Conflit en Ukraine : les Etats-Unis veulent instaurer «une justice globale» politique contre la Russie

Les Etats-Unis annoncent l’octroi d’un million de dollars au Centre international d’enquête (à charge) du crime d’agression contre l’Ukraine, fondé formellement par Eurojust et la Commission européenne. La justice pénale internationale, qui était avant présentée comme la justice des vainqueurs, est devenue avec le temps un instrument politique accompagnant le conflit, en construisant le récit et devant en même temps le légitimer. Désormais, comme le déclare le Département d’Etat américain, les Etats-Unis oeuvrent à la mise en place d’une «justice globale«, qui n’est donc plus internationale, entre les nations, mais au-dessus d’elles afin de défendre l’intérêt globaliste. Le conflit en Ukraine doit servir à passer le pas, celui du transfert des derniers haillons du pouvoir national.

Alors que le conflit en Ukraine n’a pas commencé en février 2022, mais politiquement en 2004 avec la Révolution Orange cautionnée par l’OSCE et militairement contre la société ukrainienne en 2014 avec le Maïdan organisé par les forces atlantistes, les pays de l’Axe ne peuvent accepter que la Russie ait finalement réagi en février 2022 pour mettre fin à cette agression globale contre les populations russes vivant sur le territoire ukrainien.

Ne pouvant réduire la Russie à la capitulation sur le front militaire, cette guerre s’accompagne d’une dimension juridique, non moins dangereuse, même si elle est plus difficilement perceptible pour un oeil non-aguerri. La justice pénale internationale est devenue un élément des guerres globalistes, elle accompagne les combats et écrit la «vérité» pour l’avenir. Si le procès de Nuremberg, dont elle revendique l’ascendance, a été organisé par les vainqueurs militaires, après le conflit, contre un Etat déchu, le tribunal pour l’ex-Yougoslavie a déjà marqué un grand bon en avant : il a été organisé lors du déroulement du conflit, pour légitimer la chute de l’Etat et asseoir le pouvoir des vainqueurs. Ensuite, les tribunaux coûtant trop cher et étant trop contraignants sur le plan procédural, l’institution de la justice pénale internationale est tombé en chute libre avec l’Irak et la parodie d’un procès national téléguidé de l’étranger, sans même parler de l’assassinat de Khadafi en Libye.

Contre la Russie, la situation est plus compliquée. Si l’Axe atlantiste a bien besoin de créer une base juridique, légitimant sa guerre globaliste en Ukraine, il n’a pas de plateforme légitime à disposition pour pouvoir créer un procès contre la Russie. Or, la Russie est une puissance et la solution irako-libyenne n’est pas possible. par ailleurs, la Russie a un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui rend impossible la création d’un Tribunal ad hoc, tant que les élites russes tiennent le coup. Elle est sortie du Conseil de l’Europe et ne reconnaît pas la compétence de la CPI. L’Axe est bien dans une impasse : s’il respecte les règles du droit international, pour l’instant, il ne peut rien faire, et il n’a pas suffisamment de légitimité politique face à la Russie, ni de puissance, pour ouvertement les bafouer.

Cette impasse de l’Axe atlantiste montre bien qu’il n’est à ce jour pas vainqueur — ni militairement (il n’a pu militairement faire capituler la Russie), ni idéologiquement (la globalisation s’appuie sur la faiblesse des Etats et la trahison des élites nationales, plus que sur un véritable consensus). 

Mais cela ne l’empêche pas de garder une vision stratégique à moyen et long terme, en mettant en place les structures, qui pourront servir ensuite, si l’Axe obtient l’une des deux victoires, militaire ou idéologique, conduisant à la chute de la Russie et à sa disparition — géographique et juridique.

L’UE étant le paravant idéal, permettant aux Etats-Unis d’agir sous couvert, la Commission européenne a mis en place sur la base d’Eurojust un Centre spécial pour enquêter exclusivement à charge contre la Russie, au sujet de l’accusion de crime d’agression, qui est lancée par l’Axe contre la Russie. Puisque, comme chacun le sait, l’Histoire a commencé en février 2022 dans cette partie du monde … Ce Centre reconnaît par ailleurs prendre activement part à l’écriture du conflit ukrainien.

«La guerre en Ukraine est la plus documentée de l’histoire et, pour la première fois, des enquêtes actives sur le crime d’agression ont lieu alors qu’un conflit armé se poursuit.«

Toute proportion gardée, la guerre la plus documentée est la Seconde Guerre mondiale. Mais passons, l’essentiel est posé : ce Centre participe au conflit. Autre précision, même si le fait que cette pratique concerne le crime d’agression, très récent dans la nomenclature internationale, cela ne change rien au fait que la voie a été ouverte par le TPIY. Ce Centre n’est pas innovant dans le principe, il s’inscrit dans une dérive déjà établie. Ce qui est en revanche une première, c’est la revendication  de cette pratique déviante.

Le caractère ouvertement politique de cette institution ne joue pas en sa faveur et soulève de nombreuses questions … notamment en ce qui concerne sa légitimité, puisque les enquêtes sur lesquelles se fonde la justice, doivent être objective si l’on veut que cette justice soit indépendante … Caractère essentiel à la légitimité de la justice. Il est délicat pour les Etats ouest-européens, qui gardent encore quelques vieux réflexes des quelques siècles passés de culte juridique complexe, de s’engouffrer ouvertement dans cette voie. Ainsi, les membres cités, qui sont à l’origine de cette farce judiciaire, sont les pays de l’Est-européen, plus atlantistes qu’européens depuis la chute de l’URSS.

«Outre l’Ukraine, cinq membres de l’équipe commune d’enquête (JIT) (Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne et Roumanie) participent à la phase de démarrage de l’ICPA. Le protocole d’accord établissant l’ICPA prévoit également la participation du Bureau du Procureur de la CPI. À la suite d’un protocole d’accord avec les membres du JIT, les États-Unis ont nommé un procureur spécial pour le crime d’agression, qui soutiendra les activités de l’ICPA.»

L’on retrouve ainsi dans cette structure les pays-serviteurs de l’Axe, la CPI qui n’est pas compétente contre la Russie et les Etats-Unis qui nomment le procureur spécial pour soutenir ce Centre — européen. Ne nous y trompons pas, le soutien américain est également financier. Et le but réellement poursuivi va bien au-delà de l’Ukraine. Je cite le communiqué du Département d’Etat américain :

«Dans le cadre de notre engagement inébranlable en faveur de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine et en faveur de la promotion d’une justice globale et de la responsabilisation pour les crimes internationaux contre l’Ukraine et son peuple, le Département d’État américain fournira 1 million de dollars au Centre international pour la poursuite des crimes d’agression. Contre l’Ukraine (ICPA)» 

Petit à petit, le voile tombe. D’une justice «internationale» universelle, mise en place principalement après la Première Guerre mondiale, nous sommes passés après la Seconde Guerre mondiale à une justice pénale internationale, pour arriver aujourd’hui ouvertement à la tentative de mise en place d’une «justice globale». Il ne s’agit donc pas d’une justice des Etats, mais d’une justice contre les Etats. Ceux qui portent atteinte à l’intérêt global. Qui est défendu par cette justice. Depuis un siècle, chaque conflit majeur a permis de dénuder un peu plus les Etats de leur pouvoir, accusés de tous les maux. Il semblerait que le combat final soit arrivé et l’on comprend mieux l’ampleur de l’hystérie politico-médiatique autour de ce conflit : créer les conditions politiques et psychologiques, devant conduire les élites nationales à remettre définitivement entre les mains d’un pouvoir supra-national, avec l’assentiment d’une population en état de choc.

Par Karine Bechet-Golovko