L’Ukraine et la CEDH : de la fictivité juridique à la réalité politique
Le respect par l’Ukraine de la Convention européenne des droits de l’homme est plus que théorique depuis le Maidan, les déclarations restreignant officiellement son application en Ukraine ne cessant de s’amplifier, au point de soulever la question de la réalité de l’opposabilité des normes européennes aux autorités ukrainiennes. Mais comme l’Ukraine est nécessaire pour justifier le cours atlantiste anti-russe de l’institution, peu importe les dispositions de la législation ukrainienne, qui n’est de toute manière, ni autonome, ni efficace. Il faut dire que l’essentiel de la gouvernance régionale globaliste est ainsi protégé sur le Continent européen …
Les normes de la Convention européenne des droits de l’homme ne peuvent fonctionner qu’en temps de paix «post-moderne», c’est-à-dire quand l’individu est supérieur à l’Etat, quand les institutions publiques n’existent que pour satisfaire les intérêts privés au détriment de l’intérêt public, qui n’a plus lieu d’exister dès qu’il s’écarte du culte nombriliste des minorités activistes, centrées sur elles-mêmes et fracturant la société. Tout le système de la Convention européenne des droits de l’homme, depuis une quinzaine d’années, travaille contre l’Etat et contre les cultures politico-juridique nationales, en développant une politique jurisprudentielle ultracléricale, anti-famille, pro-immigration, n’ayant strictement plus rien à voir avec la protection des droits des citoyens des pays européens. Sa fonction première est d’enfermer les pays européens dans un carcan idéologique rigide.
Si l’ensemble des pays y est soumis, l’Ukraine ici aussi fait exception. En tout cas depuis 2015, c’est-à-dire depuis qu’elle s’est jetée corps et âme dans la globalisation atlantiste après la Révolution du Maïdan, depuis qu’elle a abdiqué sa volonté d’être un Etat pour devenir un instrument géopolitique. Dès lors, les droits considérés comme fondamentaux pour les Etats européens, peuvent être relativisés, voire suspendus. Dès 2015, l’Ukraine introduit ainsi toute une série de dérogations (voir ici en anglais), portant déjà atteinte au droit de propriété, à la liberté d’expression, à la liberté de déplacement ou encore à la liberté de réunion et de manifestation. Ces restrictions ne seront jamais remises en cause, au contraire, elles seront renforcées avec le temps et la transformation profonde et irrémédiable du pays en front.
Ainsi, les autorités ukrainiennes viennent de déposer un nouvel amendement à leurs obligations, les réduisant en substance à néant (voir ici). En raison de l’intensification du conflit armé, l’Ukraine s’autorise à suspendre l’effet de la Convention européenne à l’égard de la violation des droits constitutionnels suivants, qui peuvent légitimement être restreints :
«l’inviolabilité du domicile (article 30) ; secret du courrier, des conversations téléphoniques et autres correspondances (article 31) ; non-ingérence dans la vie personnelle et familiale (article 32) ; liberté de circulation, libre choix du lieu de résidence, droit de quitter et de revenir librement sur le territoire de l’Ukraine (art. 33) ; le droit à la liberté de pensée et d’expression, à la libre expression d’opinions et de convictions, ainsi que le droit de collecter, stocker, utiliser et diffuser librement des informations (article 34) ; le droit de participer à la gestion des affaires publiques et aux référendums, d’élire et d’être élu librement dans les organes publics centraux et locaux, l’égalité d’accès à la fonction publique (article 38) ; le droit d’organiser des réunions, des rassemblements, des marches et des manifestations, ainsi que le droit de grève (articles 39, 44) ; le droit de posséder, d’utiliser et de disposer de ses biens (article 41) ; le droit à l’entrepreneuriat et au travail (articles 42, 43) ; le droit à l’éducation (article 53).»
Concrètement, la législation ukrainienne envisage la possibilité de l’aliénation de la propriété privée, de l’interdiction de sortie du territoire, de l’interdiction des manifestations et des rassemblements, de régimes allégés de perquisitions des domiciles, véhicules ou bureaux, de l’instauration d’un couvre-feu, de l’établissement de taxation des personnes physiques et morales pour les besoins de l’armée, de l’interdiction ou de la restriction du droit de choisir son lieu de résidence, etc.
Ce qui se passe en Ukraine est totalement sorti du cadre juridique «normal» depuis le Maïdan. Mais les organes européens font semblant de ne rien remarquer. Quel est l’intérêt de garder ce territoire dans le Conseil de l’Europe, si de toute manière sa législation est totalement en dehors de la logique européenne, telle que défendue au sein de cette institution? L’intérêt n’a rien à voir avec le contenu de la Convention, il n’est pas juridique, il est géopolitique. L’Ukraine est un instrument pour justifier la ligne ant-russe du Conseil de l’Europe, comme tout organe de gouvernance globale se le doit. De ce point de vue, peu importe la législation adoptée en Ukraine, de toute manière cet Etat est fictif, il n’existe plus juridiquement depuis 2014, puisqu’il a totalement perdu sa souveraineté et que son ordre juridique n’est plus en gros efficace sur l’ensemble de son territoire initial. Dans la logique globaliste, il est cette bacille, qui doit contaminer le corps, le Continent européen.
Par Karine Bechet-Golovko