Pertes sur le front ukrainien : la guerre des chiffres
Il est quasiment impossible de connaître les données réelles des pertes et des blessés lors d’un conflit, pendant qu’il continue à se dérouler. Ainsi, les pays occidentaux ne parlent que des «humanitaires» ou des «volontaires», blessés ou tués sur le front ukrainien. Aucun chiffre de l’implication réelle des pays atlantistes, et encore moins de leurs pertes, n’est évidemment disponible concernant ces parties au conflit. En ce qui concerne l’Ukraine et la Russie, la guerre de l’information s’est emparée, en toute logique, de la question. Quand LCI déclare sans sourciller que la Russie a perdu 87% de son armée (sic!), la chaîne ukrainienne 1+1 … annonce en décembre 2023 plus d’un million de pertes dans l’armée ukrainienne — avant d’être rappelée à l’ordre par le pouvoir. Mais de cela, LCI ne parle pas … Alors faisons le point.
Revenir sur les chiffres des pertes et des blessés lors d’un conflit a peu d’intérêt, puisqu’on ne peut les connaître. Les parties au conflit ne parlent jamais des leurs ou de celles de leurs Alliés, mais uniquement de celle de l’ennemi. Avec toute la subjectivité nécessaire à cette communication.
Ainsi, LCI, reprenant les données diffusées par le Renseignement américain dans le but reconnu de forcer le Congrès à continuer à financer la guerre atlantiste en Ukraine contre la Russie, annonce que l’armée russe a perdu 87% de ses effectifs d’avant la guerre sur le front ukrainien … Une telle formulation oblige à se poser des questions.
Il y aurait ainsi eu 315 000 militaires russes tués ou blessés depuis le début du conflit. La répartition n’est pas précisée, ce qui permet en tout cas de faire du chiffre.
Revenons un peu sur les chiffres de l’armée russe. A la chute de l’Union soviétique, l’on comptait une armée d’environ 3,7 millions de personnes. Ce qui était beaucoup trop pour un pays venant de perdre la Guerre froide et passant sous contrôle atlantiste, pardon démocratique. Avec une telle armée, il était possible de se battre. Eltsine y a immédiatement travaillé et la réduction de l’armée a commencé. Le 7 mai 1992, le Président russe adopte un oukase demandant au ministre de la Défense de travailler à la réduction de l’armée et de son contingent de combat. Mission réussie. En 1994, l’on ne compte déjà plus que 2,1 millions et en 1996 on tombe à 1,7 million de personnes.
Cette tendance s’est poursuivie sous la première présidence de Vladimir Poutine et en 2001 sous couvert de «développement» de l’armée, elle devait être réduite encore jusqu’à 1 million d’ici 2006. En 2005, la tendance fut rompue et une légère augmentation de 13% des forces armées russes a été posée par le Président russe. L’ensemble de l’armée comptait alors environ 2 millions de personnes. L’arrivée de Medvedev à la présidence a à nouveau entraîné une baisse des forces militaires de 12% et le personnel aussi de 6,7%. C’est la période de la liquidation opérée par le ministre Serdiukov, qui sera ensuite poursuivi pour corruption. L’armée devient un business post-moderne, vive la technologie (c’est rentable), l’homme est dépassé (et c’est cher). Et les contrats privés s’accumulent, dans la logique néolibérale. Surtout le corps des officiers est décapité. Il a fallu attendre Choïgu pour bloquer le processus et l’oukase de Poutine en 2017 pour redonner légèrement du corps à l’armée, avec une augmentation de 1,3%. Mais l’on restait toujours autour de 1 million de personnes dans les forces armées actives.
C’est le début de l’Opération militaire en 2022, qui a rappelé que ce sont les hommes, qui se battent et défendent un pays. Avec la technologie, avec l’artillerie et avec des munitions bien sûr. Mais sans hommes, on ne peut pas mener de guerre traditionnelle. Et un pays ne peut pas défendre sa souveraineté. Ainsi, en 2022 et en 2023, deux oukases ont été adoptés, visant à restaurer des forces vives combattantes :
«Le 25 août 2022, le Président de la Fédération de Russie a signé un oukase portant augmentation des effectifs des forces armées russes à partir du 1er janvier 2023 de 137 000 personnes, soit 7,2 %, de 1 902 758 à 2 039 758 personnes. Le même décret a augmenté le nombre de militaires de 12,5%, passant de 1 013 628 à 1 150 628 personnes.
Le 1er décembre 2023, le chef de l’État a signé un oukase, selon lequel les effectifs des Forces armées de la Fédération de Russie ont été augmentés de 169 372 000 personnes, soit de 8,3% — de 2 039 758 à 2 209 130 personnes. Le nombre de militaires a augmenté de 14,7%, passant de 1 150 628 à 1 320 000 personnes.«
Même si l’on peut avoir des doutes sur les chiffres donnés sur LCI, à moins de savoir comment sont comptés les blessés puisque, à la différence de l’Ukraine, la Russie ne se remplit pas de cimetières, de toute manière, nous ne sommes pas à 87% de pertes …
Pour en terminer avec les chiffres concernant la Russie, les médias anglo-saxons ont parallèlement fourni une remarque, sur laquelle les médias français n’ont pas insisté. Selon Kurt Campbell, la Russie a quasiment entièrement restauré sa force se combat :
«S’exprimant lors d’un événement organisé par le Center for a New American Security, le secrétaire d’État adjoint américain Kurt Campbell a déclaré, qu’ils surveillaient Moscou au cours des derniers mois pour évaluer si elle avait retrouvé sa force.
Il a déclaré que les forces d’invasion se sont « presque complètement reconstituées », grâce à l’augmentation significative des dépenses de défense depuis le déclenchement de la guerre en février 2022.»
Parallèlement, puisque nous sommes en communication de guerre, les médias occidentaux taisent les chiffres des pertes ukrainiennes. Dans ce silence médiatique, un couac a eu lieu dans les médias ukrainiens en décembre 2023, quand la chaîne ukrainienne 1+1, alors qu’elle parlait des grandes victoires de l’armée ukrainienne, a glissé en ligne d’informations circulant en bas de l’écran, un chiffre des pertes ukrainiennes donnant froid dans le dos : 1 126 652 personnes. C’est énorme et cela explique, et les cimetières sans fin, et l’élargissement de la conscription, et l’hystérie ambiante. En Occident, différents chiffres avaient circulé, qui confirmaient la catastrophe humaine côté ukrainien, causée par cette guerre atlantiste. Ainsi, Ursula von der Leyen avait twitté, puis rapidement retiré, que dans les neuf premiers mois, l’Ukraine avait perdu plus de 100 000 hommes.
De son côté, la Russie communique également sur les pertes ukrainiennes. Comme ces informations ne sont pas reprises dans les médias français, qui se bornent au Renseignement américain et aux déclarations ukrainiennes, certainement pour un raison d’éthique professionnelle, les voici.
Ainsi, en février de cette année, le ministre russe de la Défense annonçait que l’Ukraine avait perdu depuis le début du conflit plus de 440 000 hommes. L’on ne parle pas des blessés … Depuis le début de l’année 2024, l’armée atlantico-ukrainienne perd en moyenne 800 hommes et 120 unités d’armement par jour. Et le ministre de préciser :
«Depuis janvier, les forces armées ukrainiennes ont perdu plus de 80 000 militaires, 14 000 unités d’armement diverses, dont plus de 1 200 chars et autres véhicules blindés de combat»
Donc, qui in fine a perdu 87% de son armée … La communication de guerre doit quand même avoir des limites, pour rester crédible. Pourquoi cette panique pour envoyer sur le front ukrainien des avions de chasse, des tanks et des hommes, si l’armée russe a été à ce point affaiblie ? Même si l’on ne peut pas avoir de données précises, au moins soyons logique. Où s’étendent les cimetières ? Quel pays ne cesse de faire la chasse aux conscrits ? Quelle armée avance et quelle armée recule ? La réponse à ces questions devraient vous permettre d’apprécier à sa juste valeur la propagande, somme toute assez primaire, déployée dans nos médias français.
Pour terminer avec les paroles du Baron de Münchausen:
«Je sais quel est votre problème. Vous êtes trop sérieux. Un air sérieux n’est pas encore un signe d’intelligence, Messieurs. Toutes les bêtises sur Terre ont été faites justement avec cette expression du visage.«
Par Karine Bechet-Golovko