Le Sénat américain prévoit de légaliser la spoliation des actifs russes gelés

A l’occasion du vote du budget, le Sénat américain adopte un amendement prévoyant la possibilité d’utiliser pour l’Ukraine, les actifs russes gelés suite aux sanctions adoptées par les Etats-Unis contre la Russie. L’idée d’une spoliation des actifs russes devient de plus en plus à l’ordre du jour, surtout que la guerre coûte cher et que l’Ukraine est évidemment incapable de rembourser tout ce qui lui est fourni, en armement et en prêts. La Russie, consacrée «ennemi» par le discours politico-médiatique atlantiste, se voit enfermée dans un droit de l’ennemi, qui la prive de ses droits ordinaires — pour des raisons politiques. La guerre a ses raisons que le droit ne connaît pas. Le vainqueur, de toute manière aura raison. Le droit est un instrument, les Occidentaux savent parfaitement le manipuler.

L’idée d’une spoliation des actifs russes n’est pas nouvelle, mais elle a du mal à trouver une formulation juridique, qui soit relativement acceptable, au moins dans la forme. Ceci pose la question du choix de l’instrument juridique, qui va rendre formellement légale une action aujourd’hui encore illégale. Avec toutes les conséquences politiques que cela entraîne. L’UE tente de l’imposer aux pays membres, avec beaucoup de difficultés, puisqu’elle n’en a pas la légitimité et les gouvernants nationaux ne sont pas pressés d’en prendre la responsabilité (voir notre article pour RT France à ce sujet).

L’histoire se répète — ou continue — aux Etats-Unis, mais ici le contexte juridique est différent, puisqu’il s’agit d’un pays souverain et non pas d’une structure technocratique comme l’UE. Le pouvoir législatif est formellement habilité à adopter une telle norme. Ainsi, le Sénat américain, lors des débats sur l’adoption de la loi de budget pour 2023, a introduit un amendement visant à «utiliser certains avoirs russes confisqués pour aider l’Ukraine dans son combat contre la Russie». De nombreux pays ont bien gelé des actifs russes, mais la loi limite la possibilité de les utiliser. Qu’à cela ne tienne, changeons la loi, quand elle est trop contraignante en défendant la propriété privée …

«L’amendement, adopté par un vote oral, est joint au projet de loi de dépenses omnibus de 1,7 billion de dollars, qui a été adopté par le Sénat jeudi. La Chambre devrait adopter le paquet de dépenses, qui comprendra l’amendement, avant la date limite de vendredi pour maintenir le financement du gouvernement.»

Vote oral, c’est plus commode pour voir qui ose s’y opposer. Surtout après les élections de midterm, qui n’ont pas été favorables aux Démocrates et surtout quand cet amendement est soutenu par la Maison Blanche. Il est également précisé que ce vote est intervenu après la mise en scène de la visite de Zelensky, devant donner le signal aux pays de l’Axe de la continuation de la ligne géopolitique internationale malgré ces élections intérieures américaines (voir notre interview ici pour Ria Fan).

Comme le déclare le Sénateur républicain Tom Malinowski :

«C’est ce que le bon sens et la justice exigent — faire payer les soutiens de Poutine pour aider à reconstruire le pays qu’il détruit», a déclaré Malinowski au Washington Post. «J’espère que la loi encouragera le ministère de la Justice à redoubler d’efforts, pour saisir les avoirs des kleptocrates, et nos alliés européens à emboîter le pas.»

Les Européens étant toujours hésitants à se sacrifier entièrement aux intérêts supérieurs (et seuls légitimes) américains, les Etats-Unis leur montrent la voie à suivre. Soyons certain qu’ils se soumettront, comme ils se soumettent à chaque fois. Et le message de la continuité de la ligne géopolitique, indépendamment des élections, se traduit aussi par l’augmentation du financement de l’armée et de l’aide militaire en général, comme le souligne Bloomberg :

«L’adoption du projet de loi représente une victoire à la fois pour les démocrates, qui craignaient des réductions de dépenses avec une Chambre républicaine l’année prochaine, et pour le chef républicain du Sénat, Mitch McConnell, qui était impatient d’obtenir des augmentations de financement pour l’armée et l’Ukraine avant que les conflits du gouvernement divisé n’ouvrent la voie à une possibilité moindre l’année prochaine. Le budget militaire reçoit 76 milliards de dollars, soit une augmentation de 10 % par rapport aux chiffres actuels, au grand bénéfice des sous-traitants de la défense.»

Cela met un terme aux espoirs infondés de ceux, qui attendaient un miracle à la suite des élections américaines, notamment en Russie. La première leçon à en tirer est très simple : il n’y a pas de miracle en géopolitique, les choses n’arrivent ou ne finissent jamais toutes seules, mais l’on obtient ce pour quoi l’on se bat en fonction des efforts réellement fournis. Si ces efforts restent au niveau de la communication, il ne se passera alors rien dans le réel. En attendant, l’Axe atlantiste agit et ajuste sa législation. Elle est certes illégitime en temps de paix, mais nous ne sommes plus en temps de paix. Cette législation reconnaît le fait de la guerre contre la Russie, la qualification juridique de la Russie et des Russes comme ennemis. Et elle aura des conséquences, dans le réel. C’est la guerre, c’est logique.

Karine Bechet-Golovko