cela, surtout actuellement en période de guerre.

Au-delà des considérations politiques personnelles, le risque encouru pour le pays par cette ligne globaliste est encore plus sérieux. Il semblerait que la ligne du mythe politique d’une «globalisation plus équitable», avec son «Sud global» devant entraîner, comme Sourkov l’a écrit fin septembre, un Nord global, avec in fine et en perspective attendue la dilution de la Russie dans une fausse répartition des forces, soit devenue la nouvelle baguette magique, devant mettre fin au conflit. Comment peut-on sérieusement envisager une réunion de la Russie, de l’UE et des Etats-Unis et en parler comme de trois puissances ? 

L’on ne peut éviter les conflits et la recherche d’un monde sans conflits et sans barrières, dont il fut également question hier à Valdaï, est bien celui de la capitulation de la Russie devant la puissance globaliste : si la Russie refuse à l’avenir de défendre ses intérêts nationaux, qui sont évidemment différents de ceux du monde global, elle sera intégrée et dissoute dans ce monde. Qui deviendra, évidemment, pour elle, sans conflits et sans barrières, puisqu’elle ne sera plus. C’est après une victoire militaire et la capitulation de l’autre partie au conflit, que l’on peut instaurer «sa» paix. Sinon, c’est la paix de l’autre, qui se construit et s’impose à vous. Il serait bien naïf de penser, que l’Axe atlantiste laisserait à la Russie les nouveaux territoires ou la Crimée, juste comme ça, par grandeur d’âme, pour retrouver un monde «plus équitable».

Comme l’écrivait Carl Schmitt dans La notion de politique :

«Quand un peuple craint les tracas et le risque d’une existence politique, il se trouve tout simplement un autre peuple qui le décharge de ces tracas en assumant sa protection contre les ennemis extérieurs et par conséquent la souveraineté politique ; c’est alors le protecteur, qui désigne l’ennemi en vertu de la corrélation constante entre protection et obéissance.»

Dans ce virage intérieur du discours politique russe, l’on voit poindre un autre virage : le changement de la figure de «l’ennemi». Si cette «Russie combattante» est pointée comme présentant un danger, quel est alors ce «protecteur», qui prétend détenir le pouvoir aujourd’hui en Russie ? 

Par Karine Bechet-Golovko