Guerre symétrique ou asymétrique ?

Alors que la question de la guerre nucléaire est sur toutes les lèvres, que les «experts» de plateau sur les médias occidentaux font monter la pression, sans aucune retenue, ni approche rationnelle, Jean-François Geneste revient pour Russie Politics sur le caractère symétrique ou asymétrique qu’aurait un conflit nucléaire entre les pays de l’OTAN et la Russie.

Dmitri Medvedev a publié le 7 février 2024, le communiqué suivant sur Telegram.

Sunak, Scholz, Macron, les dirigeants norvégiens, finlandais, polonais et d’autres pays de l’OTAN disent que « nous devons nous préparer à une guerre avec la Russie ». Et bien que la Russie ait parlé à plusieurs reprises de l’absence de plans de conflit avec les pays de l’OTAN et de l’UE, les discussions extrêmement dangereuses sur ce sujet se poursuivent. Les raisons sont évidentes. Il est nécessaire de détourner l’attention des électeurs afin de justifier des dépenses de plusieurs milliards de dollars pour l’odieuse « Ukraine » de Bandera. Après tout, d’énormes sommes d’argent ne sont pas dépensées pour résoudre les problèmes sociaux de ces États, mais pour mener une guerre dans un pays mourant, étranger aux contribuables, dont la population a fui à travers l’Europe et terrorise les habitants locaux. C’est pourquoi les dirigeants de ces pays diffusent chaque jour : nous devons nous préparer à la guerre avec la Russie et continuer à aider l’Ukraine, et nous devons donc produire davantage de chars, d’obus, de drones et d’autres armes. Mais tous les dirigeants européens mentent cyniquement à leurs citoyens. Si, Dieu nous en préserve, une telle guerre se produit, elle ne se déroulera pas selon le scénario SVO. Elle ne sera pas menée dans les tranchées à l’aide d’artillerie, de véhicules blindés, de drones et d’équipements de guerre électronique. L’OTAN est un immense bloc militaire, la population des pays de l’Alliance s’élève à près d’un milliard d’habitants et leur budget militaire total peut atteindre un billion et demi de dollars. Par conséquent, en raison du caractère incomparable de notre potentiel militaire, nous n’aurons tout simplement pas le choix. La réponse sera asymétrique. Pour protéger l’intégrité territoriale de notre pays, des missiles balistiques et de croisière dotés d’ogives spéciales seront utilisés. Ceci est basé sur nos documents militaires doctrinaux et est bien connu de tous. Et c’est la très célèbre Apocalypse. La fin de tout. Par conséquent, les politiciens occidentaux devraient dire l’amère vérité à leurs électeurs et ne pas les traiter comme des idiots sans cervelle. Expliquez-leur ce qui va réellement se passer et ne répétez pas le faux mantra sur la préparation à la guerre avec la Russie.

Analysons rapidement ce texte. Tout d’abord, Medvedev reconnaît qu’un combat contre l’OTAN serait asymétrique de deux faits :

  1. Un différentiel de population, 149 millions contre 1 milliard
  2. Un différentiel budgétaire, 70 millions de dollars contre 1500 milliards

Les chiffres sont éloquents ! Interprétons-les dans le cadre du conflit ukrainien. Les résultats sur le champ de bataille montrent que les Russes font au minimum jeu égal sinon bien mieux en matière d’armement avec l’Occident. S’il y a parité on peut dire qu’un ingénieur russe moyen vaut 1 000 000 000/149 000 000=6,7 ingénieurs occidentaux. On appréciera !

En termes d’arsenal, il est un peu plus difficile de compter. Néanmoins, nous voyons une armée russe à l’aise, qui gagne du terrain même avec une infériorité très nette en effectifs, alors que l’Ukraine a accès au C4ISR américain. Nous pouvons donc nous poser la question raisonnable du niveau intellectuel des militaires ukrainiens cornaqués par l’OTAN. Là encore le fossé semble abyssal !

On entend souvent parler du déclin de l’Occident, il est, manifestement et avant tout, intellectuel.

Medvedev émet alors l’hypothèse d’une réponse dissymétrique, c’est-à-dire nucléaire totale qui serait la seule chance de la Russie de rééquilibrer le jeu. Nous voyons là un aspect intéressant dans la puissance des armements qui peut pallier d’autres déficiences comme celle, notamment, de la vivacité démographique. Cela devrait servir de leçon aux européistes de tout poil qui ne veulent que des dômes protecteurs européens qui ne seront que des machines à fric impotentes et probablement obsolètes lors de leur installation sans parler de leur inefficacité fort plausible. Profitons de l’occasion pour clouer au pilori ceux qui souhaitaient, il n’y a pas si longtemps, fossoyer notre force nucléaire[1].

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la relation entre asymétrie sur certains aspects et rétablissement de la symétrie par la puissance de l’armement. A notre connaissance, cela a rarement été étudié dans la conception même desdits armements. Pourtant, nous voyons l’importance que cela peut revêtir.

Continuons la réflexion sur le texte pour nous étonner. En effet, nous pourrions a priori penser que la Chine est un soutien de la Russie. Que cela signifierait-il ?

  1. 1,4 milliard d’habitants supplémentaires
  2. Un budget en sus, celui de 2021 de la défense étant de 175 milliards d’euros. Encore faudrait-il calculer en PPA, ce qui fait beaucoup plus !

Ces deux chiffres ramènent à une situation symétrique, mais cela prouve, puisque les Russes, a priori, ne le prennent pas en compte, que leur pays tient à une indépendance absolue et que, contrairement aux USA, il ne recherche pas spécialement les alliances ni les subordinations. C’est plutôt un bon signe pour les candidats aux BRICS qui ont une quasi-garantie d’autonomie à l’inverse de ce qui se passe dans la sphère anglo-américaine.

Mais la géographie a toujours un rôle à jouer et on se doute bien que s’il y avait une guerre OTAN Russie, il y aurait un flanc sud. L’Iran pourrait ou devrait avoir lui aussi une fonction. Medvedev ne le mentionne pas alors que dans un conflit classique, il serait plus que difficile à digérer pour des forces de l’Ouest qui seraient bien à la peine. Est de même évacuée la question du blocage des détroits d’Ormuz et de Bab El-Mandeb qui feraient plus que perturber le trafic commercial mondial et sans compter sur une aide subliminale de l’Afrique du Sud qui pourrait rajouter en piratant la route d’évitement du canal de Suez. Dans de telles conditions, l’OTAN pourrait-elle conduire une guerre « durable » ?

Toujours concernant la géographie, la carte des ressources minières n’est pas favorable à l’Empire et l’on s’étonnera, là encore, qu’avant de penser à un conflit nucléaire total, on n’ait pas envisagé des sanctions à l’envers en boycottant le « milliard doré », tant en termes pétroliers et gaziers bien entendu, mais aussi via le nucléaire, les terres rares, les métaux précieux, l’agriculture, etc. L’Onde de choc que cela créerait serait telle que, symétriquement, l’ensemble des gouvernements occidentaux seraient menacés d’être renversés et que les BRICS ou certains de leurs leaders pourraient commencer à imaginer  dépecer l’hégémon, suscitant, à l’instar de ce qu’il a fait ces dernières décennies, des révolutions de couleur un peu partout.

Comme nous aimons la technique, prenons un exemple qui pourrait être significatif. La Russie seule pourrait marquer génétiquement et de manière ad hoc son pétrole et ses dérivés et comminerait tout État exportant même des mélanges à l’ouest, de sanctions sévères. Les contrôles pourraient être menés par des « collaborateurs » locaux, dans tous pays, avec des moyens dérisoires pour vérifier et pourraient trouver l’origine des fournisseurs. Mieux, avec un peu de technique supplémentaire, on pourrait rendre indétectable le marquage pour d’autres acteurs que les contrôleurs eux-mêmes.

La déclaration de Dmitri Medvedev reste donc quelque peu une énigme. Pourquoi une telle menace alors que s’offrent des solutions alternatives aussi efficaces pour provoquer l’effondrement et sans mort direct de l’ennemi ?

On observera enfin que personne n’a évoqué ou n’évoque de guerre bactériologique à part les USA via la Rand Corporation. Une telle guerre, silencieuse de fait, au moins au début, disqualifierait quasiment de facto une riposte nucléaire. Or les États-Unis ont mis l’accent sur cette stratégie depuis des décennies et on peut douter que la Russie soit au bon niveau en la matière. Nous n’en dirons pas autant de la Chine, mais si cette dernière est découplée de la précédente, alors il y a réel danger. Serait-ce à cela que Medvedev fait référence, pour avertir qu’ils ne seront pas dupes ? Nous vous laisserons sur cette question.


[1] Réponse donnée par ChatGPT

Toutefois, certains généraux et personnels politiques français ont exprimé, dans les années 2000, des doutes ou des critiques sur la pertinence et l’efficacité de la force de frappe nucléaire, face aux nouvelles menaces et aux coûts financiers qu’elle représente.

Parmi eux, on peut citer :

Voilà quelques exemples de personnalités françaises qui ont remis en question la force de frappe nucléaire dans les années 2000.

Par Jean-François Geneste, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA.