MH17 : que signifie la décision du tribunal de district de La Haye condamnant sans surprise la Russie ?
Le tribunal de district de La Haye, se fondant sur l’enquête à charge monté par un groupe d’Etats intéressés, sans participation de la Russie, a pris avec quelques mois de retard la décision tant attendue devant condamner la Russie pour avoir tiré le 17 juillet 2014 sur le vol MH17 un Boeing de la Malaysia Airlines, effectuant un trajet Amsterdam — Kuala Lumpur, tuant dans le crash au-dessus de la zone de conflit dans le Donbass les 283 passagers et 15 membres d’équipages. Rien de surprenant dans ce verdict, il était très attendu … mais devait arriver plus tôt. Désormais, il ne présente qu’un très faible intérêt politique, sans conséquences juridiques directes. Son rôle pourrait, en revanche, être de servir de base pour «juger» en pagaille de hauts responsables russes dans le cadre plus large du conflit ukrainien.
Tout ce qui se passe dans les locaux d’un tribunal n’est pas de la justice, dans le sens juridique du terme. La justice, pour être exercée, exige au minimum une enquête objective, un tribunal impartial, le respect des garanties processuelles. En l’espèce, dans le cadre de l’affaire du crash du MH17, ces trois éléments font défaut.
L’enquête a été menée à charge par un groupe constitué par les organes d’enquêtes de quelques Etats, à savoir l’Ukraine, la Belgique, la Hollande, l’Autriche et la Malaisie. Ce «groupe d’enquête international» a écarté la Russie et tous les éléments de preuves fournis par la Russie n’ont pas été pris en compte. Un premier rapport rendu en 2015 ne permet pas d’établir les responsabilités (voir notre texte ici) et la question de la responsabilité de l’Ukraine d’avoir laissé le ciel ouvert, l’étrange disparition de l’aiguilleur du ciel ukrainien, proche des groupes néonazis, se font discrètement oublier. Qu’à cela ne tienne, le show continue et en 2019 le même groupe d’enquête trouve des coupables — liés à la Russie. Le système BUK est russe, donc la Russie est coupable. Par ailleurs, il est déclaré (non prouvé, mais déclaré) qu’elle tenait le territoire d’où l’on pense que provenait le tir. Même la Malaisie ne veut pas reconnaître cette version, mais qui cela intéresse-t-il ?
Le tribunal de district de La Haye est déterminé comme salle de spectacle et le procès est attendu pour mars 2020. Mais il est difficile de déformer la justice, ça grince aux encoignures, ça traîne et finalement la décision arrive trop tard, le conflit armé est déjà en phase active, le monde atlantiste est entré en guerre contre la Russie, tant de mesures sont déjà prises contre elle que cette décision n’y changera rien.
Le tribunal ne peut être impartial en se fondant uniquement sur une enquête à charge et lui-même écarte les preuves fournies par la Russie. Quand il estime que le BUK est russe, par exemple, il ne cherche pas à savoir quand il est arrivé en Ukraine, par une véritable analyse des débris.
«À La Haye, il a été décidé qu’après de violents combats le 16 juillet, les militaires de la DNR ont subi de lourdes pertes, le lendemain, ils ont ramené le BUK de la Fédération de Russie, et après le crash du Boeing 777, le système a été repris. Selon le juge, cela a été fait dans l’espoir d’éviter un scandale international. Dans le même temps, le tribunal n’a pas directement lié l’utilisation du système de défense aérienne Buk dans l’affaire du crash du MH17 à la Russie. Le ministère (des Affaires étrangères) est convaincu que la décision du tribunal était biaisée, puisque même les documents déclassifiés par le ministère russe de la Défense n’ont pas été pris en compte. De leur côté, ils ont souligné qu’un missile avait été transféré en Ukraine en 1986, dont le numéro de série correspond à celui trouvé sur l’épave sur le site de l’accident. Après l’effondrement de l’URSS, l’unité militaire qui l’a reçue a été incluse dans les forces armées ukrainiennes. Le ministère russe des Affaires étrangères a également noté que le tribunal de La Haye avait ignoré le fait que les conclusions du bureau du procureur néerlandais étaient basées uniquement sur le témoignage de témoins anonymes et des informations d’origine douteuse de la partie intéressée — le Service de sécurité ukrainien (SBU) .»
Un tribunal ne peut être impartial, quand il se fonde sur une enquête à charge. La question qui se pose est de savoir si ce type de «tribunal» en principe peut être impartial. La justice internationale est par définition la justice des vainqueurs, ou au moins celle des plus forts. La victoire peut être celle obtenue suite à un conflit armé, ou bien il peut s’agir de la force idéologique — sont forts, ceux qui imposent leur idéologie au monde. Nous sommes dans ce second cas. Et la décision du tribunal de district de La Haye est un instrument politique dans le conflit civilisationnel en cours. De ce point de vue, elle arrive trop tard.
Le tribunal a condamné à perpétuité par contumace Strelkov (Igor Guirkine, ancien ministre de la Défense de DNR), Khmoury (Sergueï Doubinsky, ancien officier du renseignement militaire russe) et Krot (Leonid Khartchenko, sous colonel de réserve, Ukrainien se battant du côté DNR). Oleg Poulatov a été acquitté. Aucun des accusés ne s’est présenté au tribunal et la Russie a immédiatement annoncé qu’elle n’extraderait pas ses ressortissants. Ils doivent également payer une amende de 16 millions d’euros.
Sur le plan tactique, cette décision est un coup d’épée dans l’eau. Elle peut servir de fondement à de nouvelles sanctions, puisque tout peut servir aujourd’hui de fondement à de nouvelles sanctions. Elle peut renforcer le mouvement politique visant à faire reconnaître par différents Etats la Russie comme pays-terroriste, mais ce mouvement est en cours et se heurte dans les pays-clés de la scène internationale à la compréhension qu’il est dangereux de rompre tous les ponts, tandis que les pions de toute manière, avec ou sans cette décision, feront ce qu’il leur sera demandé.
L’intérêt que présente cette parodie de procès est ailleurs : il s’agit surtout de savoir dans quelle mesure il serait possible d’instrumentaliser la justice nationale de certains pays occidentaux, prêts à la compromettre, afin d’avoir un espace pour lancer le grand mouvement de désignation de la Russie comme coupable de crimes de guerre en Ukraine. Et cela est clairement formulé dans Le Monde :
«Le procès est devenu entre-temps un test pour les efforts visant à traduire en justice les auteurs de crimes de guerre en Ukraine depuis 2014. «
Il s’agit bien d’un instrument et d’une étape. L’affaire ne s’arrêtera pas là, elle continuera le temps que ce conflit n’ait pas un vainqueur. Les Etats-Unis et l’OTAN l’affirment. Donc la «justice» néerlandaises le fera.
«Le verdict « marque une journée importante pour la justice », a commenté le chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg. « Il ne peut y avoir d’impunité pour de tels crimes », a-t-il déclaré sur Twitter. Washington a également salué le verdict, « étape importante » pour que justice soit rendue.
L’affaire n’est pas close, a observé l’enquêteur de la police néerlandaise Andy Kraag : « Nous cherchons plus haut dans la chaîne de commandement », a-t-il déclaré. Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a déclaré que ces condamnations constituaient une « étape importante » mais qu’elles ne signaient « pas la fin » des investigations. «
Pourtant, ici aussi, l’efficacité est très relative : ces décisions ne pourront être exécutées, que lorsque la Russie les reconnaîtra ou lorsqu’elle ne sera pas en mesure de s’y opposer. Or, la Russie évidemment, n’a aucun intérêt à les reconnaître, donc ces décisions n’auront aucun effet juridique. Seule sa défaite ou sa capitulation peuvent permettre au monde atlantiste de donner une force exécutoire à ces actes. Parce que, dans ce cas, ils seraient les vainqueurs. Ne contrôlant à ce jour ni le territoire (russe), ni les personnes condamnées (n’étant pas physiquement en leur possession), ils n’ont aucun moyen de contrainte — sans la participation de la Russie. La justice internationale est bien la vengeance «civilisée» des vainqueurs.
Karine Bechet-Golovko