RT France — Loi sur les agents étrangers en Géorgie : l’Occident défend bec et ongles l’opacité financière de son soft power
L’opposition européenne et américaine à la loi sur les agents de l’étranger adoptée par le Parlement georgien trahit leur désir de défendre leurs ingérences dans ce pays voisin de la Russie. Par Karine Bechet-Golovko, le 21 avril 2024.
Le 17 avril 2024, le Parlement géorgien a adopté en première lecture le projet de loi sur les agents étrangers, qui oblige les médias et les ONG bénéficiant d’un financement étranger de plus de 20% à le déclarer. Immédiatement, les États-Unis, où cette loi existe, crient à l’atteinte démocratique, tout comme leurs satellites européens. Si le pouvoir géorgien affirme vouloir ainsi éviter à la Géorgie le désastre ukrainien, les Atlantistes voient leurs investissements mis en danger.
Les médias forment l’opinion publique, les ONG sont des acteurs influents de la société civile, cette partie « active » de la société, qui a tendance à se poser sinon en pouvoir, faute d’autonomie réelle, pour le moins en soft power, aux mains des véritables pouvoirs, qui les financent. Autrement dit, la question de l’origine du financement est fondamentale : soit ce sont des forces nationales et nous sommes alors dans le cadre d’un jeu politique classique ; soit ce sont des forces « extra » nationales et nous sommes en présence d’un mécanisme d’ingérence dans les affaires internes d’un pays.
Un dispositif qui existe aux Etats-Unis
Dans cette logique de protection de la souveraineté nationale, les États-Unis furent les premiers à réglementer la question du financement étranger des personnes morales en 1938, avec l’adoption du Foreign Agent Registration Act (FARA). Originairement, cette législation visait à lutter contre la propagande ennemie sur le territoire national, mais en 1966, après que les Américains entrent en guerre au Viêt Nam, la loi est réorientée vers un contrôle des lobbys, la notion de propagande étant entendue de manière très large. Sous contrôle du service du contre-renseignement du Département de la Justice, certaines personnes exerçant des activités sensibles aux États-Unis doivent les déclarer. In rem, la législation concerne les personnes ou organisations, qui se livrent à des activités politiques ou militaires civiles, dans l’intérêt ou sous le contrôle d’une puissance étrangère ou dans le but de renverser le Gouvernement par la force.
Ces personnes ou organisations doivent rendre publique leur mandat, leurs activités et leurs financements, ainsi que les dépenses liées à ces activités. La responsabilité encourue pour les différentes violations envisagées peut être pénale et/ou civile, entraînant une amende d’un maximum de 250 000 $ ou d’un emprisonnement de cinq ans au plus. La législation américaine va encore plus loin et elle intègre une partie préventive : le procureur est autorisé à agir à titre préventif, s’il estime qu’une violation de la loi est possible. Il peut alors prendre une ordonnance interdisant certains actes et activités – alors qu’aucune infraction n’a encore été commise.
La dimension politique de cet instrument est incontestable et la pratique de son utilisation le montre : il a fallu attendre 2016 et le danger politique que présentait Trump pour les élites globalistes américaines, pour qu’elle soit à nouveau utilisée, après une très longue période de somnolence. Depuis, elle a ainsi principalement été dirigée contre les médias russes et chinois, même si à l’origine elle ne pouvait être utilisée contre les médias, et contre les soutiens de Donald Trump.
Il y a un an de cela, la Géorgie a tenté pour la première fois d’adopter une législation, inspirée de la législation américaine, même si beaucoup plus souple, devant obliger les ONG et les médias à déclarer leur financement étranger. Le Premier ministre de l’époque, obligé de quitter le pouvoir après cette tentative d’opposition à la sacralité de l’ordre global, déclarait plein d’espoir le 7 mars 2023: «Jusqu’à présent, personne n’a manifesté le moindre désir de considérer ou de condamner la loi sur les agents étrangers en vigueur aux États-Unis. Des lois similaires s’appliquent dans d’autres pays. Nous, nos autorités, faisons tout pour renforcer la souveraineté de la Géorgie». Et celui-ci de préciser que certaines organisations non gouvernementales présentes dans le pays «se battent contre l’État et les intérêts de l’État», en organisant par exemple «des rassemblements antigouvernementaux, des événements provocateurs». «Dans le même temps, leurs activités sont dépourvues de toute transparence », ajoutait alors Garibashvili.
Dans la foulée, les têtes parlantes de l’UE criaient au crime de lèse-démocratie par des autorités géorgiennes, immédiatement qualifiées de «pro-russes». Il est vrai que la catégorie «pro-nationale» est, semble-t-il, exclue du mode de pensée atlantiste, comme un anachronisme déplacé, soit l’on est pro-globaliste et donc «démocratique», soit l’on est «pro-russe» et donc «autoritaire». La prise en considération de son intérêt national fait immédiatement entrer les élites politiques d’un pays dans la catégorie «autoritaire», donc «pro-russe».
Immédiatement, l’ambassadrice américaine à Tbilissi, Kelly Degnan, avait «recommandé» au Parlement de ne pas adopter cette loi qui ne manquerait pas selon elle d’avoir «un impact dévastateur sur les institutions travaillant dans le pays» (sic !). Les choses sont dites ouvertement. L’enchaînement des manifestations, organisées justement par ces organisations financées de l’étranger, va alors conduire le Gouvernement à reculer et le Premier ministre à démissionner, pour être remplacé par un autre membre de son parti.
Ursula von der Leyen a envisagé elle aussi une législation analogue
Et, Ô miracle de la pensée complexe, Ursula von der Leyen annonce quelques semaines à peine plus tard, que les institutions de l’UE réfléchissent à l’adoption d’une législation… contre les agents étrangers, afin de lutter contre l’influence russe. Tout de suite, cela devient éminemment « démocratique ». En douter serait d’ailleurs le signe d’une déviance… « autoritaire », voire .. « pro-russe ».
Un an a passé, la Géorgie continue à vouloir défendre son intérêt national au milieu de cette tornade globaliste et le Gouvernement relance le projet de loi sur les agents étrangers. Il s’agit d’une version très timide, si on la compare au tank législatif américain : les ONG et les médias, recevant au moins 20% de financement étranger, doivent faire une déclaration annuelle au ministère des Finances, faute de quoi ils pourront faire l’objet d’une amende de 9 400 $. Le 17 avril, au milieu des manifestations de ces « travailleurs globalistes» unis dans un mouvement coordonné pour défendre leur pain quotidien et les intérêts de leurs sponsors, à eux ne pas perdre leur influence sur la société géorgienne, le Parlement n’a pas fléchi et a adopté en première lecture le projet de loi.
Selon le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidze, ce projet de loi doit garantir la souveraineté de la Géorgie … et ainsi, permettre son rapprochement avec l’UE. Qui ne peut coopérer, en théorie et en toute logique, qu’avec des pays stables et souverains. En théorie. L’ironie est à peine voilée dans les propos du Premier ministre, qui précise que la Géorgie n’a pas l’intention de répéter le destin de l’Ukraine. Et de déclarer à juste titre que les organisations non gouvernementales sont devenues «l’une des principales sources de radicalisation et de cette polarisation dans la vie politique de la Géorgie». Le pays serait aujourd’hui «dans une situation pire que l’Ukraine» si elles avaient réussi à changer le pouvoir en 2020-2022, poursuit-il. Il estime que l’adoption de la loi entravera les tentatives «d’organiser à nouveau une révolution, de nous ukrainiser».
Mais l’UE et leurs maîtres globalistes ont justement besoin de cette Géorgie, d’une Géorgie ukraïnisée, instrumentalisée contre la Russie, d’une Géorgie qui ne soit pas géorgienne. La Géorgie, comme l’Ukraine, comme la Moldavie, comme l’Arménie, ne présente aucun intérêt en soi pour les forces globalistes, qui sont à l’œuvre dans ces pays. Elles n’ont surtout pas besoin que ces pays soient des États, c’est-à-dire des espaces politiques souverains et structurés. Ils doivent être, au contraire, suffisamment affaiblis et déstructurés pour servir et garantir les intérêts atlantistes, contraires à leur intérêt national – ce que justement aucun État souverain ne ferait.
Washington et Bruxelles s’inquiètent pour leurs investissements
Immédiatement, les États-Unis et leurs satellites européens sont attristés et inquiets pour leurs investissements, pardon pour la démocratie, en Géorgie. Quant à la Présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, elle annonce déjà un veto, si les intermittents de la rue n’arrivent pas à faire leur travail, ce pour quoi justement ils sont payés : empêcher les autorités géorgiennes de donner la priorité à l’intérêt national. L’on pourrait être surpris de voir le dirigeant d’un pays faire à ce point allégeance à des intérêts extérieurs.
Ce serait sans jeter un œil sur son parcours : née en France, elle y mène d’abord une carrière diplomatique et sera nommée par Chirac ambassadrice à Tbilissi en 2008, à quelques mois de la Révolution des Roses. Elle devient alors « géorgienne » et ministre pendant un temps des Affaires étrangères de son nouveau pays. Une ministre très efficace pour défendre les intérêts globalistes d’une plus grande intégration de la Géorgie dans l’OTAN (donc d’un éloignement avec la Russie) avec la promesse d’un rêve européen. En 2010, après des tensions avec le clan de Saakachvili, elle retourne vers la diplomatie, justement à l’ONU, d’où elle reviendra en Géorgie en 2016, pour être placée à la présidence en 2018. C’est ce que l’on appelle un parachutage réussi.
Depuis le début des années 2010, les efforts globalistes se sont diversifiés sur une zone objectivement trop large pour pouvoir être réellement contrôlée de manière stable et profonde. Les efforts produits en Ukraine avec l’enchaînement des révolutions et l’engagement militaire coûte cher et demande une attention constante. De même, l’introduction et le maintien de Pachinian en Arménie n’a pas été réalisé facilement. Cela a conduit à un relâchement objectif de la pression atlantiste sur la Géorgie, qui revient alors naturellement dans son cours historique.
Trois siècles d’histoire commune entre la Géorgie et la Russie
Depuis la fin du 15e siècle, elle demande aide et protection à la Russie, contre les Empires qui l’entourent et tentent de l’engloutir, bénéficiant des conflits intérieurs. Au 18e siècle, à la fin de la guerre russo-turque, la Géorgie demande à entrer dans l’Empire russe, pour être protégée justement des Turcs. Elle reçoit tout d’abord une réponse négative, ce n’est pas le moment, mais finalement Catherine II accepte la requête du Tsar géorgien en 1783. La Géorgie fut séparée de la Russie à la chute de l’URSS, lors de la première révolution globaliste menée contre le Monde russe.
Trente années peuvent-elles effacer trois siècles de culture politique et d’histoire commune ? Il serait assez naïf de le penser. Dès que les financements et les pressions politiques prennent fin, la réalité politico-sociale reprend sa place et tout dépend finalement de l’instinct de survie des peuples et des élites politiques. La Géorgie revient ainsi vers elle… et regarde avec amitié vers la Russie. L’histoire reprend son cours.
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