Suspension sine die du Comité olympique russe : oui, le sport a toujours fait partie de la politique
Alors qu’une partie des élites gouvernantes russe continue, dans le meilleur des cas, à refuser de voir la réalité telle qu’elle est et incite les sportifs russes à aller participer aux JO, quelles que soient les conditions imposées, le Comité olypique russe vient d’être suspendu pour avoir voulu intégrer des sportifs venus des nouveaux territoires russes, territoires évidemment non reconnus comme tels par le monde global. La sagesse populaire a souvent du bon : à rester entre deux chaises, en général, on tombe.
L’on se souviendra que Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin et justement parlant au nom du Kremlin, incitait les sportifs russes à participer aux JO, alors que certaines fédérations annonçaient exiger une déclaration condamnant l’Opération militaire russe. Cette «tolérance» n’est pas du goût de tous et des voix, notamment parmi les professionnels du sport, commencent à se lever contre une ligne politique, qui in fine ne fait qu’affaiblir la Russie (voir notre texte à ce sujet). Comme l’expérience depuis 2014 le démontre.
La Russie ne peut pas longtemps garder cette position non seulement ambiguë, mais également contre-productive, consistant d’une part à faire la guerre au monde global, et d’autre part continuer à vouloir faire partie de ce monde global, en participant à tous ses événements, en continuant à suivre ses préceptes, en ne cessant de tendre la main. La claque que la Russie vient de recevoir par les instances olympiques en est l’expression, même si elle ne provoque strictement aucune réflexion profonde remettant en cause cette ligne politique.
D’un côté, la Russie a intégré de nouveaux territoires, dont les populations se sont prononcées pour entrer dans la Fédération de Russie. L’Etat ukrainien ayant juridiquement failli en 2014, ces populations ont pu recourir au principe d’autodétermination, posé et reconnu par le droit international. Or, dans un monde global, ce principe ne vaut que pour l’assise de ce pouvoir global et il ne peut être utilisé contre lui. La Russie, ayant récupéré ces hommes et ces territoires en luttant contre le monde global, n’est pas autorisée à revendiquer ce principe. Nous sommes donc, la guerre étant en cours, dans une phase d’incertitude politique territoriale, en ce qui concerne les territoires ayant quitté l’Ukraine après sa chute et rejoints la Russie depuis 2014, à savoir la Crimée et les régions de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporojie. Juridiquement, pour la Russie, ils font partie de son territoire national, quand ils restent dans le fantôme ukrainien pour les instances internationales, couvrant la gouvernance globale en leur refusant le droit à l’autodétermination.
D’un autre côté, les élites russes font comme si de rien n’était et continuent à vouloir participer à tous événements globalistes, à participer dans toutes les structures — non pas dans un esprit de combat, mais pour montrer à quel point l’Occident globalisé se trompe et qu’il suffit de lui ouvrir les yeux … pour que tout redevienne comme avant, voire un peu mieux. Ainsi en est-il notamment avec le sport et les JO. Le sport est dans la politique et les grands événements l’ont toujours été, le temps n’est plus à la naïveté, ni à l’aveuglement. Or, le Comité russe olympique, faisant comme si de rien n’était, puisque «les sportifs russes doivent participer aux JO» — sans la Russie, a inclu dans sa liste des sportifs venant des nouveaux territoires. Et cela simplement comme ça, sans mesures combatives préalables, sans entrer dans une logique combative, simplement «comme si de rien n’était».
La réaction ne s’est pas faite attendre, car le CIO ne fait pas comme si de rien n’était et la commission exécutive du CIO a immédiatement suspendu le Comité olypique russe.
«La décision unilatérale prise par le Comité olympique russe le 5 octobre 2023 d’inclure, parmi ses membres, les organisations sportives régionales qui relèvent de l’autorité du Comité national olympique (CNO) d’Ukraine (à savoir Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijia) constitue une violation de la Charte olympique car elle porte atteinte à l’intégrité territoriale du CNO d’Ukraine, telle que reconnue par le Comité International Olympique (CIO) conformément à la Charte olympique.»
Le CIO est un des organes du monde global, il défend les principes et la substance de ce monde. Il écarte donc ce et ceux qui, volontairement ou non, sont susceptibles de lui porter atteinte.
- Le Comité olympique russe est suspendu avec effet immédiat jusqu’à nouvel ordre.
- Cette suspension entraîne les conséquences suivantes :
- Le Comité olympique russe n’est plus autorisé à exercer ses fonctions en tant que Comité national olympique, tel que défini dans la Charte olympique, ni à recevoir de financement du Mouvement olympique.
- Comme indiqué dans la position et les recommandations du CIO du 28 mars 2023, qui restent pleinement en vigueur, le CIO se réserve le droit de décider, en temps voulu, de la participation d’athlètes individuels neutres détenteurs d’un passeport russe aux Jeux Olympiques Paris 2024 et aux Jeux Olympiques d’hiver Milano Cortina 2026.
Evidemment, cela ne s’arrête pas là. Partant du principe que l’on tape avec d’autant plus d’envie sur un faible — qui a pu vous faire peur à un moment donné, le CIO se réserve le droit d’aller encore plus loin … en fonction de la situation. Donc en fonction de l’attitude de la Russie.
Désormais, en toute logique stratégique politique, le CIO soutient la participation des sportifs russes et Thomas Bach va même jusqu’à menacer les fédérations, qui les discrimineraient. Et pour cause, en voulant être plus royalistes que le roi, elles remettraient en cause tout l’intérêt de la mise à mort du Comité olympique russe et empêcheraient une reprise en main directe des sportifs russes — contre leur pays.
Pour l’instant, en lisant les réactions officielles en Russie, manifestement, le message n’est pas passé. On va continuer à défendre les droits de nos sportifs, décision contre-productive, etc.
Un jour, les élites russes, vont-elles finir par réagir ? Sait-on jamais. Mais surtout jusqu’à quel niveau de dénigrement les organismes internationaux devront-ils aller pour cela ? Il va bien finir par être mal vu de soutenir des instances, dont la politique est ouvertement et volontairement dirigée vers le discrédit de la Russie … Non ?
Par Karine Bechet-Golovko