Échapper au hachoir à viande : avalanche de réfugiés en provenance de Soledar

Alors que les médias ukrainiens refusaient de reconnaître la libération de Soledar par la Russie et que les médias occidentaux tentaient de réécrire la version ukrainienne, hommes et femmes partaient se réfugier plus loin de la ligne de front. Non pas vers l’Ukraine, mais plus en profondeur dans les terres russes. Ce qui nous montre bien qui est l’agresseur et qui est le libérateur pour cette population, contre laquelle nos pays occidentaux fournissent toujours plus d’armes. Arnaud Develay était sur place du 17 au 20 janvier et nous propose un reportage pour Russie Politics.

Comme c’est généralement la norme dans cette zone de conflit, nous n’avions pas été informés à l’avance du programme de la journée.

Notre véhicule se rendit dans un quartier à l’extérieur de Donetsk appelé Shakhtersk, qui portait les stigmates de neuf années de bombardements. Le sombre paysage de désolation s’étendait sur des kilomètres jusqu’à ce que tout à coup notre convoi arrive à destination : un site quelconque, où une petite foule s’était manifestement rassemblée en prévision de notre arrivée.

Nous furent accueillis par un homme costaud dont les yeux bleus délavés vous transperçaient comme des lasers. Il se présenta comme Alexander CHATOV, le maire de Shakhtersk.

Il nous expliqua qu’à la suite de la libération de la ville de SOLEDAR, des dizaines de civils continuent d’arriver chaque semaine, cherchant à échapper à ce qui a été décrit à plusieurs reprises comme un hachoir à viande humaine.

Nous pénétrâmes à l’intérieur du bâtiment où nous furent accueillis par un petit groupe de civils manifestement traumatisés par ce qu’ils venaient de vivre.


Des yeux hagards caractérisaient la plupart de ces hommes et femmes, dont pour la plupart l’immédiateté du danger bien qu’atténuée restait toujours présente. Une vieille babouchka écoutait attentivement, avec une lueur d’espoir et de la reconnaissance dans ses yeux. Dans un coin de la pièce rapidement aménagée, un monticule de fournitures d’urgence était en train d’être assemblé, alors que le personnel continuait d’aller et venir, avec ce qui semblait être un flux sans fin de colis et de rations d’urgence.

CHATOV expliqua ensuite aux réfugiés qu’ils « n’avaient rien à craindre… “ et qu’ils recevraient “tout ce dont vous avez besoin jusqu’à ce que nous vous relogions dans un logement convenable. ». Certains dans la foule semblaient inquiets du sort de certaines personnes, qu’ils n’avaient pas vu depuis leur arrivée. «Qu’est-il arrivé à X, Y et Z?;», demandaient-ils sans cesse. D’autres exprimèrent leur angoisse, à l’idée que leurs téléphones portables leur aient été retirés lors de l’évacuation, le maire de Shakhtersk leur expliqua qu’il s’agissait là d’un protocole habituel et qu’ils récupéreraient leurs appareils dès que «le traitement serait terminé».

La guerre faisant rage, il n’est pas anormal que la sécurité soit de la plus haute importance, car des infiltrés ennemis pourraient très bien se dissimuler parmi les réfugiés civils, afin de transmettre des informations sensibles à « l’autre camp ». Rien ne pourrait alors être plus dommageable pour les militaires russes, que d’être confrontés à la perception selon laquelle ils ne sauraient comment garantir la protection des civils.

Dans cette guerre, où les médias figurent au premier plan dans la lutte pour le proverbial «cœur et esprit», la Russie a adopté depuis le début de l’opération militaire spéciale une approche résolument opposée à celle des États-Unis en ce qui concerne les considérations humanitaires. Plutôt que la stratégie dite du «choc et la crainte», de triste mémoire utilisée contre l’Irak et d’autres puissances militaires dites «de troisième rang» (dixit le Pentagone), la Fédération de Russie a toujours privilégié une stratégie dite du «nettoyer et construire», comme en témoignent Marioupol et un nombre croissant de localités dans les zones «dénazifiées et démilitarisées» du Donbass.

L’un des réfugiés surmonta sa réticence à nous parler, alors que tous les autres semblaient ne pas vouloir être enregistrés même avec leurs visages floutés. L’apparence décharnée de l’homme ne diminuait en rien sa détermination à partager un aperçu de l’horreur, à laquelle il avait réussi à échapper.

Il confia que la présence des nationalistes ukrainiens était endémique dans la ville. Qu’en dépit de la situation générale portant sur un avantage militaire russe décisif, des escadrons de «recherche et d’élimination» étaient fébrilement à la recherche de trophées (soldats russes). Il expliqua qu’il s’était aventuré hors du sous-sol, où lui et sa famille étaient enfermés, afin de voir comment il pourrait aider les voisins au milieu des ruines et était tombé par hasard sur un militaire russe blessé par balle et qui pâlissait rapidement à cause de la perte de sang. Il raconta comment il s’exposa à découvert afin de ramener le soldat dans le sous-sol, où lui et ses proches procédèrent à la confection d’un garrot sommairement conçu. Il raconta qu’il n’était alors pas trop optimiste, quant aux perspectives de survie du soldat, car le sous-sol ne présentait pas un environnement stérilisé et fait plus inquiétant, les escouades d’extermination se faisaient entendre à frapper aux portes voisines, menaçant quiconque était pris à abriter l’ennemi du châtiment le plus sévère.

Pendant ce qui sembla une éternité, l’homme et sa famille tentèrent de rester aussi silencieux que possible «car nous nous attendions à ce qu’ils franchissent les portes à tout moment», jusqu’enfin l’équipe de sauvetage prenne la forme du groupe Wagner.

« Les Musiciens » venaient d’achever de jouer leur partition à SOLEDAR.

Arnaud DEVELAY

Avocat spécialisé en droit international humanitaire et pénal