Retour sur la grande conférence de presse de Poutine

Hier s’est tenu l’exercice bien connu du marathon communicationnel entre le Président et la population. Cette fois-ci, les conférences autrefois distinctes pour les journalistes et les citoyens ont été regroupées en une seule grande fête politico-médiatique. Quelques remarques sur les grandes lignes, qui ont marqué les 4 heures de questions-réponses.

Débutée à midi, heure de Moscou, la conférence du Président russe s’est terminée vers 16h. Le fait même qu’elle ait lieu est un signe positif : l’année dernière, après des reculs militaires significatifs, ce direct a été délicatement écarté de l’agenda. Pour autant, il serait ridicule d’en attendre des révélations exceptionnelles, l’exercice n’est pas organisé dans ce but et tout ce que l’on y a entendu, globalement, on le savait déjà. 

Les questions habituelles des gens demandant de résoudre leurs problèmes particuliers, parce que les institutions locales ne sont pas toujours aptes à fonctionner de manière systémique et qu’il est nécessaire de donner un tour de vis de temps en temps. L’augmentation des prix, visible et sensible, face à l’augmentation des salaires déclarées, mais peu voire pas visible. Seule la traditionnelle question de l’état des routes semble avoir disparu de l’horizon, pour être remplacée par celle du prix des autoroutes payantes et des billets d’avion.

Globalement, il y a eu 4 blocs de questions.

Sur le plan économique, les marqueurs de la Russie montrent une capacité du pays à tenir face aux sanctions atlantistes et même à relancer la production nationale, à l’encontre du mythe du post-industriel. Le PIB augmente d’environ 3,5%, l’inflation de 7-8% et la dette publique baisse singificativement — ce qui montre dans l’ensemble une vie économique existante et bien loin des modèles européens dépressifs. Un détail : une augmentation en moyenne de 40% des prix automobiles. Une zone économique spéciale va être mise en place dans la région de Belgorod, afin de compenser les dégâts causés aux infrastructures, notamment de production alimentaire, par les bombardements de l’armée atlantico-ukrainienne. Une critique a été formulée par Poutine contre la décision du nouveau président argentin de recourir au dollar comme monnaie nationale : c’est une perte de souveraineté, qui entraînera obligatoirement une dure période de baisse drastique de la politique sociale, ce qui va entraîner instabilité politique.

Sur le plan social, le gros des questions a porté sur l’état du service public de santé : manque de médecins, manque de financement — autre que pour les travaux de rénovation. La question de l’augmentation des prix met les populations fragiles en difficulté, notamment en ce concerne l’alimentation et les médicaments. L’augmentation vertigineuse du prix du poulet, par exemple, a mis une grand-mère particulièrement en colère.

Une très grande partie des questions a porté, évidemment, sur la guerre. Surtout que l’année dernière, il n’a pas été possible de soulever ces questions. Le Président a précisé qu’effectivement les buts n’avaient pas changé et que la guerre prendrait fin lorsqu’ils seraient remplis. Cela reste très vague, mais au moins il n’a pas été question de nouvelles négociations, sur le déplorable modèle turc précédent. Si l’armée est en transition vers une armée de guerre, il reste encore des problèmes techniques, qui se résolvent petit à petit : l’obtention du statut de vétérans et des garanties sociales pour les membres des anciennes sociétés militaires privées, qui juridiquement n’existaient pas, ou des personnes entrées dans les rangs de DNR avant la réunification; la question de la certification d’aptitude ou de non-aptitude après une hospitalisation, qui ne se fait pas à l’hôpital, mais dans les services compétents sur la ligne de front; le manque de drones pour la reconnaissance; etc.

En ce qui concerne les relations internationales, l’on retiendra tout d’abord la forme, qui illustre le fond. La priorité de poser la question a été donnée au journaliste chinois, face à l’Américaine du NYT. La question totalement absurde du journaliste français de TF1, pleurnichant pourquoi Poutine ne parle plus avec Macron (en effet, on se pose la question … passons) a donné l’occasion à une remise des pendules à l’heure — post-européenne : c’est Macron, qui a un moment donné, a cessé de discuter, s’il veut parler, qu’il fasse le premier pas — on verra en fonction de nos intérêts. Si les Européens en général ne veulent pas nous parler, rien de grave, on s’en passera. Et en effet, comment parler avec des pays non-souverains, qui garantissent les intérêts du monde global. A ce sujet, mon intervention pour RT :

Par ailleurs, le Président a rappelé la position de la Russie sur le conflit israélo-palestinien, à avoir la création d’un Etat palestinien en contrepartie de la création d’Israël, comme cela était prévu par l’ONU après la Seconde Guerre mondiale, et point le massacre commis par l’armée israélienne à Gaza, soutenant ici le Secrétaire général de l’ONU. En ce qui concerne le Haut-Karabakh, ici non plus, rien de nouveau ne pouvait objectivement être dit : ce fut le choix de l’Arménie, ils assument. Sur un autre aspect de la politique internationale, pour la première fois le Président russe a mis un bémol à la participation des athlètes russes aux JO, en raison des conditions imposées, qui vont jouer contre l’intérêt de la Russie. Sera-t-il entendu ? 

Un sujet m’a toutefois réellement choqué, celui du culte de l’IA en Russie. On ne peut plus regarder un JT sans qu’une ode à gloire n’y soit chantée. D’une certaine manière, la glorification du marxisme-léninisme soviétique a été remplacée par la glorification du culte globaliste numérique. Pour illustrer l’ampleur de la dégradation en la matière, il suffit de lire les déclarations pseudo-scientifiques du directeur du centre de procédure pénale d’un institut auprès des organes des forces de sécurité, qui a publié un article dans une prestigieuse revue juridique vantant ce qu’il a appelé l’arrivée inévitable de «l’inquisition numérique». Hier, deux questions, critiques, ont été posées à ce sujet au Président. Tout d’abord l’adresse d’une petite enfant, qui s’inquiétait de voir sa mère et sa grand-mère remplacées à terme par un robo, puisqu’elle entend partout que dans l’avenir les robots vont remplacer les hommes. C’est une perspective, qui plaît très peu à la population … Puis une adresse vidéo, d’une jeune universitaire, qui a créé un double de Poutine, parlant avec la voix de Poutine lui disant que c’est l’avenir dangereux de ce tout-numérique. La réaction du Président a été, comment dire, à la hauteur du culte numérique, qui dévore et affaiblit le pays. Sans argumenter et tentant l’humour, il affirme que seul lui peut parler avec sa voix, et qu’aucun robot ne remplacera jamais la grand-mère. Pour enchaîner sur la diatribe habituelle du il faut diriger ce que l’on ne peut empêcher, car voyez-vous, paraît-il le fanatisme numérique est un «progrès inévitable» (sic) … Bientôt, ces programmes auront de la sensibilité et se développeront tout seul, paroles qui rappellent étrangement et dangereusement les entre-soi de Davos. Mais évidemment pour empêcher trop de dérives, sur le mode yaka, il suffit juste de trouver un accord avec les autres pays (lesquels? Ceux, qui se battent militairement contre la Russie?), pour que cette merveilleuse et mythique communauté internationale, pardon globaliste (qui actuellement en tant que tel a vocation ouverte à détruire la Russie, passons) sauve le monde d’une catastrophe, vers laquelle elle le mène tout droit. Il est regrettable sur cette question de n’avoir perçu strictement aucune tentative de penser le monde, de manière plus humaine, en dehors des dogmes et du discours imposés par l’idéologie globaliste.

Autrement, rien de nouveau, sauf peut-être l’explication des racines de certaines tendances et la confirmation de la ligne générale. Mais l’intérêt est ailleurs : montrer une normalisation en restaurant l’exercice, autant que montrer le lien populaire en pré-légitimation de la future victoire de Poutine aux prochaines élections présidentielles. De toute manière, on ne change pas de dirigeant en période de conflit — l’Ukraine, elle, a annulé toutes les élections nationales, présidentielles et législatives pendant la suite du conflit. Et cette mission de pré-légitimation a été remplie. 

Par Karine Bechet-Golovko