Rosatom ou comment les Etats-Unis utilisent les sanctions «démocratiques» pour protéger leurs intérêts économiques

Les Etats-Unis viennent d’adopter une nouvelle vague de sanctions. Rien de nouveau ni d’exceptionnel, à un détail près. Ils se sont finalement décidé à sanctionner le domaine de l’énergie atomique russe, tout en affirmant que le but est d’exercer une pression sur les clients de la Russie à travers le monde. Il est vrai que la Russie est l’un des leaders du domaine : donc cela porte atteinte aux intérêts américains. Ce qui vaut bien quelques sanctions — démocratiques. Pour tenter de reprendre ainsi du poids sur le marché. Décidément, l’Ukraine a bon dos !

Le Département d’Etat américain vient de publier ce 12 avril sa nouvelle fournée de sanctions adoptées contre différentes personnes physiques et morales russes. Je cite :

«Les États-Unis continueront de prendre des mesures contre la Russie et ceux qui soutiennent sa guerre en Ukraine, notamment en mettant davantage en œuvre l’engagement du G7 d’imposer de graves conséquences aux acteurs des pays tiers, qui soutiennent la guerre de la Russie en Ukraine. Dans le cadre d’un effort continu et pour réaffirmer notre engagement à travailler aux côtés de nos alliés, le Département d’État impose le 12 avril des sanctions à plus de 80 entités et individus, qui continuent de permettre et de faciliter l’agression de la Russie.»

Les Etats-Unis ne sont évidemment pour rien dans cette guerre en Ukraine, ce n’est pas eux qui ont déstabilisé le pays dès 2004, militarisé dès 2014, dirigent son armée depuis 2022 et l’occupent sous différentes formes depuis des années. Non, c’est la guerre «de la Russie». Il faut donc défendre la démocratie. What else ?

Or, chose étrange dans toute cette liste, une section particulière apparaît concernant l’énergie atomique. Les Etats-Unis ont hésité à mettre Rosatom sous sanctions, car la dépendance américaine au combustible nucléaire russe est substantielle. Pendant de nombreuses années, après la chute de l’URSS, toute une partie de l’énergie américaine provenait … du désarmement de la Russie ou comment faire d’une pierre deux coups. Dixit le Washington Post, lisez vous-même :

«Après la fin de la guerre froide, les dirigeants américains et russes ont convenu que la Russie démantèlerait certaines de ses armes nucléaires et les enverrait aux États-Unis pour être réutilisées et utilisées dans des réacteurs nucléaires civils – le programme mégatonne à mégawatt. Cela a pris fin en 2013. Au cours du programme de 20 ans, jusqu’à 10 % de l’électricité américaine provenait de carburant fabriqué à partir d’ogives russes.»

En 2021, les Etats-Unis ont acheté 14% de leur uranium à la Russie, qui a la plus grande capacité mondiale d’uranium enrichi, près de la moitié à elle-seule. Selon le Washington Post, les Etats-Unis seraient moins impactés que l’Europe en cas de sanctions contre Rosatom. Et dès janvier de cette année, la question a été remise au goût du jour. Aujourd’hui, ces sanctions ont été adoptées, contre différentes entreprises de Rosatom. Et l’explication fournie par le Département d’Etat est très claire : il faut lutter contre la poids de la Russie sur ce marché.

«Le Département désigne cinq entités et une personne qui font partie de la State Atomic Energy Corporation Rosatom. Nous imposons ces désignations pour contraindre Rosatom, étant donné qu’elle utilise les exportations d’énergie, y compris dans le secteur nucléaire, pour exercer une pression politique et économique sur ses clients à l’échelle mondiale.»

Et en ce qui concerne concrètement «Rosatom Overseas JC» — il participe à la position dominante de la Russie sur le marché. Le lien avec la démocratie, l’Ukraine, etc. est absolument évident.

«Rosatom Overseas JSC pour être détenue ou contrôlée par, ou avoir agi ou prétendu agir pour ou au nom de, directement ou indirectement, le gouvernement de la Fédération de Russie. Rusatom Overseas est impliqué dans le développement de l’entreprise Rosatom, avec pour objectifs déclarés de constituer le portefeuille de commandes de centrales nucléaires à l’étranger de Rosatom et de maintenir la position de leader de la Russie sur le marché nucléaire mondial.»

Ce qui porte atteinte aux intérêts américains. En effet, comment un autre pays pourrait-il avoir une position de leader sur un secteur du marché économique mondial ? Quelle idée, cela est impossible. Les sanctions sont bien là pour aider. D’autant plus que se pose en réalité la question du marché des petits réacteurs modulaires pour la production d’électricité et que Rosatom Overseas est justement bien avancé et fait largement concurrence aux entreprises américaines :

«le directeur d’AtomInfo-Center a noté qu’à ce jour, il n’y a qu’une seule station d’exploitation dans le monde, qui relève du concept de petits réacteurs modulaires. Il s’agit de l’unité de puissance flottante Akademik Lomonosov.

Rosatom Overseas elle-même annonce officiellement qu’elle propose aujourd’hui à ses clients des centrales nucléaires de faible puissance (LNPP) en versions terrestres et flottantes basées sur les dernières centrales de réacteurs de la série RITM d’une capacité de 106 et 100 MW.»

La conception de la démocratie chez les Américains est très matérialiste, dirons-nous. Dans le même ordre d’idées, au sujet de Taïwan :

« Pourquoi les Américains devraient-ils être prêts à verser leur sang et à gaspiller leurs ressources pour défendre Taiwan ?

C’est la question que le présentateur de NBC, Chuck Todd, a posée au membre du Congrès Michael McCall.

«Cela concerne la production de semi-conducteurs… Si la Chine vient là-bas, cela endommagera le système. Nous parlons de protéger la démocratie»

Sans commentaire.

Karine Bechet-Golovko