Le retour de Prigogine : les élites globalistes russes remportent une bataille de poids

Ne pouvant plus reculer, suite aux fuites dans la presse française, le Kremlin a confirmé la rencontre entre le Président Poutine et les commandants de Wagner, ainsi que Prigogine le 29 juin, à peine 5 jours après la mutinerie de ces mêmes hommes. Cette révélation a produit un sérieux malaise en Russie. Non pas un malaise communicationnel, mais politique. Car finalement, Prigogine n’est pas en Biélorussie, comme son immunité l’imposait. Et la faiblesse du pouvoir à tenir ses décisions politiques est de très mauvaise augure, surtout en temps de guerre.

L’on ne peut pas dire que la fermeté politique soit le trait de cette élite gouvernante. Mais, cela ne concernait à ce jour que les relations extérieures de la Russie. Il suffit pour s’en convaincre d’aligner les absences de réactions sérieuses et l’accumulation des lignes rouges, en commençant avec l’invitation à l’Arbre de Noel des enfants des diplomates américains en Russie en réponse à l’expulsion des premiers diplomates russes par Obama. Plus récemment, l’échange de Medvedchuk, l'»ami-parrain» contre des membres d’Azov. Ces mêmes membres d’Azov, que la Turquie s’était engagée à garder sous la main tout le temps du conflit et qui viennent gentiment d’être rendus à Zelensky, retour en héros pour eux. Réaction du Kremlin : cela ne changera rien à nos échanges commerciaux avec la Turquie. Ces gens font du business, plus que la guerre. Dans la même logique, cet Accord céréalier toujours violé et toujours reconduit. La liste est longue, voici simplement quelques rappels.

Mais avec Prigogine, le pouvoir a passé un cap dangereux : celui de la faiblesse politique interne. L’on se souviendra de la première intervention de Poutine le 24 juin, de la qualification de mutinerie, de la condamnation de la prise d’une ville. L’on se souvient de l’envoi d’une colonne de chars par Prigogine contre Moscou, de la mort de soldats russes (voir notre article ici). De l’accord finalement trouvé : Prigogine quitte la Russie, est accueilli en Biélorussie avec les membres de Wagner, qui ne veulent pas entrer dans l’armée et n’ont pas franchi la ligne rouge, en contre-partie de quoi, pour éviter une guerre civile, les actions pénales tombent pour renoncement volontaire.

Dès le 26, une tentative est faite par les élites russes globalistes de relativiser l’importance. Le 27, Poutine reprend la parole devant le peuple : il semble tirer un trait final sur cette trahison tout en enrappelant l’importance (voir notre article ici). L’espoir renaît : les élites russes se seraient enfin réveillées, au moins leur instinct de survie.

Or, le 29, Poutine reçoit Prigogine et sa clique, dans le silence médiatique, pendant que les médias officiels remettent en cause l’image positive du traître, que sa large rétribution par le budget étatique est dévoilée, ainsi que son train de vie. Même plus à mot couvert, l’on parle d’une accointance de Prigogine avec les services spéciaux de certains pays, qui ne sont pas étrangers à cette tentative de coup d’état.

Les deux lignes politiques sont incompatibles et le Kremlin se noie encore une fois dans ses compromis. Ne pouvant plus la nier, cette rencontre est reconnue par Peskov et les politologues ont du mal à avaler la pilule. Donc, le trait n’a pas été tiré, Prigogine non seulement ne remplit pas sa part du marché, mais cela reste sans conséquences, ni politiques, ni juridiques. La situation se complique. Comme le souligne l’analyste Evguény Mintchenko :

«À mon avis, c’est encore plus déroutant, bien sûr. Même les plus grands loyalistes auront du mal à s’expliquer. Mais ils semblent essayer d’une manière ou d’une autre.»

L’on peut tout toujours expliquer, l’on peut longtemps se voiler la face, l’on peut faire semblant. Surtout lorsque vos revenus et votre carrière en dépendent. Mais cela ne change rien à l’affaire : en Russie, la faiblesse politique est entrée dans la gestion de la politique intérieure. Et cela aura des conséquences désastreuses pour la stabilité de la société.

Nous sommes en période de conflit armé et le signal lancé est celui du compromis avec «les siens». Donc, le lien personnel est plus fort que l’impératif institutionnel, une fois le premier choc passé. Le mythe de la réconciliation nationale a bon dos, les élites russes globalistes n’en finissent pas de relever la tête. Et elles viennent ici de remporter une bataille. Pas la guerre, mais une bataille certainement.

Par Karine Bechet-Golovko