Globalisation insidieuse : la fausse-bonne idée d’une monnaie unique pour les BRICS

L’idée de la préparation par les BRICS de la mise en circulation d’une monnaie unique est une fausse bonne idée, que l’Occident soutient en filigrane, arguant avec hypocrisie, que cela accélérerait la dédollarisation et renforcerait dangereusement ces pays face à la puissance des Etats-Unis. Alors que, comme les pays européens le savent parfaitement, la perte de la monnaie nationale conduit à un affaiblissement considérable de la souveraineté et de la puissance de ces pays. Le but est ainsi de conduire les pays des BRICS à se dissoudre dans une forme alternative de globalisation, dont les effets seront les mêmes : l’affaiblissement de chacun de ces pays. Mais les pays des BRICS sont-ils à ce point politiquement immatures, pour tomber dans un piège aussi gros ?

Il semblerait que la question d’une monnaie unique, devant reproduire l’erreur fatale pour les pays européens de la mise en place de l’Euro par l’UE, devrait être en discussion lors du sommet des BRICS en Afrique du Sud fin août. Selon le discours convenu, ce serait une réponse à la domination du dollar. Bref, détruire les monnaies nationales, créer une monnaie quasi-virtuelle, pour détruire la puissance du dollar sonne assez faux si l’on entend défendre les souverainetés nationales … Si l’on sort des slogans à la mode, la puissance et donc l’indépendance d’un Etat s’appuie sur sa capacité à produire ses propres règles juridiques pour organiser sa société, sur son armée pour défendre son territoire et sa population, et sur sa monnaie pour amortir les sursauts ou relancer l’économie nationale. Supprimer la monnaie nationale, ce qui est induit par l’idée d’une monnaie unique, prive les organes étatiques nationaux du monopole de la législation, de la détermination des politiques nationales devant permettre le financement, notamment de l’armée, et la perte directe de l’instrument monétaire pour réguler l’économie. Beaucoup de questions se posent.

La logique globaliste de la constitution d’une monnaie unique au sein des BRICS

Techniquement, les pays peuvent toujours décider de détruire leur monnaie nationale et de se rendre dépendant d’autres structures, auxquels ils transmettent leur puissance. C’est une décision politique et les pays européens ont largement démontré que les élites gouvernantes, lorsqu’elles ne conçoivent la gouvernance que selon le paradigme globaliste, sont capables de détruire la souveraineté réelle des pays en vue d’une puissance future collective fictive.

Si les pays des BRICS prennent cette décision, sa réalisation devra être mise en oeuvre sur plusieurs années. Il s’agira d’un long processus de dépècement et de recadrage politique interne.

«Pour Iqbal Surve, ancien président du BRICS Business Council, dont le travail a joué un rôle déterminant dans la création de la New Development Bank, mieux connue sous le nom de Banque des BRICS, c’est «réalisable dans les cinq à 10 prochaines années, mais cela nécessiterait un engagement très sérieux», surtout de la part d’éventuels nouveaux membres.»

Et le modèle de l’euro est en effet clairement avancé. Autrement dit, ce mécanisme entraînera la constitution d’une structure supérieure aux Etats, qui devrait déterminer la politique nationale de ces pays. Nous sommes bien dans une logique de globalisation, qui entraîne une perte de pouvoir des Etats concernés et la désétatisation de la gouvernance.

L’illusion de la puissance politique des BRICS

La réalisation de ce processus de désétatisation des pays membres des BRICS entraînerait inévitablement un affaiblissement de chacun d’entre eux. Il faut tout d’abord comprendre, qu’au-delà de la fantasmagorie autour des BRICS dans certains milieux soi-disant souverainistes, il s’agit d’un assemblement de pays très différents, ne remettant pas fondamentalement en cause la globalisation et même, pour la Chine ou l’Inde, en vivant directement. Ils ne constituent pas politiquement un contre-poids à la globalisation, mais veulent y obtenir une place plus importante. Quant à la ligne politique internationale, avec le conflit en Ukraine, l’on voit bien qu’ils sont plus que prudents pour s’opposer à la ligne globaliste.

Par ailleurs, s’ils représentent une grande partie de la population, leur puissance économique est relative.

«Certes, les BRICS ont pris du poids dans l’économie mondiale. C’est une excellente chose que les quelque 3 milliards d’habitants de ces pays, presque la moitié de l’humanité, sortent de la misère. D’un point de vue commercial, pour les pays développés, ce sont des marchés en expansion qu’ils sont ravis d’avoir comme clients et fournisseurs. Mais il faut garder en tête les ordres de grandeur. Le poids des BRICS dans le PIB mondial est de 26%, contre 62% pour les pays développés. On cite parfois le PIB corrigé des pouvoirs d’achat, pour lequel les parts sont de 32% et 46% respectivement, mais ces chiffres prennent en compte ce que les habitants peuvent consommer et produire, mesuré en prix locaux, pas les moyens de paiement dont ils disposent sur la scène internationale. Les prix locaux sont bas car les BRICS sont encore pauvres: leur PIB moyen par tête est égal à 12% de celui des Etats-Unis. La Chine exporte 18% du total mondial des produits manufacturés, contre 14% pour l’Union européenne et 10% pour les Etats-Unis. Pour ce qui est de l’exportation des services commerciaux, la Chine pèse 8% contre 25% pour l’UE et 16% pour les Etats-Unis. Les autres BRICS arrivent loin derrière. Autrement dit, le poids économique des BRICS est très loin d’être dominant, pour l’instant du moins.»

 Monnaie et pouvoir : l’impasse objective des BRICS

La question de la création d’une monnaie unique n’est pas innocente. Entre eux, les pays des BRICS passent au paiement en monnaie nationale, car ils refusent la domination du dollar, instrument de puissance des Etats-Unis.

«Face à la suprématie du dollar, les BRICS souhaitent une alternative et ils le font savoir haut et fort ces derniers mois. « Chaque nuit, je me demande pourquoi tous les pays seraient obligés de réaliser leurs échanges en se basant sur le dollar ? » questionnait le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, en avril, lors de l’intronisation de Dilma Rousseff à la tête de la Nouvelle Banque de développement (NDB). « La dédollarisation a commencé », renchérissait un mois plus tard le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov.»

Par exemple, la Russie et la Chine se sont mises d’accord pour régler leurs échanges en monnaie chinoise.  Or, le choix d’une monnaie n’est pas neutre. Et la question de la création d’une monnaie unique s’inscrit dans ce contexte. Si entre eux, les pays des BRICS passent au paiement en monnaie nationale, quelle monnaie nationale sera choisie ? Ils refusent la domination du dollar, instrument de puissance des Etats-Unis. Mais quelle monnaie va dominer ? Et donc quel pays va se renforcer ?

L’idée d’une monnaie unique montre l’impasse politique des BRICS. Une monnaie unique pour éviter le renforcement des uns … donc au détriment des autres. Affaiblir tout le monde, pour éviter que certains ne dominent, semble être le prix à payer dans cette conception de la dédollarisation. Et l’organe qui va gérer cette monnaie unique sera celui qui récupérera le pouvoir perdu par les Etats. Ce pouvoir sera donc bien renvoyé dans les mécanismes de gouvernance globalisée.

Cette impasse objective est due au mythe de l’égalité en tout des Etats, qui sert de fondement à cette «globalisation équitable», voulue par les pays des BRICS. Or, la globalisation ne peut être équitable, elle n’est que anti-étatique. Si ces pays veulent sortir de la gouvernance globale, ils doivent penser la gouvernance nationale dans le paradigme de la souveraineté. Et évidemment, reconnaître que tous les pays ne sont pas égaux, comme les hommes dès qu’ils ont terminé leur première journée de vie.

PS : On se souviendra que l’UE avait alors avancé l’idée de l’euro, pour contre-carrer le dollar. On voit le résultat … Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Par Karine Bechet-Golovko