Conflit en Ukraine : NAFO, Grande-Bretagne et guerre des cerveaux contre la Russie
Le mouvement NAFO est présenté comme un mouvement spontané, ludique, de jeunes (ou moins jeunes) plaisantins, qui tournent en ridicule le discours de la Russie. Pourtant, ce mouvement est bien loin d’être spontané et innocent, il est un instrument de guerre, géré et parfaitement maîtrisé. Même si comme toute propagande primaire, elle ne convint que les convaincus, ce NAFO va bien au-delà des mèmes, de l’attaque trolliennes et des images ludiques, il est directement lié au renseignement et au soutien de l’Axe atlantiste à l’armée en Ukraine. Et il fonctionne aussi, comme pour tout système totalitaire, sur le mode de la dénonciation, comme j’en ai fait les frais.
Le travail avec les sources ouvertes a toujours été utilisé par le Renseignement, quel que soit le pays, lorsque celui-ci a un Service de renseignement. Mais l’évolution en ce domaine avec l’OSINT est la transformation du mécanisme même de renseignement : il ne s’agit pas pour des agents professionnels de travailler avec les publications de toute sorte accessibles, mais pour n’importe quel citoyen du Global Village de faire remonter l’information au centre. Et le monde global n’a qu’un seul centre de pouvoir et ce citoyen du monde n’a plus de patrie.
Le pari est alors fait sur la quantité d’informations, nous sommes à l’époque du culte des bases de données, l’attention n’est pas portée que la qualité. C’est du matériau brut, récupéré en grande quantité, qui est inutile en cette forme. Il faut donc tout d’abord centraliser l’information et ensuite traiter cette information — et pour cela créer une infrastructure et recruter des professionnels.
Deux niveaux sont donc simultanément mis en place, le réel et le virtuel. Au niveau virtuel, un projet spécial OSINT-Ukraine est mis en place et des groupes «Ukrainian Memes Forces» pullulent dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, etc.). Dans cette logique, chaque personne munie d’un téléphone portable ou d’un accès à internet peut transmettre une information, participer à la guerre de l’information, filmer, écrire, etc. Il suffit alors de centraliser ces informations et quelques professionnels suffisent pour lancer le mouvement.
Mais cela ne peut fonctionner en restant uniquement dans le monde vituel, il faut ramener tout cela sur terre. Dans le monde réel, le renseignement britannique recrute des spécialistes russophones, pour un salaire annuel de 56 000 Livres Sterling (voir le journal Zavtra, janvier 2023, N°3 (1515), p. 4), à la base du groupe NAFO en Grande-Bretagne.
Ce groupe NAFO est présenté sur le mode bisounours, comme un groupe de gars sympas, dont l’idée serait venue comme ça à un artiste … pour tourner en dérision l’effort de guerre et le discours russes. Les membres se distinguent dans les réseaux sociaux par l’avatar d’un chien Shiba et marquent leurs publication d’un tag #NAFO.
Or, nous apprenons dans Politico, que l’obtention du toutou n’est pas gratuite, mais après une donation pécuniaire pour l’effort de guerre ukrainien :
«Chaque fois que quelqu’un donne de l’argent, directement, à l’effort de guerre de Kiev — et le prouve via une capture d’écran — il peut demander à NAFO un avatar sur mesure d’un Shiba Inu, une race de chien japonaise qui est devenue une sensation sur Internet il y a dix ans et est appelée un «doge» dans la culture Internet.»
Soulignons que le business en soutien à l’armée ukrainienne marche bien, car par la vente des avatars et des produits dérivés, déjà plus de 400 000 dollars ont été récoltés.
L’on sort immédiatement du monde bisounours et la méthode elle-même est celle des groupes terroristes ou extrémistes, utilisée pour recruter autant que pour attaquer :
«Si vous faites défiler les hashtags #NAFO ou #NAFOFellas, vous obtiendrez un cours intensif sur la façon dont la culture Internet peut être militarisée pour une cause commune. Tout comme l’État islamique utilise des vidéos de style TikTok pour engager des adeptes potentiels ou que le mouvement boogaloo d’extrême droite américain a adopté «Pepe la grenouille» pour ridiculiser la culture dominante, les gars de NAFO aussi ont coopté le mème «doge» comme arme de choix pour s’en prendre à la Russie.»
Et des politiciens y sont entrés, comme le membre du Congrès américain Adam Kizinger ou l’ancien Président estonien Toomas Hendrik Ilves.
Nous sommes en présence d’un mécanisme de ce nouveau renseignement ouvert, où chacun est un agent ou un dénonciateur. Pour «dédramatiser» la chose, le logo est infantile, il ne fait pas peur, c’est ludique, ce n’est pas grave, l’on joue sur internet à avoir des convictions, sans prendre de risques réels. Il suffit de mettre un hashtag dans vos publications, et le groupe joue sur le parallèle avec l’OTAN, l’on peut ainsi se sentir un «patriote globaliste», un patriote sans patrie — le summum de l’infantilisme postmoderne.
Et il est évidemment que cette structure ne sert pas qu’à faire des publications tournant en ridicule le discours russe. Elle agit également dans le réel. Déjà, le simple fait de la commercialisation du logo pour soutenir l’armée ukrainienne est un acte réel. Mais en plus de l’argent, des produits concrets sont envoyés aux militaires ukrainiens. Ici, l’on parle de matériel médical, mais qui nous dit que l’aide matérielle s’arrête à cela ?
Manifestement, le trolling ne s’arrête pas aux commentaires, plus au moins agressifs ou insultants (faute d’arguments), aux plublications dites «humoristiques», mais cela va jusqu’à la dénonciation. Je suis tombée sur la mienne et celle de mon époux par hasard. Même s’il y a des erreurs techniques, c’est assez bien fait, merci )
Dénonciation, menace et infantilisme, nous nageons en plein système totalitaire, qui ne peut fonctionner sans la peur et la dégradation morale de la société et de chaque être humain. En sortir ne dépend que de nous !
Karine Bechet-Golovko