Ukraine : pourparlers secrets américano-russes et enlisement du front

Cela fait longtemps que sur la ligne de front, il ne se passe rien de significatif. Les bombardements stratégiques russes continuent, la mobilisation est terminée, mais les effets ne se font pas sentir. L’armée ukrainienne continuent à tirer sur les villes russes et les cibles civiles, malgré des pertes importantes. Sans avancées. Dans le même temps, l’on apprend par le Wall Street Journal, que des pourparlers secrets sont menés par les Etats-Unis avec la Russie, pour «éviter une aggravation du conflit» — pendant que ces mêmes Etats-Unis intensifient leur aide militaire à l’Ukraine et exigent des pays européens, entre autres, qu’ils en fassent autant. Nous en revenons toujours à la même question : le problème en Russie, est-il politique ou militaire ?

Sullivan passe à Kiev remonter le moral des troupes et les Etats-Unis continuent à annoncer de nouvelles aides militaires à l’Ukraine. L’on rappellera, par exemple, la décision d’aide de 2,8 milliards de dollars, annoncée début septembre par le Département d’Etat américain,  ainsi formulée :

«J’ai également informé le président Zelensky que, conformément à une délégation de pouvoir du président, j’autorise notre vingtième déblocage d’armes et d’équipements américains pour l’Ukraine depuis septembre 2021. Ce déblocage de fonds de 675 millions de dollars comprend des armes, des munitions et des équipements supplémentaires provenant des stocks du département de la Défense des États-Unis que les forces ukrainiennes utilisent si efficacement pour la défense de leur pays.»

Le 20e et loin d’être le dernier. Par ailleurs, l’aide militaire américaine ne concerne pas que l’Ukraine, mais également les pays voisins, c’est-à-dire l’espace post-soviétique, ce qui souligne la volonté d’une déstabilisation systémique de la région frontalière à la Russie :»En outre, nous informons également le Congrès aujourd’hui de notre intention de dégager 2,2 milliards de dollars supplémentaires en investissements à long terme dans le cadre du financement militaire extérieur pour renforcer la sécurité de l’Ukraine et de 18 de ses voisins, parmi lesquels de nombreux Alliés de l’OTAN, ainsi que d’autres partenaires régionaux de sécurité potentiellement menacés par une future agression russe.»

Un mois plus tard en octobre, nouvelle aide américaine annoncée par le Pentagone :»Le Pentagone a annoncé que les Etats-Unis allaient fournir 725 millions de dollars d’aides supplémentaires à l’Ukraine, ce qui porte à 18,3 milliards la somme totale allouée par Washington en soutien à Kiev. Ce nouveau lot comprend des munitions de Himars — un lance-roquettes monté sur des blindés légers très utile lors des contre-offensives que mène l’armée ukrainienne -, 23 000 obus d’artillerie, 5 000 mines anti-blindés, 5 000 armes anti-char ou encore 200 véhicules de transport.» 

Et je ne parle que de l’aide militaire américaine. Il y a deux jours, rebelote :

«Les Etats-Unis ont annoncé vendredi une aide militaire supplémentaire à l’Ukraine de 400 millions de dollars (404 millions d’euros).

Sabrina Singh, porte-parole du Pentagone, a précisé à la presse que les Etats-Unis financeraient ainsi des travaux de modernisation sur 45 chars T-72 et sur des missiles Hawk destinés à la défense anti-aérienne de Kyiv.» 

Au même moment, ce 4 novembre, Sullivan est à Kiev pour réaffirmer le soutien des Etats-Unis et estimer les besoins militaires de l’Ukraine. La position américaine est bien celle d’un belligérant.

Or, l’on apprend par le Wall Street Journal, que des pourparlers secrets sont menés entre ce même Sullivan, côté américain, et côté russe avec le conseiller du Président Ushakov et le Secrétaire du Conseil de sécurité Patrushev. Selon cette édition, il s’agissait d’éviter une escalade du conflit et de cette étrange menace nucléaire. Il semblerait, que rien de précis n’ait été atteint, d’autant plus que ces négociations ne trouvent pas de grand soutien aux Etats-Unis.

Les pourparlers secrets ont toujours lieu dans une guerre, c’est une pratique courante, l’essentiel étant qu’ils ne conduisent pas à une perte de territoire, comme ce fut déjà le cas plus d’une fois dans ce conflit. Et pendant que certains cherchent la «paix», mot magique devant tout faire oublier (Comment peut-on être contre la paix? Mais enfin?! Quelle horreur!), sans prendre le risque de préciser de quelle capitulation et de quels marchandages situatifs il s’agit encore cette fois, le front est d’une stabilité très dangereuse. A tel point qu’une étrange formulation devient systématique chez les journalistes de guerre russes : 

«La ligne de front est sans aucun changement, les attaques ennemies sont repoussées avec assurance et des pertes pour les forces armées ukrainiennes. (…) Néanmoins, des rumeurs continuent de circuler sur le repli sur la rive gauche et la reddition de Kherson

Ces rumeurs vont de pair avec l’évacuation des populations civiles de la rive droite de la ville de Kherson (la ville étant justement principalement sur la rive droite), évacuation qui inquiète les habitants, d’autant plus les autres fois elle précédait un abandon du territoire évacué. Inquiétude encore renforcée par les déclarations de Stremoussov, vice-gouverneur de la région de Kherson :

« Vous savez, je suis toujours avec des gens, je comprends que les gens doivent être ma base, car je suis moi-même un habitant de Kherson. Très probablement, nos unités, nos troupes iront sur la rive gauche de la région de Kherson. Les personnes qui n’ont pas eu le temps de quitter Kherson devraient partir le plus rapidement possible »

Le seul contre-poids est la formulation employée par Vladimir Poutine, laissant espérer pour ces gens ayant à peine fait le choix d’entrer dans la Fédération de Russie, qu’il s’agit dans ce cas d’une autre logique, celle de la défense du territoire :

«La population civile ne doit pas souffrir des bombardements, des éventuelles offensives et contre-offensives, et d’autres mesures liées aux opérations militaires» 

Rappelons que Kherson est juridiquement pour la Russie un territoire … russe : il s’agit donc du point de vue des autorités russes, soit de la défense, soit de l’abandon du territoire national. L’on en revient encore et toujours à la même question : d’où vient le fond des difficultés que l’on observe pour la Russie dans ce conflit : s’agit-il d’un affaiblissement de l’armée nationale après 20 ans de réformes néolibérales ou bien d’une absence de stratégie politique claire, permettant d’atteindre les buts légitimes de cette guerre ?