Le cas du navire russe Caesar Kunikov et la communication militaire russe en période de globalisation
Coulé or not coulé, that is the question … La communication militaire russe n’a jamais brillé par sa qualité, mais avec le temps l’on finit par toucher les bas-fonds du néant communicationnel. Car, en passant, le monde ne s’arrête pas à la propreté de Moscou reconnue par Carlson … Entre silences mal dimensionnés, comme avec la question de l’attaque du navire russe Caesar Kunikov dont tout le monde parle sauf les communiquants du ministère de la Défense et du Kremlin, et les rapports techniques soporifiques quotidiens, manifestement écrits par des ronds-de-cuir, n’ayant aucune compassion humaine, ni aspiration patriotique, il serait bon de se demander si cela est productif ou contre-productif en période de guerre … Car finalement, quel est le but poursuivi par cette communication politique officielle : l’endormissement général et l’auto-satisfaction ? Beaucoup de questions se posent.
Dans la théorie du langage, au moins trois paramètres fondamentaux conditionnent l’efficacité du discours produit : le destinataire — à qui vous vous adressez, le contenu — quel message voulez-vous faire passer et le contexte dans lequel vous prononcez ce discours. En articulant et en dosant ces trois paramètres, vous pouvez réaliser le but recherché par le discours ainsi produit. Revenons sur chacun de ces éléments.
Aujourd’hui, la question du destinataire du discours est particulièrement complexe, en raison de la mondialisation de la communication. Lorsque vous parlez à un journaliste américain, comme Poutine avec Carlson, cela ne signifie pas que vous vous adressez à un public russe ou américain. Vous vous adressez aux deux, sans oublier les Européens, Africains, Asiatiques, etc. Or, vous ne parlerez pas de la même manière aux Américains et Européens, qu’aux Russes ou aux Africains, par exemple sur la question de la guerre en Ukraine. Cette dilution des destinataires a conduit à une perte d’efficacité du discours produit. Car le locuteur introduit des éléments de langage devant toucher des catégories de personnes, géographiquement et politiquement, très éloignées les unes des autres.
Ainsi, la question se pose quand les élites politiques russes parlent toutes des négociations de paix : elles sont prêtes, elles n’attendent qu’un signe positif et elles peuvent signer le match nul. Qu’il s’agisse de Poutine avec Carlson ou de Lavrov lors de ses conférences de presse. A qui parlent-ils ? Aux Atlantistes ou aux Russes ? Car pour galvaniser les forces intérieures, l’on pourrait faire mieux … Mais sur la scène internationale, certains pensent encore qu’avoir cette position «raisonnable» est bénéfique. Les résultats remettent largement en cause cette position, mais elle existe. Puisque même après l’entrée prochaine de la Suède dans l’OTAN, l’on trouve encore des voix dites patriotiques pour oser parler de la voie suédoise pour l’Ukraine …
La position de l’Ukraine et des pays de l’OTAN est plus simple : ils font la guerre et ils le reconnaissent. Les Ukrainiens directement et la communication produite doit les galvaniser. Les Atlantistes reconnaissent armer l’Ukraine et préparent désormais leur population à la possibilité d’un combat direct. Ils ne jouent pas sur deux tableaux, leur communication est donc lisible. Car la position politique est claire. Ainsi, ils affirment sans ambages avoir coulé le navire militaire russe Caesar Kunikov, le 14 février, justement à la date anniversaire du décès de Caesar Kunikov en 1943. Et tous les médias occidentaux reprennent ce discours.
De son côté, la Russie «officielle» se tait, quand les correspondants de guerre écrivent et quand les médias soulèvent délicatement la question. Ainsi, Peskov refuse de répondre, disant que cela est de la compétence du ministère de la Défense … qui pour l’instant n’a rien précisé. Certains médias reprennent alors les chaînes Telegram des correspondants de guerre. Il faut dire que l’absence de démenti officiel les laisse craindre la véracité de l’attaque. D’un côté, l’on apprend que le Caesar Kunikov aurait bien été coulé près des côtes de Crimée, ou qu’il aurait été endommagé, par des drones sous-marins lancés par l’armée atlantico-ukrainienne dans la nuit du 14 février et que le 14 au matin des opérations de sauvetage auraient été conduites. Et de l’autre côté, officiel, rien. Ni démenti, ni confirmation. Ainsi, le deuxième élément, celui du contenu, est faussé dans la communication russe. Tout d’abord, parce que des sources non officielles prennent le dessus en raison du retrait des sources officielles et de la demande d’information ainsi non satisfaite. Ensuite, parce que le silence officiel russe n’empêche pas la pénétration du discours de l’adversaire dans l’espace communicationnel linguistique russe. Ainsi, par exemple, Euronews en russe rediffuse la vidéo fournie par les Ukrainiens devant prouver que le navire a coulé.
Si l’on ne prend que le cas de ce navire, la question du contenu de la communication militaire russe est défaillante. Et juste une question : que pensent les habitants de Crimée, non loin desquels le navire aurait été touché, s’ils voient les opérations de sauvetage, sans avoir d’information certaine ? Ils deviennent alors une cible privilégiée pour la communication de l’ennemi, sans oublier la question de la confiance.
Et l’on en vient ainsi au troisième élément déterminant l’impact d’un discours, à savoir le contexte. Compris d’une manière très étroite, le contexte peut renvoyer à la confiance que l’auditoire a en l’auteur de l’acte de langage, mais entendu d’une manière large ce contexte peut aussi être entendu de la situation, notamment géopolitique dans laquelle l’acte de langage est produit. Ainsi, en temps de guerre, les populations du pays ont a priori plus confiance en leurs médias, en leurs sources, qu’en la source de celui qui est présenté comme l’ennemi. Actuellement, la situation est compliquée, car les sources officielles ont été l’objet d’une longue opération de discrédit, ce qui a permis l’apparition de sources dites «alternatives», censées être plus objectives et plus indépendantes — même si l’on ne sait pas toujours très bien de qui, elles sont justement indépendantes. Cela a permis en tout cas de produire un brouillage, qui affaiblit a priori l’impact du discours officiel. Dans le cas de la communication militaire russe, le pays, en ne reconnaissant pas la guerre en tant que telle dans le langage produit, se met en position défavorable par rapport à l’Occident. Dans ce contexte justement, la Russie est obligée de produire un discours, et à double entrée, et tronqué, qui ne peut donc recourir aux éléments de langage classiques permettant de compenser, par exemple, les pertes. Et depuis le recul de Kharkov et de Kherson, le discours produit a été épuré pour devenir une eau limpide … et insipide.
La cumulation de ces trois éléments conditionnant en théorie l’impact d’un discours, c’est-à-dire la capacité du discours construit à produire les effets attendus, nous oblige à soulever la dernière question, in fine centrale : et quel est le but du discours politico-militaire russe actuel, en période de guerre ? Dans l’ensemble, la communication politique russe n’est pas une communication forte, surtout quand on ajoute au contexte général la surmédiatisation des forums technologiques «du futur», l’attente d’une monnaie commune aux BRICS «dans le futur», les «jeux du futur» et tout ce système des éléments de langage globalistes, qui dominent encore largement le discours politique russe et préparent justement de monde global «du futur».
Le problème de la communication russe militaire existe, mais quel est-il? Technique ou stratégique ? Communicationnel ou idéologique ?
Par Karine Bechet-Golovko
1 комментарий
[…] par le coulage du Caesar Kurnikov par les « Ukrainiens ». Ce dernier mot est entre guillemets, car ce sont probablement les […]