Quand Peskov qualifie Urgant et Sobtchak de «grands patriotes» : quels intérêts défendent ces élites politiques en Russie ?
Lundi 4 avril 2022
Le lancement de l’opération militaire russe en Ukraine a mis en évidence la scission de la société entre une élite cosmopolite et une population majoritairement conservatrice. Si les élites dites culturelles ont naturellement cette tendance, il est regrettable que les élites politiques dirigeantes jouent le même jeu, par conviction ou par intérêt. Quand Peskov qualifie Urgant ou Ksénia Sobtchak de «grands patriotes», il y a une limite inacceptable qui a été franchie, un pas de trop qui peut mettre en danger la stabilité sociale, dans un contexte aussi particulier que celui d’aujourd’hui. Mais cela explique aussi beaucoup de choses quant aux négociations et aux «compromis» militaires unilatéraux, quand la fille d’Abramovich et celle de Peskov se prononcent aussi publiquement contre la politique de la Russie.
Comme l’a déclaré Lavrov, chacun est libre de faire son choix, de rester ou de partir. Et une partie de l’élite cosmopolite a fait ses bagages et retrouvé ses comptes en banque. Certains l’on fait discrètement, c’est-à-dire sans se mettre en scène, d’autres ont immédiatement donné des gages à leurs «amis» occidentaux et se sont prononcés contre l’opération militaire en Ukraine.
Tel fut le cas de ces chanteurs et artistes, qui ont peur de voir fondre leurs engagements et leur réputation à l’étranger. Par exemple, Galkine, le mari de Pougatcheva, dite la diva russe (il est aussi humoriste, mais connu essentiellement grâce à son mariage) est inquiet pour les Ukrainiens (mais pas ceux du Donbass) :
« Dès le matin en contact avec des parents et amis d’Ukraine ! Je ne peux pas mettre de mots sur ce que je ressens ! Comment tout cela est-il possible ! Rien ne peut justifier la guerre ! Pas de guerre!«
Ou le chanteur de variété Meladze, qui écrit sur son Instagram :
«Aujourd’hui, il s’est passé quelque chose qui ne pouvait pas et n’aurait jamais dû se produire. L’histoire jugera un jour et remettra chaque chose à sa place. Eh bien, aujourd’hui, je veux vous demander, je vous supplie d’arrêter les hostilités et de vous asseoir à la table des négociations. Les gens doivent pouvoir négocier. Pour cela on nous a donné un langage, pour cela on nous a donné toutes les capacités. Les gens ne devraient pas mourir, cela devrait cesser.«
Etrangement, ces 8 dernières années, rien ne le dérangeait. L’animateur télé Urgant, qui reprend un show américain en Russie, a également courageusement pris des vacances en Israël et a déclaré :
« Peur et douleur. PAS DE GUERRE»
Et il ne faut pas oublier la jeunesse dorée, qui n’a pas envie de voir fondre … le doré et se moque éperdument de tout ce qui n’est pas son confort. Par exemple, la fille d’Abramovich, celui qui conduit les négociations pour la Russie, Sofia Abramovich, qui a fait ses études à Londres, de poster :
«Le mensonge le plus important et le plus réussi de la propagande du Kremlin est que la plupart des Russes sont du côté de Poutine.»
La fille de Peskov a immédiatement mis le hastag #notothewar sur son profil Instagramm, ensuite l’a quand même enlevé et son profil est devenu privé. Elle vivait essentiellement en France, où elle avait travaillé pour le Parlement européen et le Sénat, même si sa mère dément qu’elle n’ait une autre nationalité que russe.
C’est vrai que là, vraiment, ça dépasse toutes les bornes. Ce message a également été posté par la fille Yumashev, Macha, dont la mère est la fille de Eltsine qui a aidé l’installation de Poutine au pouvoir et le père un influent conseiller de Poutine.
Ksénia Sobtchak, la fille du mentor de Poutine, celui qui l’a formé à Saint-Pétersbourg, le «père de la démocratie constitutionnelle russe», qui ensuite a quitté le pays, reste dans son créneau atlantiste — et celui de son père :
« Le monde est au bord du désastre… Les intérêts géopolitiques mondiaux ne peuvent pas être plus importants que la simple vie paisible de millions de personnes !«
L’on pourrait continuer longtemps, mais cela est suffisant pour comprendre le danger qui touche la Russie : les cercles dirigeants sont totalement pris en otage par ce discours cosmopolite, par des gens qui ne voient en la Russie qu’un moyen de faire de l’argent et une carrière … si possible à l’étranger. Et l’on comprend beaucoup mieux le malaise, qui se dégage de ces pourparlers, menés par les parents de rejetons, qui expriment librement leur refus de changer de mode de vie. Par les enfants du porte-parole du Kremlin Peskov, par les enfants du négociateur Abramovitch.
Et l’on comprend aussi pourquoi tout à coup, Peskov se met envers et contre toute logique politique, envers et contre l’intérêt national, à défendre Urgant et Sobtchak, car il défend ainsi sans le dire sa fille et celle d’Abramovich, et tous les amis. Tous leurs véritables amis.
Ainsi, il y a deux jours de cela, Peskov déclare dans une grande interview à télévision biélorusse, que ceux qui se sont prononcés contre la guerre, ont eu peur ou ne comprennent pas ce qui se passe, qu’il les connaît bien, notamment Urgant et Sobtchak, et que ce sont … je cite … «de grands patriotes» (sic!). Qu’il ne faut pas les catégorier dans la 5e colonne, qu’il faut se battre contre les vrais ennemis, ceux qui critiquent l’armée et le pouvoir et que le combat contre eux sera implacable.
Donc les déclarations citées, pour Peskov, ne sont que l’expression d’un «grand patriotisme». Je reprends, par exemple, la déclaration de la fille d’Abramovitch — le plus grand mensonge est d’affirmer que les Russes sont avec Poutine. C’est un acte de patriotisme, selon Peskov. J’aimerais beaucoup savoir si Peskov se prononce en père et ami de la famille ou en porte-parole du Kremlin ? S’il défend des intérêts privés, même contre l’intérêt national, ou s’il défend l’intérêt national aujourd’hui ? Et, dans ce cas, quelle est la position de Poutine sur le patriotisme, puisque Peskov parle en son nom ?
Kadyrov a été particulièrement choqué par ces déclarations sur le «patriotisme», surtout quand il a été décoré par Poutine pour son engagement dans le combat dans le Donbass et que Peskov a froidement déclaré ne pas avoir vu l’oukase présidentiel. Ce qui est en soi une faute professionnelle. Sur son Telegram hier, Kadyrov a écrit :
«Je ne le savais pas, mais il s’avère que pour devenir patriote de votre pays, vous devez critiquer les actions de la Russie, aller à l’étranger et bruyamment et pathétiquement, créer un buzz autour de vous, puis, lorsque le degré politique d’affrontement tombe, revienir, comme si de rien n’était.
Schéma de travail, utilisation. Ivan Urgant a fait quelque chose comme ça, pour lequel il a récemment reçu une congratulation de «grand patriote» de Dmitry Peskov.
C’est si facile d’être patriote, n’est-ce pas ? Ce n’est pas à vous de courir avec des uniformes entre des tas de briques et des murs en béton. Et ce n’est pas à vous de s’asseoir dans une tranchée froide pendant plusieurs jours. Apparemment, nous n’avons pas remarqué comment une réévaluation du concept même de « patriotisme » a eu lieu.
En fait, j’ai été surpris lorsque Peskov n’a pas commenté mon attribution du grade de lieutenant général, soi-disant parce qu’il n’avait pas vu l’oukaze. Nous sommes ici avec toutes les forces de sécurité et les volontaires menant une opération spéciale jour et nuit. Il aurait été possible de remonter le moral ou de commenter plus délicatement, mais pas avec votre «je n’ai pas vu l’oukase». D’un autre côté, un lâche, qui a fui à un moment d’instabilité en vacances, et revient soièdisant de vacances à un moment d’acalmie sur la scène politique, est un vrai patriote.
Quelle étrange manière de réfléchir maintenant. Les héros ne s’appellent pas des héros, les généraux ne s’appellent pas des généraux, les lâches fugitifs s’appellent des patriotes et même des grands. L’échelle de priorité de Peskov est en quelque peu surprenante. Nous devons faire quelque chose à ce sujet… «
C’est le moins que l’on puisse dire, surprenant. Pourtant, l’on comprend beaucoup mieux cette insistance dans les négociations, ces compromis unilatéraux, l’abandon du territoire pris (et des populations civiles ukrainiennes qui ont soutenu la Russie sur place). Ce n’est pas surprenant, c’est dangereux. D’autant plus que les gens ne sont pas dupes. Car si chacun a effectivement le droit de faire son choix, de rester ou de partir, d’avoir son opinion, sans devenir automatiquement un traître à la patrie, cela n’en fait pas un «patriote» pour autant, surtout lorsqu’il appartient à l’élite du pays et qu’il s’exprime publiquement … contre les choix politiques de son pays en temps de guerre.
L’on notera également l’attitude en général de ces «enfants» : dans quelle ambiance ont-ils été élevés ? quelles valeurs ont-ils vu chez leurs parents ? dans quel discours ont-ils baigné ? Finalement, peut-on encore appeler cela une «élite» et surtout «russe» ? Il y a un véritable effondrement moral de cette «élite», qui s’est construite sur les ruines et contre l’Union soviétique.
N’oublions pas, qu’il est extrêmement dangereux pour un pays d’être dirigé par des élites «contre leur volonté», surtout dans un contexte de conflit militaire ouvert. Les résultats sont, malheureusement, déjà visibles.