USA / Russie : Quand Borrell se vante d’avoir entraîné les Européens dans la guerre en Ukraine

Joseph Borrell présente une constance certaine dans ses déclarations : pour le responsable de la diplomatie européenne, il ne parle que de guerre. Il la soutient de toutes ses forces, de tout son être. Elle est manifestement devenue sa raison d’être. Il détaille ainsi au Financial Times, comment il a entraîné les pays européens dans l’armement de l’Ukraine en détournant les textes normatifs et en utilisant pour cela le Fonds de la paix, qui finance la guerre, dans la plus pure tradition orwellienne. Une belle réussite, que l’on voit confirmée par le vice-amiral H. Bléjean, devant l’Assemblée nationale française. Avec détail des coûts et des engagements à venir.

Dans son interview donné au Financial Times, Borrell détaille avec orgueil la manière dont il aurait abusé de la confiance des Européens, pour les faire acheter des armes pour l’Ukraine, et des armes létales, dès le début de l’Opération militaire russe.

Borrel n’était, en effet, pas satisfait de ce que le Fonds de la paix ne serve qu’à financer le Mozambique ou le Mali, il voulait que les Européens financent également le conflit en Ukraine, comme le demandait l’OTAN, comme l’exigeaient les Etats-Unis. Il est alors très fier de l’argument avancé pour faire craquer le consensus contre l’achat d’armes létales et conduire les pays membres à envoyer des fonds en ce sens au Fonds de la paix :

«Expliquez-moi cela ? Parce que nous ne fournissons pas d’armes létales ? Eh bien, nous ne fournissons pas d’armes létales, parce qu’il n’y a pas de guerre. Mais si c’est une guerre, ils ont besoin d’armes mortelles, n’est-ce pas ?»

Il ne fallut pas trop forcer pour convaincre les élites européennes, particulièrement atlantistes. Restait cependant un détail technique, juridique, à liquider, pour que tout ce petit monde ait la conscience tranquille : ce Fonds pour la paix ne peut être utilisé pour acheter des armes au titre du budget commun, selon l’art. 41.2 du traité de Lisbonne. Ce Fonds avait été créé en 2021 pour éviter le développement des conflits armés et n’avait jamais été utilisé pour acheter des armes, avant la décision de soutenir militairement le conflit en Ukraine.

Qu’à cela ne tienne, Borrell a simplement déclaré que ce Fonds ne faisait pas partie du budget officiel de l’UE, donc l’art. 41.2 ne pouvait être une barrière. Il n’est rien de plus simple, que de convaincre les convaincus. Chacun a applaudi et est rentré chez soi préparer ses achats d’armes, la conscience rangée à plus tard.

Ceci est largement confirmé par le rapport de l’audition à huit-clos du vice-amiral Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’Union européenne, devant l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022. En voici quelques passages intéressants.

«Dès le 26 février 2022, dans le but de faciliter l’échange d’informations entre les États membres et les forces armées ukrainiennes, et de s’assurer ainsi que l’effort en livraison de matériel consenti par les États membres était bien adapté à ce que demandent les Ukrainiens, j’ai établi au sein de l’état-major de l’Union européenne une plateforme d’échange d’information (en anglais : CHC, pour « Clearing House Cell »), dédiée au recensement des besoins et priorités exprimés par les Ukrainiens, d’une part, et de l’offre en matériel des États membres et de leurs partenaires, d’autre part.»

Le 26 février, notez bien la date. Donc, deux jours après le début des opérations. Inutile de dire, que Borrell n’a pas dû trop forcer pour convaincre les pays membres, qui étaient déjà sommés de participer à l’aide militaire. Les déclarations fanfaronnes de Borrell servent surtout à donner un voile «européen» à une décision, manifestement prise ailleurs, mais qui doit être légitimée localement.

Et le mécanisme a été immédiatement mis en place :

«Avec l’appui de la CHC, j’exerce également la responsabilité de décider de l’éligibilité des aides fournies par les États membres à un remboursement par le comité de la Facilité européenne pour la paix. Ce remboursement est conditionné, d’une part à la confirmation de la réception de ces aides dans les centres de distribution ou à leur destination ; d’autre part à leur adéquation aux priorités fixées par les autorités ukrainiennes.

 

En huit mois, la CHC a reçu un peu plus de 4,7 milliards d’euros de demandes de remboursement de la part de 22 États membres, dont la France. Jusqu’à présent, j’ai approuvé comme éligibles au remboursement 4,066 milliards d’euros d’équipements militaires létaux (représentant 90 % du matériel fourni) ou non létaux.

 

      Le Conseil de l’Union européenne a jusqu’à présent débloqué 6 paquets de 500 millions d’euros (les 28 février, 23 mars, 13 avril, 23 mai, 21 juillet et 17 octobre) pour la livraison de l’Ukraine en équipement militaire, pour un total de 3,1 milliards d’euros, incluant 2,82 milliards d’euros d’équipements létaux, 180 millions d’euros d’équipements non létaux et 100 millions d’euros liés au report sur les équipements non létaux des États ne voulant pas fournir d’équipements létaux. La France a participé à chacun de ces paquets de 500 millions d’euros à hauteur de 90 millions d’euros.» 

Manifestement, tout est prévu pour financer ce conflit, quel qu’en soit le prix, et la France est l’un des pays, qui participe le plus :

«Dans la situation la plus défavorable, c’est-à-dire si la guerre devait continuer sur le même rythme qu’aujourd’hui toute l’année 2023, un paquet de 500 millions d’euros serait encore nécessaire toutes les six semaines en 2023, pour un total de 900 millions d’euros pour la France.

 Les chiffres de la participation française sont pour l’instant retenus par le ministère des armées, mais la France fait partie des dix pays les plus dépensiers en fourniture d’équipement militaire à l’Ukraine, et parmi les cinq à six pays les plus engagés financièrement du continent européen, Royaume-Uni compris.»

L’emballement guerrier pose des problèmes financiers, les Etats vont devoir revoir à la hausse les dépenses, car le budget européen n’a pas été prévu pour une véritable guerre :

«En seize mois, 52 % du budget 2021-2027 de la Facilité européenne pour la paix a été dépensé. Si on y ajoute les dépenses que j’ai déclarées comme éligibles au remboursement, les trois quarts de ce budget ont été engagés. Enfin, avec l’ensemble des dépenses prévues pour 2023, ce budget aura été consommé à 82 %, alors qu’il restera quatre années à couvrir. La Facilité est donc déjà presque à court de budget. Elle n’a pas été conçue pour rembourser aux États membres des dons d’armement pour soutenir une guerre de haute intensité.

 Des crispations politiques apparaissent déjà entre les contributeurs et les dépensiers, du fait de l’écart entre l’éligibilité au remboursement de certains États et la quote-part de leur participation au budget de la FEP, ou en raison du rythme actuel de consommation des crédits, bien supérieur aux perspectives initiales. La Pologne, qui a donné pour plus de 1,5 milliard d’euros de matériel (principalement des chars de fabrication soviétique) paye ainsi une part très faible, de sorte que ce sont les États payant une part plus importante (la France et l’Allemagne notamment) qui financeront ce don.»

C’est bien pour remédier à ce risque, qu’un nouveau mécanisme militaire a été mis en place au sein de l’UE, à savoir la mission EUMAM UA, pour directement former les forces militaires ukrainiennes — puisque le conflit est prévu pour durer et que les armes envoyées deviennent de plus en plus sophistiquées :

 «Fin août, à Prague, lors d’un conseil informel des ministres de la défense, les 27 États membres ont convenu de mettre en place une mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pour assister et former les armées ukrainiennes. La décision d’établir une mission d’entraînement nommée European Union Military Assistance Mission (EUMAM) Ukraine a été adoptée un mois et demi plus tard, le lundi 17 octobre, au cours du conseil des affaires étrangères. (…) L’objectif de court terme pour les Ukrainiens est de mettre sur pied trois nouveaux corps d’armée d’ici mars 2023, pour un volume estimé de 75 000 hommes, afin de pouvoir prendre l’initiative des opérations au printemps prochain.» 

Et cela a un coût :

«Le coût de fonctionnement du projet EUMAM Ukraine est estimé à 106,7 millions d’euros. Par rapport aux coûts communs habituels, son périmètre a été élargi, par exemple au transport des soldats entraînés. Une mesure d’assistance particulière, dotée dans un premier temps de 16 millions d’euros, viendra en appui de EUMAM pour l’achat du matériel létal nécessaire comme les munitions d’entraînement. Une mesure de 45 millions d’euros couvrira les besoins de fourniture de matériel non létal, indépendamment des mesures d’assistance gérées par la Clearing House Cell.»

L’UE est bien partie prenante au conflit en Ukraine, ce qui veut dire que les pays membres sont eux aussi partie au conflit. Par pleutrerie de leurs élites, sans le consentement des peuples, qui sortent de plus en plus dans les rues pour le faire savoir. Borrell déclarait à Munich, fier de son oeuvre :

«Les États membres ont décidé d’utiliser ce fonds pour armer l’Ukraine (3,6 milliards d’euros). Et les États membres chacun de leur côté, certains beaucoup, d’autres moins, ont également fourni un soutien militaire, pour atteindre au total 12 milliards d’euros. Et ceci est une réalisation majeure. C’est la première fois que nous faisons cela. Nous avons brisé un tabou. Et il est très important de continuer à le faire.

Nous sommes l’entraîneur le plus important de l’armée ukrainienne. D’ici la fin de l’année, 30 000 soldats ukrainiens seront entraînés par notre mission d’assistance militaire de l’UE. Je n’entrerai pas dans plus de détails, mais c’est ce que nous avons fait.» 

L’UE annonce encore 45 millions de ce Fonds de la guerre à la Pologne, pour entraîner de nouveaux Ukrainiens et en faire des soldats — tant qu’il reste des habitants en Ukraine, pourquoi s’en priver.

Pendant ce temps, de hauts responsables américains se rendront en Europe de l’Est cette semaine, afin notamment de reprendre en main ceux qui n’ont pas «bien» voté la résolution anti-russe à l’ONU, puisque beaucoup, comme le Kazakhstan ou l’Arménie, se sont abstenus … La Secrétaire au Trésor est à Kiev, quand Blinken, le Secrétaire d’Etat, il doit arriver au Kazakhstan, pour réorienter la ligne politique du pays.

Nous risquons de nous diriger tout doucement vers un conflit de grande ampleur, notamment en raison de l’inexistence politique du Continent européen, qui ne joue pas son rôle de tampon face au fanatisme atlantiste.

Karine Bechet-Golovko

1 комментарий