Après la chute de l’Empire

Rien n’est éternel, tous les empires, à ce jour, ont fini par s’effondrer et encore l’ont-ils fait d’eux-mêmes. Jean-François Geneste revient pour Russie Politics sur les raisons de la chute du monde, dans lequel nous vivons et que nous avons la faiblesse de considérer instinctivement comme éternel et de tous temps. Cet «Empire anglo-saxon», qui laissera lui-aussi place à un autre agencement international.

Le tour arrive pour l’Occident et si l’on a bien des théories pour expliquer pourquoi Rome s’est écroulée sans pouvoir en retenir une, majeure, on trouvera assez facilement les raisons de la déchéance de la sphère anglo-saxonne.

D’une certaine façon, cela aura été perpétré sous forme de parricide ou matricide, au choix. En effet, c’est bien le continent, et nous, Français, en savons quelque chose, qui a donné naissance à l’Angleterre qui s’est ensuite largement émancipée pour conquérir une bonne partie du globe. Mais diviser pour régner a ses limites, et ayant fomenté la Première Guerre mondiale, il a bien fallu partager la direction des affaires avec son rejeton d’outre-Atlantique pour en faire une entité à deux têtes, mais avec une seule pensée. On se remémorera la rare suffisance de l’intelligentsia britannique lorsque, en 1942, à l’occasion d’une réunion pour décider de la future organisation planétaire entre les deux protagonistes, Lord Halifax, parlant de ses alliés, murmura à Lord Keynes ‘they have all the bags of money, we have all the brains’ ; suffisance qui, malgré les apparences, fut contagieuse.

Dès le départ, le mal se cacha sous le prétexte de la liberté qui s’est traduite, au fil des siècles, par libre-échange, car de liberté réelle il n’y eut point, les colonisés s’en souvenant encore. Et quand bien même on prônait l’absence de barrières tarifaires, ce ne pouvait être que lorsque c’était au bénéfice du seul souverain, le soleil ne se couchant (toujours) pas sur ses dépendances.

Mais le ver était dans le fruit au commencement. La valeur principale de cette « civilisation » était l’argent et bien vite, en réalité dès qu’elle le put, « noblesse non décapitée oblige », on décida de délocaliser ce qui n’était pas « digne » dans des pays considérés comme crasseux ; et la Chine valait bien cela. En France, cela conduisit des vassaux, déjà, en 1994, par exemple le président de la commission des titres de l’ingénieur qui dirigeait alors l’école Centrale de Paris, à dire que le cœur de métier de son établissement était de former des gens qui encadreraient 100 ingénieurs chinois. Avec de tels propos, il aurait dû, par les lucides, être immédiatement crucifié en place publique, mais la lâcheté des laquais était déjà présente et, au contraire, on l’encensa ! Pourtant, nous avions été avertis par Soljenitsyne, qui avait antérieurement parlé du déclin du courage en Occident dès 1978 ! Et rien ne s’arrangea, tant s’en faut.

Nous nous sommes ainsi retrouvés en février 2022 dans une situation qui était subliminale et qui est subitement apparue au grand jour et, en théorie, aux yeux de tous, alors qu’avant, elle était l’apanage de ceux que l’on qualifie de complotistes, à tort bien entendu. Les pays d’Europe ne sont pas souverains. Lesdites démocraties sont en fait pilotées de Washington et même les élections sont truquées. Mais on n’avait pas encore vu le pire ! Il arriva bientôt, en septembre 2022, avec la destruction par l’Oncle Sam des gazoducs Nord Stream. Un sabotage, évidemment, mais par le suzerain ! Et personne ne pipa mot alors que l’on évoque une migration massive de l’industrie allemande vers les USA pour plusieurs milliers de milliards de dollars.

Et nous parvenons à la chute de l’Empire qui, en « tirant » un peu trop sur la corde des vassaux, a fini par les couler (c’est définitivement fait !) et n’a pas vu qu’il s’était déshabillé face à ses rivaux stratégiques. Par ailleurs, alors qu’il avait bâti une partie de son pouvoir sur des (fausses !) valeurs, il montra, à répétition, que ces dernières ne l’engageaient aucunement et il ne cessa de les violer.

Dès lors, même si cela prendra quelques années, après tout Rome a bien mis 20 ans, on peut avec certitude affirmer que l’effondrement date de 2022. Et la question qui se pose et qui constitue notre titre est bien de savoir ce qui va se passer.

Très clairement, la Russie ayant donné le la, elle va être suivie par la Chine, c’est déjà le cas, et l’Inde qui va très bientôt se manifester encore plus explicitement. Une partie de la rivalité restante va se jouer en Afrique où la Russie et la Chine travaillent un terrain qui leur est objectivement favorable, la France s’étant fait sortir « grâce » à l’inculte Macron. Si tout va bien, il émergera une voire deux puissances de rang mondial de ce continent avec des questions de défense très sensibles, car elles voudront acquérir, nécessairement, le statut nucléaire.

Mais concentrons-nous sur l’Europe, ruinée et contente de l’être aujourd’hui si l’on s’en tient au discours de ses dirigeants. Le sort des peuples est d’être entouré, comme à Paris, toujours à la pointe du progrès, de surmulots dans des lieux insalubres, avec un niveau de vie de pays sous-développé. Et pour cause, actuellement, en France, mais ce sont les standards européens, 50 % des élèves qui arrivent en 6e ne savent pas lire. L’épreuve de mathématiques du BAC 2023, pour les étudiants ayant cette spécialité, était indigente ! Pas de quoi relever un défi, quel qu’il soit. Et quand on regarde ce que l’on ose encore et hélas appeler les élites, nous sommes particulièrement gâtés avec Bruno Lemaire par exemple, mais on pourrait citer des cas similaires dans presque tous les états de notre continent. Et, semble-t-il, ces gens-là forment majorité !

Il faudra bien alors reconstruire quelque chose et, avant tout, abandonner les vieilles antiennes. On défera à coup sûr l’Europe. Cela ne voudra pas dire des guerres intestines, mais un chacun chez soi bien pensé, car, dit l’adage, un petit chez soi vaut mieux qu’un grand « chez les autres ». Cela, avec un peu de chance, permettra de renouer avec une certaine culture, à condition toutefois que l’on arrête d’avoir pour seule ambition de n’apprendre que 800 mots de vocabulaire à nos enfants, soit deux fois celui d’un berger allemand, de quoi se taire… Et obéir !

Il faudra aussi se récréer une richesse, car nous avons dilapidé, en une voire deux générations, ce que nos ancêtres avaient mis des siècles à construire, c’est-à-dire une agriculture, une industrie, une culture. Cette dernière, toutes disciplines confondues, impliquera de grands efforts et il n’est pas garanti que nous retrouvions avant longtemps une base pour la transmettre sans même parler de la faire fructifier. L’industrie, elle, est définitivement partie sans espoir de retour. Notre unique possibilité pourrait résider dans un rejeu de la révolution du dix-neuvième siècle à laquelle nous avons largement pris part via des innovations majeures. Encore faut-il en avoir à la fois les moyens et la volonté. Quant à l’agriculture, c’est à peu près la seule chose de sûre qu’il nous restera si nous n’avons pas soldé nos terres avant.

Il en ira quasiment de même pour nos voisins, ne nous leurrons pas. Si chacun renoue avec son histoire et ses fondements, au fil des décennies sinon des siècles, nous recréerons la diversité qui a fait la richesse de notre continent, mais cela prendra du temps, beaucoup de temps et d’efforts. Et dans l’intervalle nous guettera la question de notre propre reproduction, car même si nous pensions être riches, nous habitions un cercueil à poignées d’or : les générations ne se renouvellent pas ! Les jeunes ne veulent plus avoir d’enfants pour tout un tas de raisons que nous n’aborderons pas ici. Mais ce n’en est pour autant pas le moindre des problèmes.

Néanmoins, et pour commencer, il nous faudra retrouver notre souveraineté, ce qui, en termes plus mathématiques, veut dire indépendance. Et il sera nécessaire de débuter par la monnaie, c’est-à-dire revenir au franc, sortir de SWIFT, etc. Ce choix sera difficile, car ce sera, bien évidemment, celui du rôle du loup dans la célèbre fable de La Fontaine. C’est là que nous verrons, après l’effondrement, s’il a été salutaire et si les Français ont bien compris et ont tiré les bonnes leçons. Pas si sûr, hélas !

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.